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Elections locales : bilan et perspectives par Ndiaga Sylla

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  1. Le déroulement des scrutins

 

Il faut reconnaître que malgré les inquiétudes manifestes des acteurs et observateurs du processus électoral pendant la phase de préparation des élections départementales et municipales du 29 juin 2014, celles-ci se sont incontestablement déroulées dans de bonnes conditions sur toute l’étendue du territoire national.

Certes nous avions nourri des craintes légitimement fondées principalement sur les modifications du code électoral engendrées par l’acte 3 de la décentralisation et opérées dans un délai relativement court par rapport à la période qui nous séparait de ces échéances électorales, l’applicabilité de la parité sur les listes de candidatures, l’interdiction faite aux membres de bureaux de vote, pour les élections locales, de ne plus accomplir automatiquement leur droit de vote au lieu où ils siègent et surtout la supposée pléthore de listes de candidats. Mais à l’arrivée, à l’exception du taux de participation relativement faible et quelques couacs mineurs qui ne pourraient en aucune manière remettre en cause la sincérité des scrutins, tous les acteurs du processus électoral ont pu jouer leur partition, en particulier l’Administration et la CENA, rompues à la tâche.

 

Je crois sincèrement que les mesures spéciales prises pour la conception, l’édition et la mise en place des bulletins de vote et autres matériels électoraux ont beaucoup contribué à la tenue de scrutins apaisés et transparents. C’est l’occasion de saluer le travail remarquable accompli par l’organe de gestion des élections : le Ministère de l’intérieur et ses directions et services centraux ainsi que les autorités administratives.

  1. La gestion du contentieux : les cas St louis et Podor

Notre système électoral, qui renferme des mécanismes de contrôle à toutes les étapes du processus électoral, prévoit, dans le même temps, des procédures de saisine des juridictions compétentes pour le traitement des contentieux. Nul n’ignore que les élections locales eu égard à leurs enjeux et complexité suscitent habituellement des querelles et contestations. Il s’y ajoute qu’à la suite de la proclamation des résultats par les commissions départementales de recensement des votes -seules habilitées-, les écarts de voix obtenues par les listes concurrentes sont parfois infimes.

 

Il convient de souligner que de tous les recours formés avant et après ces élections, c’est la Cour d’Appel de Saint Louis qui, à mon humble avis, a hérité des plus lourds contentieux. L’on se souvient encore de la fameuse affaire de la liste de Bennoo Bokk Yakkar de la commune d’Ogo dans le département de Matam. Présentement, cette juridiction devra statuer, entre autres, sur les réclamations formulées contre la liste déclarée victorieuse de la mairesse sortante à Podor, celle dirigée par le nouveau Ministre Mansour Faye à St Louis et à Louga, le contentieux qui oppose les listes des Ministres Aminata Mbengue Ndiaye et Moustapha Diop.

 

Par conséquent, il est de la prérogative des juridictions compétentes en vertu des dispositions des articles LO.25 et L.255 du code électoral de statuer et de rendre des décisions fondées uniquement sur le droit et la vérité.

 

En premier lieu, la Cour d’Appel est compétente pour les élections départementales et municipales au niveau des circonscriptions électorales de son ressort. Ainsi, la Cour d’Appel, en tant que juge en premier ressort du contentieux des élections locales devra statuer dans le délai d’un mois à compter de l’enregistrement de la requête en annulation des opérations électorales au greffe de la Cour d’Appel ou dans les trois mois en cas de renouvellement général des conseillers municipaux.

 

En second lieu, il est prévu que la partie intéressée porte sa réclamation devant la Cour Suprême dans un délai d’un (01) mois à compter de la date d’expiration desdits délais. De même, en cas de rejet, la partie intéressée peut, en application de l’article L.255, interjeter appel devant la Cour Suprême dans le même délai à compter du jour de la notification de la décision.

 

Il y a lieu de noter que le contentieux des élections locales peut durer quatre (04) mois. C’est sans doute la raison pour laquelle, en fixant dans le Code général des Collectivités locales la date de l’installation des conseils départementaux et municipaux dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats et l’élection du maire de la ville huit jours après celle des maires des communes constitutives, le législateur a aussi édicté les dispositions pertinentes de l’article L.257 du Code électoral : « Les conseillers municipaux proclamés élus restent en fonction jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les réclamations. »

 

Il en résulte que le Premier Président de la Cour d’Appel n’avait pas à ordonner le sursis à l’installation du conseil municipal de la commune de Saint Louis jusqu’à la proclamation des résultats définitifs alors même que sa juridiction n’est pas juge en dernier ressort du contentieux des élections locales. Et c’est heureux qu’une autre ordonnance ait été prise, deux jours plus tard, pour infirmer la première. En tout état de cause, il revient aux juges de dire qui a véritablement raison même si pour l’heure le suspens se prolonge. Néanmoins, il suffirait juste d’annuler les résultats des quelques bureaux de vote pour faire basculer les tendances et du coup la victoire changerait de camp !

 

De manière générale, quelques décisions des juridictions relatives à la validation de listes déclarées forcloses ou incomplètes installent de véritables problématiques dans le cercle des spécialistes des élections. Dans ces cas, l’arrêt n°31 du 24 juin 2014 de la Cour Suprême annulant partiellement l’arrêt n°43 du 16 mai 2014 de la Cour d’Appel de Dakar et déclarant uniquement recevable la liste majoritaire de la coalition And Défar Fandène fera à coup sûr l’objet d’une certaine jurisprudence ou susciterait un besoin de clarification de certaines dispositions de la loi électorale.

  1. Vers des communes émergences ?

 

L’Acte 3 de la décentralisation doit constituer une étape cruciale dans le processus de décentralisation au Sénégal. Que cette réforme prône une meilleure territorialisation des politiques publiques en vue de bâtir le développement de notre pays est salutaire. Toutefois, je crains que les objectifs déclinés à la base de cet ambitieux projet, et qui font suite à de nombreux constats faisant apparaître un diagnostic sans complaisance élaboré à partir des expériences tirées de nos différentes politiques de décentralisation, ne puissent être atteints de manière efficiente. L’Acte 3 de la décentralisation en postulant, la mise en place d’entités viables, nécessiterait de procéder à un découpage des collectivités territoriales en vue d’une plus grande cohérenceOr la communalisation intégrale n’a pas réellement affecté l’architecture des collectivités locales de bases.

Ce constat procède assurément d’un manque de courage politique et de calculs politiques dans le but d’éviter de vexer les populations qui seraient concernées par le redécoupage ou la fusion de certaines collectivités alors que par exemple le maintien de plusieurs communes de la région de Dakar ou de l’intérieur ne se justifiait plus.

 

En tout état de cause, l’Acte 3 de la décentralisation devrait répondre au problème tant chanté dans les collectivités locales surtout les anciennes communautés rurales : « on a transféré les compétences sans les moyens. Et dans ce cas, comment répondre aux défis des collectivités locales ? »

 

Quoi qu’il en soit, nous avons hâte de voir les textes d’application de la nouvelle réforme de la décentralisation tout comme nous voudrions bien avoir l’opportunité de juger si effectivement les contraintes multiformes d’ordre institutionnel, organisationnel, financier et humain dont étaient jusque-là confrontés les conseils locaux dans l’exercice de leur mission seront en voie de résorption.

  1. L’équation du cumul des mandats

 

L’élection de certains Ministres, Directeurs ou administrateurs de sociétés publiques aux fonctions de maire repose la question du cumul des mandats qui est pourtant bannie par les tenants de l’actuel régime à travers le programme « Yoonu Yokkuté » qui postule clairement: « la suppression du cumul des mandats (entre toute fonction exécutive et toute fonction élective) ». Notre conviction demeure que la limitation du cumul de mandats électifs et de certaines fonctions administratives paraît judicieuse en ce sens qu’elle favorise de manière plus efficiente l’utilisation des ressources humaines et promeut la diversité des compétences. Au-delà de la limitation du cumul des mandats électifs à deux, il conviendrait de rendre incompatible la fonction de Président ou de membre de bureau d’une institution de la République avec le mandat de chef de l’exécutif d’une collectivité locale ; celle de Ministre avec le mandat de Maire et de Président de conseil départemental. Sous ce rapport, nous restons en phase avec les propositions déclinées dans le projet de constitution de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). A ce propos, nous continuons d’attendre en vain la révision de la loi organique n°96-11 du 22 mars 1996 relative à la limitation du cumul des mandats électifs et de certaines fonctions  ne serait-ce qu’en ce qui concerne son adaptabilité au nouveau code général des collectivités locales et au code électoral eu égard à la suppression de la région et de la commune d’arrondissement. De cette carence de la loi, il résulte qu’on ne pourrait juridiquement, refuser à un conseiller municipal d’une commune constitutive démissionnaire de siéger au conseil municipal de la ville.

 

Mais toujours est-il que l’élection des membres de la famille du Président de la République engagés dans le champ politique ou même leur nomination à de hautes fonctions, ne m’inspire aucune récrimination pourvu qu’ils soient des citoyens sénégalais à part entière et considérés comme tels sans autres formes de privilèges. C’est leur droit le plus absolu que chacun de nous devrait respecter. Toutefois, il est judicieux que le Président et les concernés eux-mêmes sachent assumer ces positions et leurs implications. Car je pense qu’à moment donné, le Président Wade n’aurait pas s’obstiner à obtenir un mandat de plus au risque de se discréditer si des membres de sa famille n’avaient pas été aussi impliqués dans la gestion de l’Etat. Mais, il faut que cette question se nourrisse de ce que pensent la plupart des sénégalais, et qui est devenu un thème de campagne pour Monsieur Youssou Ndour, Ministre conseiller. Qu’un maire proche du pouvoir permet d’accéder aux ressources de l’Etat qui, je le rappelle, sont le fruit du travail de tous les Sénégalais sans distinction de race, de religion ou de genre. Il est dangereux de faire la corrélation entre les fonctions que le maire occupe dans la sphère de l’Etat ou sa proximité avec le président et la gestion des affaires de la commune. Il ne doit y avoir dans une république qui se respecte une faveur pour cette catégorie de personnes.

  1. Nos regrets

 Au lendemain de l’arbitrage du Chef de l’Etat sur le mode de scrutin aux élections locales, en manifestant mes objurgations, j’avais déclaré que je ne participerais pas à ces joutes électorales. Et, j’ai tenu parole même si je me suis gardé d’appeler au boycott. Finalement, au regard des résultats et du taux de participation, j’ai eu la preuve qu’en dépit du traitement réservé à mon recours pour excès de pouvoir contre les décrets fixant la répartition des sièges de conseillers départementaux et municipaux et de l’attitude peu républicaine de nombre d’acteurs du processus électoral, le Peuple sénégalais, meilleur régulateur du jeu politique, a pu déceler et rejeter toute forme de manipulation qui a entouré le nouveau processus de décentralisation. En conséquence, notre combat de principe, pour la définition de règles démocratiques et consensuelles, poursuivi, au sein de l’Initiative pour la Préservation des Acquis Démocratiques (IPAD), n’a nullement était vain.

 

Mon principal regret demeure que l’Acte de la décentralisation et les textes de lois qui le formalisent n’aient pas été le fruit d’un large consensus à cause de l’empressement qui a présidé à sa mise en place ; ce qui a suscité une controverse sapant la portée de la réforme.  Je déplore la violation de l’article 2 alinéa 1 du Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance ainsi que l’inconstitutionnalité de certaines dispositions du Code général des Collectivités locales et du Code électoral.

 

Je regrette également que rares soient les acteurs politiques qui se sont souciés du combat de principe que nous avions engagé pour la définition de règles démocratiques, consensuelles et salutaires  et contre les germes de destruction de notre démocratie ;

 

Que la Cour suprême, par l’Arrêt n°27 du 22 mai 2014, ait statué, en son audience publique, sur notre demande de sursis à exécution des décrets en l’absence du requérant et son conseil, non avisés et qu’on soit obligé d’attendre, après la tenue des élections, la décision de l’auguste Cour relatif au recours ;

 

Que les candidats, à l’exception du député maire Seynabou Wade, se soient terrés jusqu’à leur installation pour protester contre le non respect par ces décrets des critères démographiques !

 

Que l’on n’ait pu privilégier une voie qui n’affecte la République pour sortir de l’imbroglio juridico-religieux né de l’applicabilité de la parité à Touba et que les actes de l’autorité administrative compétente, les positions du Ministre de l’intérieur, l’attitude de la Commission électorale nationale autonome (CENA) et le silence expectatif de la classe politique n’aient concouru à la consolidation de l’Etat de droit ;

 

Que les principaux acteurs n’aient pas eu le temps de s’approprier des changements intervenus sur le code électoral en particulier les partis politiques au regard du nombre important de forclusions et que même le juge des élections n’y ait pas échappé.

 

Enfin, je pense qu’il faut dire un mot sur la tentation de faire croire à une abondance excessive des listes de candidats au moment où pour des élections à la base, la moyenne était inférieure à cinq (05) listes par collectivités locales. Il est vraiment regrettable que les politiques de tous bords se soient embarqués dans ce débat sans analyse de fonds, en ignorant par exemple qu’on allait se retrouver avec 13. 777 listes si seulement le dixième (1/10e) des partis politiques légalement constitués avait fait acte de candidature dans les 599 collectivités locales – Dakar, Pikine et Guédiawaye n’étant pas concernés par les élections départementales – . Au surplus, il conviendrait de mesurer le poids des divisions dans le camp et la coalition présidentiels et de chiffrer leurs listes parallèles.

  1. Perspectives :

 

A présent, nous devons résolument nous tourner vers l’avenir. Pour ce faire, il faudrait dès l’entame de 2015 engager les réformes du système électoral pour le rendre plus performant, en clarifiant certaines dispositions du code électoral et en simplifiant les procédures.

 

Une nouvelle refonte du fichier électoral s’impose car celui-ci, déjà vieux de dix ans, comporte un stock mort très important (électeurs décédés ou déplacés) et plusieurs dizaine de milliers de cartes d’électeurs encore en souffrance dans les commissions administratives depuis la refonte totale de 2004; ce qui logiquement a des incidences sur la détermination du taux de participation relativement au nombre total d’électeur (cinq millions) devenu virtuel. Ainsi le renouvellement intégral des cartes d’électeurs sera-t-il l’occasion d’entrevoir la fusion de la carte nationale d’identité (CNI) et la carte d’électeur. Il s’agira aussi de se pencher sur d’autres points déjà abordés dans ma contribution publiée la veille de l’ouverture de la campagne électorale et intitulée : « Par delà le 29, la République », notamment le bulletin unique, le cautionnement, le vote par procuration.

 

Sur le plan politique, chaque camp brandit des chiffres en criant victoire. L’examen des résultats partiels sortis des urnes révèle un rapport de force au détriment du parti présidentiel qui a perdu six (06) départements sur les dix (10) que comptent les trois régions (Dakar, Thiès et Diourbel) lesquelles totalisent plus de 50 % de l’électorat national. Et faisant la radioscopie des résultats des élections locales, en perspective de 2017, mon ami Ababacar Fall, annonce éloquemment dans sa dernière contribution les  grandes forces politiques qui devraient se faire face : APR, PDS, PS, Rewmi et éventuellement l’UCS, Book Guis-Guis et Bis Du Niak tandis que la gauche continuera comme par le passé à jouer  un rôle de porteur d’eau compte tenu de son émiettement et de sa présence dans les différents camps idéologiques. Or l’analyse approfondie des résultats globaux permettra d’avoir une lecture plus nette du poids des différents pôles ayant pris part aux dernières joutes électorales ou  en gestation.

Somme toute, la réflexion sur la rationalisation des listes des partis ou coalitions de partis politiques préconisée par le Chef de l’Etat sera assujettie à la réforme du système partisan laquelle constitue une composante dans les réformes institutionnelles auxquelles nous devrons impérativement nous attelés suivant ses nouveaux engagements d’avant élections. Même si elle  se fera au détriment de la ligne définie par les Assises nationales pour la refondation de la République et réitérée dans le programme présidentiel de Macky Sall, la voie parlementaire n’est pas toujours écartée…

 

Ndiaga SYLLA, Enseignant / Consultant  

Premier Vice-président de l’Alliance JËF JËL

Membre fondateur de IPAD

Email : [email protected]

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