Chaque fois qu’une étoile fend le ciel et s’éteint brusquement dans le décor infini de cette voûte toujours friande de spectacle cosmique funèbre, la conscience commune y voit un présage. Une naissance ou une disparition (selon la direction dans laquelle elle file) d’un illustre humain. En ce qui nous concerne, nous y voyons plutôt un message que la nature nous envoie : toute vie est une mort et toute mort est une vie !
A l’image des étoiles qui disparaissent lorsqu’elles épuisent leur réserve vitale, nous humains, sommes, dès la naissance, embarqués dans le navire de la mort. Et les Wolofs sont, sur ce point, plus pertinents que les astrophysiciens : alors que ces derniers parlent de mort d’une étoile, les Wolofs disent « Waccub ligguey » (Mission accomplie) ! Selon les astrophysiciens, lorsqu’une étoile brûle l’hydrogène qui la compose et la transforme en hélium (qui, à son tour, est consommé intégralement) elle explose. L’étoile « travaille » (au sens où l’entendent les physiciens) et puis prend congé de ce ciel qui l’a vu naître et accomplir sa mission sans jamais dévier.
Aminata Diaw fut assurément une étoile : sa passion pour la philosophie, et plus particulièrement pour la philosophie morale et politique était un trait de caractère. Car elle avait foi en l’homme et œuvrait sans cesse pour rendre disponible l’énergie du progrès : le savoir et le savoir-être. Un humain est ce qu’il fait, sa vie est une œuvre : s’il a du génie tout le monde la contemple avec respect, émerveillement et plaisir ; s’il n’a pas de génie, il est le seul à s’en émerveiller. La vie de Madame Aminata Diaw Cissé fut une œuvre à la fois belle et utile ! Belle parce qu’il n’y a pas d’occupation plus belle que la quête du savoir (il faut connaître le goût spécial du savoir pour s’en convaincre) ; utile parce qu’elle a consacré une bonne partie de sa vie à donner le savoir aux autres.
La tradition et la religion nous imposent le rituel du baptême : on donne au nouveau-né un nom. Si seulement l’humanité avait la sagesse de baptiser une personne à la fin de sa vie, Aminata Diaw porterait comme nom : Courage et Générosité. J’ai toujours pensé que la pédagogie est un art et que comme tout art, elle a son siège dans le cœur : cette dame enseignait bien parce qu’elle aimait passionnément ce qu’elle enseignait. Aminata Diaw faisait partie de ceux qui savent éduquer sans blesser, ceux qui savent enseigner sans vexer, ceux qui savent évaluer sans démoraliser un étudiant. Elle était généreuse comme la pluie parce qu’elle donnait tout à l’étudiant et ce, sans préjugé ni calcul.
Quand le ciel largue le soleil dans l’horizon occidental de la terre, nous n’y voyons qu’une simple fin de journée. Nous avons tort, il s’agit bien d’un langage : tout ce qui croît décroît et tout qui décroît croît. C’est dire qu’une personne de valeur ne meurt jamais, elle vit éternellement non seulement dans les cœurs, mais aussi dans les esprits : qui pourra éteindre cette flamme du savoir qu’elle a transmise à des générations ? Toute expression qu’elle aura employée pour commenter un texte de Rousseau ou de Hobbes vivra éternellement et donnera de nouvelles vies (celles de l’esprit). La file d’Ariane est plus longue que le labyrinthe ! Les idées survivent à leurs auteurs et c’en ainsi de toutes les bonnes œuvres.
La faiblesse de notre nature nous incline à pleurer nos morts, mais un mort qui laisse derrière lui une œuvre doit être célébrée : « Ku Waccub Liggey, Diadieuf lagnou koy Wakh ». C’est triste et révoltant de constater que notre pays est constellé de héros inconnus, comme du reste le ciel l’est d’étoile invisibles ! Nous ne faisons aucun effort pour les regarder et les faire voir, nous préférons attendre leur disparition pour nous morfondre dans des hommages et des célébrations. Ce qui nous console c’est que la mort peut nous prendre des êtres chers, mais elle est incapable de nous prendre leur NOM.
Qu’Allah (SWT) l’accueille dans son paradis éternel !
Alassane K. KITANE