Sous une pluie fine, un épais brouillard enveloppe le ciel nuageux de Paris. En cette période pré-hivernale, les chambres des émigrés sont bondées de monde. Les discussions vont bon train. Ça part dans tous les sens. De la politique au sport, en passant par la situation du Sénégal et la vie associative. Sans aucun fil conducteur, un sujet empiète sur l’autre, dans différentes langues. Tantôt en français ou en langues nationales wolof et poular. Un véritable tour de Babel indescriptible. Des va-et-vient incessants et des salamalecs toutes les demi-heures. Ici, c’est le «little» Fouta. Sur les escaliers, Maliens, Sénégalais se croisent, se télescopent dans les ascenseurs. L’odeur de la cuisine se fait sentir à distance. Le «diebou diene» (riz aux poissons) national sénégalais est encore passé par là. Mais derrière cette ambiance bon enfant, se cache une misère. Celle d’hommes et de femmes, partis à la recherche d’un ciel plus clément et qui se sont retrouvé empêtrés dans un tourbillon infernal. Entre régularisation, recherche de boulots, certains vivent une situation à la limite cauchemardesque. L’Envoyé Spécial de Sud Quotidien à Paris, en collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest, nous plonge dans le calvaire des émigrés.
«Je veux rentrer, mais je ne peux pas». Cette déclaration d’Abdoul dans une petite chambre mal éclairée en Ile de France (Paris), remplie, comme un œuf, d’émigrés clandestins, attendant avec impatience que le repas de… 15 heures, préparé par son cousin, soit servi, témoigne de l’anxiété avec laquelle vivent certains émigrés en Occident.
«Très franchement, ce n’est pas une vie. C’est la merde, excusez-moi du terme», ajoute un autre qui confie avoir tout laissé à Dakar pour rejoindre l’Hexagone dans l’espoir de trouver des conditions de vie meilleure. «Je dormais bien. Je tenais ma cantine au marché HLM. Mais, j’ai voulu voir gros, parce que tout simplement, je voyais des copains revenir avec des paquets de fric, roulant en carrosse et se permettant même de nous piquer nos copines. Juste parce qu’ils avaient plus d’argent que nous. J’ai alors décidé de tout vendre et de payer un rabatteur pour rejoindre la France», témoigne Demba, originaire des Agnam.
Son rêve commence à se transformer en cauchemar quand il se rendra compte qu’il ne pourra pas disposer d’un visa dans l’espace Schengen. «C’est à l’aéroport qu’il (son convoyeur) m’a remis mon passeport et mon billet d’avion», rappelle-t-il. Destination la … Turquie pour quelqu’un qui ne parle ni français, ni anglais encore moins arabe.
Son séjour à Ankara, il refuse de s’y attarder. Il s’est juste contenté de dire d’une voix tremblante, «mon frère, c’était trop dur !».
Ensuite cap sur la Grèce. Coïncidant avec la période d’austérité, Demba, peine à joindre les deux bouts. «Il fallait survivre et j’ai survécu», lâche-t-il dans un silence de Cathédrale. Tous les yeux étant rivés sur lui, il ajoute, «je ne sais même pas comment je suis arrivé à Paris, parce que je n’avais ni argent, ni objet d’échange de valeur pour payer les passeurs».
Un de ses amis nous confiera, que ce sont ses parents basés en France qui ont payé pour l’extraire de la Grèce. «Il a été mis derrière le capot d’une voiture comme un sac de voyage», confie-t-il avec un ton moqueur.
Une fois dans la capitale française où il est arrivé en 2013, il est confronté à la sempiternelle question de régularisation. Sans qualification professionnelle, il est obligé de travailler «au noir».
Mais avec une peur au ventre à chaque fois qu’il quitte le restaurant où il fait la «plonge» (nettoyer les ustensiles de cuisine) de croiser les policiers qui pourront le reconduire dans son pays d’origine.
Ousmane lui, vit une situation plus cauchemardesque. Contrairement à Demba, qui est célibataire, sans enfant, ce bonhomme de 40 ans, était enseignant au Sénégal et père de deux enfants. Il a abandonné son poste pour partir à l’aventure ; à la recherche des devises.
«Si c’était à refaire, je n’allais jamais m’engouffrer dans cette aventure où je peux dire que j’ai tout perdu», admet-il. Et d’ajouter : «ma mère est décédée mais, je n’ai pas pu rentrer pour les condoléances. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ! Ma propre mère !» A la question pourquoi ? Il répond : «je suis en situation irrégulière depuis 10 ans et personne ne pourra comprendre que je puisse rentrer. Les gens diront même que je suis devenu fou. C’est pathétique ! Ça fait dix ans que je n’ai pas vu mes enfants. Ça fait dix longues années que je ne suis pas avec ma femme. Les gens me voient marcher, mais je pense que je suis mort».
Visiblement nerveux, il s’écrit: «je crois même que nous sommes tous ici des morts-vivants. Les gens ne peuvent se procurer aucune joie, aucun plaisir. Nous vivons entassés comme des pots de sardine parce que personne ne peut se payer un studio F1, vouloir envoyer de l’argent au pays et vivre». Le reste des «invités de circonstance» acquiescent par des hochements de la tête. Soudain, un jeune qui était enseignant également au Sénégal, interrompt sa sieste de façade et déclare : «c’est la première fois que je reste autant de temps avec mes enfants». Il était parti passer ses congés dans son village dans la région de Matam après être resté huit ans en France.
«Nous sommes là à chercher un trésor qui n’existe pas. C’est une vie de merde. On est jalousé au pays. Mais, si les gens savaient seulement ce que nous endurons ici, ils allaient rester se battre au lieu de braver la mort dans des pirogues de fortune. Tu te lèves à 5h 30 du matin, souvent avec des conditions climatiques extraordinaires, pour ne revenir au foyer qu’à 18 h pour aller travailler dans des boulots très difficiles. Tu ne manges jamais à ta faim par souci d’économie. C’est toujours pathétique !», s’exclame-t-il.
Conflit entre «Blédards» et «Vaches folles»
Pour régulariser leur situation, certains émigrés clandestins sont prêts à tout. Le mariage avec une française étant le moyen le plus rapide, d’aucuns s’y engouffrent, malheureusement sans conviction aucune, encore moins d’amour. Les quelques coups fourrés orchestrés, des duperies, via des mariages gris ont fini par installer une méfiance chez certaines filles nées en France de parents sénégalais.
«J’ai rencontré un cousin qui venait à la maison. Nous avons sympathisé. J’ai commencé à venir le voir au foyer et j’ai fini par flashée sur lui. Nous sommes sortis ensemble et j’en ai parlé à mes parents, ils ont applaudi des deux mains. Le mariage s’en est suivi», confie Fatima. Et d’ajouter : «nous ne sommes ensuite présentés à la mairie pour le mariage civil. Malheureusement, c’est en ce moment que j’ai pu observer des changements chez lui. Il n’était plus attentionné. Il a commencé à me cacher des choses que j’ai découvertes, notamment des copines qu’il avait au Sénégal et qu’il continue à entretenir. Mais le comble, c’est qu’il draguait mes copines en leur disant qu’il ne m’a jamais aimé ; que c’était juste pour des papiers». Conclusion de cette mésaventure : c’est le divorce.
Des filles comme Fatima, nous en avons rencontré beaucoup qui ne veulent plus rien entendre des émigrés. Mais chez ces derniers aussi, certains estiment que le problème est ailleurs. «Nous ne sommes pas venus en France pour faire la fête. Nous sommes là pour chercher du travail et gagner de l’argent. Cet argent là est destiné au pays pour aider nos familles. Voilà pourquoi, certaines filles nous traitent de «Blédards». On réplique en leur qualifiant de «Vaches Folles» parce qu’elles ignorent souvent tout de nos cultures et de nos traditions», confie un jeune dont le mariage avec une française d’origine sénégalaise a fait long feu. Et d’ajouter : «ce que les gens ne disent pas non plus, c’est que les parents de ces filles sont aussi responsables. Ils veulent que leurs filles se marient à tout prix avec des jeunes venant du Sénégal en oubliant que culturellement, tout les oppose. Face à certaines opportunités, notamment la régularisation de notre situation, nous, émigrés, on n’hésite pas un seul instant».
Hélas ! «Ça ne marche pas parce qu’il y a trop de calculs dans ses relations qui, pour la plupart ne sont pas basées sur l’amour», admet-il.
Quand des femmes refusent de se marier à la mairie
Les calculs ne se limitent pas seulement aux hommes qui usent de la duperie pour régulariser leur situation. Il y a aussi des femmes divorcées ou veuves qui n’entendent point perdre quelques avantages liés à leur situation matrimoniale. Ces femmes dites «isolées» bénéficient de quelques avantages sociaux notamment au niveau du logement. «Elles veulent se marier mais traditionnellement seulement. Jamais à la mairie. Or, nous qui cherchons des papiers, ce genre de mariage ne nous arrange pas. C’est pourquoi, ils durent le temps d’une rose», témoigne Seydou qui dit avoir un ami qui avait pensé décrocher le jackpot en se mariant avec une femme divorcée.
Mais le réveil fut brutal. «Dès qu’il a commencé de parler de la préfecture, sa femme lui a fait savoir qu’il n’en est pas question, que leur union c’est juste devant Dieu», ajoute Seydou en rigolant. Et d’ajouter : «tout ceci, c’est parce que certains vivent un calvaire indescriptible. Souvent, on n’hésite pas de mettre la morale de côté pour vivre». «Tous les coups semblent permis dans certaines situations pour s’en sortir», soutient-il.
Réhabilitation des résidences sociales
Depuis quelques années, on assiste à la réhabilitation de leurs logements sociaux. Les émigrés-locataires sont contraints de quitter les lieux pour être relogés ailleurs ; souvent dans des endroits plus ou moins luxueux. Parfois, dans des centres d’accueil qui laissent à désirer. Pourtant, certains craignent le retour dans leurs logements rénovés.
«Je suis vraiment inquiet et je ne suis pas le seul. Ce que nous avons vu nous ne rassure pas. Auparavant, nous avions de grandes chambres dans lesquelles, on pouvait se permettre de rester à sept, voire huit personnes. Même si c’est illégal. Mais, nous n’avons pas le choix. Cette rénovation semble faite pour éviter qu’on soit en surnombre dans les chambres», soutient Mamadou, de retour du Sénégal après six mois de vacances dans son village.
Pourtant certains émigrés ont décidé de vivre ailleurs que dans des foyers en prenant des appartements à deux, voire trois personnes. Cette hypothèse est vite balayée d’un revers de la main. «Il faut arrêter de rêver. Si nous avions fait ça, vous n’allez jamais pouvoir trouver où crécher. Solidarité oblige ! N’oubliez pas qu’une personne sur quatre dispose de papiers. Comment peut-on s’aventurer comme ça», tranche Samba après avoir écouté les réactions des uns et des autres. Et d’ajouter : «nos ainés ont vécu comme ça. Certains d’entre eux, ont pris des appartements. D’autres sont restés jusqu’à la retraite. Il y a eu souvent des tensions à cause des conflits de génération qui ont laissé des séquelles. Ce sont aussi les méfaits de l’émigration.»
(Source : Sud Quotidien)