Pour beaucoup, cela pourrait sembler provocateur, mais le constat part de la réalité. Le business du sexe est devenu une activité économique incontournable pour plusieurs commerçants de la banlieue. On a vite parlé des tenanciers de bars, boîtes de nuit et auberges. Mais on n’a pas cité les stations d’essence, les vendeurs de nourriture, des fast-food et autres dibiteries, ou les hommes et femmes de ménage. Ils sont véritablement nombreux, ceux qui chercheraient un autre métier si les belles de nuit arrêtaient leurs activités.
En banlieue dakaroise, certains responsables de quartier refusent que des auberges et des bars clandestins s’établissent dans la proximité de leur secteur. A Mbao, Malika, Guédiawaye et même à Pikine, avec la conjoncture actuelle, faite de pauvreté, de misère, du chômage et de la faim pour plusieurs ménages, ces lieux sont pris d’assaut par des jeunes filles issues de différents milieux sociaux et culturels. Et comme conséquence, la prostitution s’y est développée de manière brutale et explosive.
Et le business du sexe est désormais une source de revenus pour les propriétaires de ces auberges et «pensions», qui poussent en banlieue comme des champignons après une belle pluie. C’est devenu un nouveau projet rentable pour certains de ces tenanciers.
«Videurs et protecteurs»
A Pikine, un bar très célèbre, connu de tous les Pikinois, et même au-delà, de toutes les populations de la banlieue sinon de la capitale sénégalaise, est pris d’assaut pratiquement tous les soirs par les filles de nuit, qui viennent s’y restaurer et se rafraîchir avec leurs clients ou bien, quand elles sont seules, à la recherche d’une proie qui va les prendre en charge. Souvent, ces filles de joie ont pour protecteurs certains videurs de boîte de nuit, qui prennent leur défense contre certains clients malintentionnés, qui rechigneraient à honorer le service qui leur a été rendu. Et en échange de leur protection, ces videurs souvent imposent aux filles leur loi. Autrement, elles risqueraient tout simplement de ne plus mettre les pieds dans ces boîtes où servent ces gens. «Nous leur donnons souvent des billets de banque après avoir rendu service à nos clients», confie une fille, habitante de Guinaw Rail et très bien connue de ce milieu interlope.
Ce samedi du mois de septembre, alors que certains résidents des quartiers de banlieue scrutent le ciel en craignant les averses, qui modifient fortement leur environnement en les mettant à la merci des inondations et de la boue sale, et qu’une plus grande partie de la ville encore se livre à des calculs compliqués pour voir comment elle pourrait boucler le mois sans drame ni famine, les lieux de plaisirs tarifés sont pris d’assaut. Normal, c‘est quasiment déjà la fin du mois. Il est presque 2 heures du matin passé de quelques minutes. Ce bar, situé sur la route des Niayes, à Guédiawaye est très réputé. D’ailleurs, sa réputation, ces dernières années, a été renforcée par des nombreux crimes sanglants qui ont été enregistrés dans ses environs, surtout à mi-chemin des années 1990, jusqu’en 2000, quand même un videur à l’époque a été tué par un client.
Ce soir-là, dans l’enceinte, des couples se sont déjà formés et sur chaque table au moins une bouteille d’alcool est posée. A une certaine époque, les filles de joie venaient des différents quartiers de la banlieue ou de l’intérieur du pays. Même quand elles ne peuvent s’acquitter du ticket d’entrée, ces demoiselles trouvent toujours porte ouverte en ces lieux, contrairement aux hommes. L’explication en est simple : Elles attirent le mâle.
«Pour faire marcher le bar, on nous a demandé de ne plus attendre les clients au dehors. Car si nous entrons, les hommes nous suivent à l’intérieur, et cela va permettre au propriétaire de la boîte d’écouler ses stocks de casiers de boissons alcoolisées», signale une fille bien habituée des lieux. A l’intérieur, celles qui n’ont pas encore trouvé d’âme charitable pour s’occuper d’elles, sont au bar ou à table, une bouteille de bière ou un verre à la main. Ce qui est certain, c’est qu’une fois que quelqu’un prendra la peine et le temps de s’intéresser à elles, l’addition sera à son compte, en plus de la bouteille qu’il aura commandée pour lui-même. Ce sont ces genres d’astuces qui permettent aux tenanciers de ce milieu de ne pas mettre la clé sous le paillasson.
Le temps aujourd’hui est des plus cléments, et l’atmosphère est à la convivialité. Tout le monde semble se connaître. C’est un autre monde. De temps en temps, un couple ou un individu seul gagne la piste de danse pour se défouler à danser sur des rythmes de la musique sénégalaise, ou bien sur des airs de musique cubaine. La lumière tamisée permet de décomplexer ceux pour qui c’est la première fois de se retrouver en ces lieux. De temps à autre des couples vident leurs bouteilles et prennent la sortie pour se rendre en des lieux peut-être encore plus intimes. Les belles de nuit ne font pas que le bonheur des tenanciers de bar et autres boîtes de nuit. Les chauffeurs de taxi trouvent aussi leur compte dans leur métier. Certains d’entre eux n’hésitent pas à l’occasion à jouer les entremetteurs. «Comme ils conduisent les filles des boîtes aux hôtels et des hôtels aux boîtes, ils finissent par sympathiser, et connaissent parfois leurs numéros qui est enregistré dans leurs agendas. Pour les filles, c’est plus sécurisant de garder le même taxi pour les courses de nuit. Elles ont donc un tarif spécial avec le chauffeur de taxi», explique un bon connaisseur du milieu. Diop Express, un conducteur de taxi clando à Malika, ajoute de son côté : «C’est très rentable, rien que tous les soirs, si tu viens ici à partir de 2 heures du matin jusqu’à 6 heures, tu peux te taper 20 mille francs Cfa. Tu as toujours des clients», assure-t-il.
A Malika, les poules sirotent et ne caquettent plus
Malika, une localité située sur la route de Keur Massar, a été rendue encore plus célèbre par une grande floraison de bars, qui ont remplacé les poulaillers et les vergers qui, à une époque, rendaient ces lieux attirants. Actuellement, ce sont les auberges qui dominent. Des adeptes viennent souvent de très loin, même de la ville de Dakar, pour s’offrir du plaisir en couple en ces lieux. Mais les filles de joie sont à profusion sur place. Et il suffit juste de s’approcher du gérant et de lui soumettre son désir, pour voir celui-ci satisfait dans l’heure.
Les demoiselles sont jeunes, et viennent souvent des localités de la grande banlieue. En cette période de vacances, la grande affluence des clients fait flamber les prix. On casque 7 500 francs pour 1 heure de temps, renouvelable si le client en souhaite encore. Et les prix des chambres pour la journée, varient entre 2 500 pour les cabanons et 5 000 francs pour l’hôtel.
Des tarifs abordables, qui incitent souvent les clients à faire leurs réservations. Et les week-ends, c’est la grande affluence. Mais d’habitude, l’hôtel est plus fréquenté par les adeptes de la discrétion. Et dans les chambres, des salles de bain sont disponibles. Ces commodités permettent à certains clients de passer toute la journée sans être aperçus par une quelconque connaissance.
A Guédiawaye, un autre bar, doublé d’un hôtel et des salles diverses, est situé sur la route qui mène vers le lieudit Canada. Ici, tous les goûts sont dans la nature. Des bars, un mini hôtel avec chambres de passage, des salles de spectacles, ou des salles de réunions, entre autres. Tout est programmé pour la satisfaction du consommateur payant. Et les filles de joie sont ce qui manque le moins.
La chambre de passe est à 5 000 mille pour une heure. Et les filles de joie disponibles pour leur partition. 10 mille francs pour une partie de plaisir. Ici, pas de marchandage, c’est à prendre ou à laisser. Car le milieu influence le tarif. Le lieu n’est pas fréquenté par n’importe qui.
Elle s’appelle A.F et habite Thiaroye Gare. Très connue par les gérants d’auberge et bar de la banlieue, elle raconte une partie de sa vie : «J’ai subi toutes sortes de choses. Aujourd’hui, je travaille comme femme de ménage dans cette boîte. Etant donné mon âge, depuis des années, tous les videurs des boîtes de la banlieue me connaissent et sont donc plus indulgents avec moi.» Aujourd’hui, devenue une «mémé» avachie par le poids des excès de toutes sortes, A. F. soutient : «J‘ai cessé de pratiquer ce métier. On perd aussi de ses attraits et les clients sont de plus en plus jeunes et exigeants. Et la concurrence des jeunes filles est impitoyable. Souvent les clients prennent les numéros de ces dernières qu’ils contactent directement», explique-t-elle dans un rire empreint de tristesse.
A Mbao, les auberges et bars ont l’air de pousser partout dans plusieurs coins de la grande commune. Et les tenanciers se frottent les mains. Pour les habitants, il n’est plus nécessaire maintenant de quitter la capitale pour se rendre sur la Petite Côte, dans les auberges de Saly ou de Mbour. En ces lieux, les auberges ont concurrencé les hôtels à tel point que beaucoup de clients les préfèrent aux hôtels qui, pour beaucoup, tombent en décrépitude. A Mbao, les auberges se différencient par leurs prix abordables. Pour certaines auberges, il faut débourser la somme de 15 mille francs, sinon plus pour la journée. Le silence, la discrétion et la sécurité semblent assurés à 100%. «Nous avons beaucoup de personnalités qui viennent ici passer les week-ends. Une heure de temps pour 15 mille francs n’est pas à la portée de toutes les bourses», souligne un employé de l’une de ces structures.
De manière générale, on se rend compte que le business du sexe est devenu une véritable entreprise économique dans la banlieue. En dehors des filles de joie et de leur famille qui en vivent ou en survivent, plein de monde dépendent de l’activité de ces femmes dont la société reprouve la conduite. L’enquête a permis au Quotidien de se rendre compte que plusieurs taximen ne pourraient pas boucler leur «versement» sans ces clientes. On ne parle donc pas des gérants de station, qui leur livrent l’essence. Ni des tenanciers de bars et autres boîtes de nuit. A entendre certains se prononcer, c’est à se demander s’il ne faudrait pas préserver le travail de ces dames, dont le pain se gagne à la sueur… de leurs cuisses.
Le Quotidien