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Entretien avec Nigger Mass (rappeur) « Je m’en prends à ceux qui caricaturent et diffusent uniquement le côté sauvage du continent africain »

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Il est connu pour sa liberté de ton, la dureté de ses textes et l’originalité de son style musical. Avec une dizaine d’années d’expérience dans la musique, Massamba Thiam, alias Nigger Mass, a trouvé dans le rap une voie d’expression, une mélodie qui allie l’utile à l’agréable, l’engagement et le divertissement. Panafricaniste dans l’âme, Nigger Mass, c’est aussi le rappeur qui n’aime pas du tout la langue de bois.


Qui est Nigger Mass ? Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Je me considère comme militant activiste, qui lutte pour la cause panafricaine, la restitution de la dignité au peuple africain, la libération du continent et l’union des peuples.

En ce 21ème siècle, est-il raisonnable d’utiliser le terme « Nigger » comme appellation ?

Il faut savoir que Nigger peut être employé pour designer l’ensemble des valeurs de la négritude, l’appartenance ethnique à une grande civilisation d’Afrique noire qui a souffert dans son passé d’esclavage, de néocolonialisme, et qui souffre aujourd’hui d’impérialisme. Ce mot a été choisi à sa juste valeur pour englober toute la souffrance de l’humanité, des opprimés d’Afrique, d’Amérique et des Caraïbes en vue d’en faire un puissant fer de lance du respect de l’homme noir. Et donc pour revenir à la question, partant des principes évoqués précédemment et de mes profondes convictions, on peut employer Nigger depuis le premier jour où le célèbre Marcus Garvey a pris l’initiative de se lancer dans la lutte pour l’amélioration de la situation des Noirs. Il est à l’origine du journal appelé « Negro words », ce même combat va continuer avec Aimé Césaire et L.S Senghor qui ont forgé la négritude au 20ème siècle plus précisément en 1935. Aujourd’hui, nous sommes au 21ème siècle, cette idéologie est encore d’actualité car on parle de Festival des arts nègres, il y a aussi le Fonds unis d’université de nègre (qui est une des plus grandes organisations philanthropiques qui détient des fonds de bourses pour 39 universités privées américaines historiquement noires). En parlant d’anthropologie, je fais référence à Cheikh Anta Diop, qui, à travers son ouvrage « Nations nègres et culture, » a pu démontrer que la civilisation égyptienne est une civilisation « Nègre ». Partant d’un principe afro-centré, je me considère comme un membre appartenant historiquement à une grande civilisation qui est la civilisation négro-africaine.

Comment avez-vous atterri dans le monde de la musique ?

Je pense que c’est la musique qui a atterri sur moi, car j’ai commencé d’abord par épouser la philosophie rebelle que Bob Marley m’a inculquée, et donc j’ai senti les vibrations qui se sont encrées naturellement en moi, de là j’ai commencé l’écriture en m’inspirant totalement de la poésie africaine qui m’a donné l’envie d’adapter cet art sous une forme musicale. J’avais tous les éléments qui se sont présentés, je n’ai fait que les réunir.

Pourquoi avoir choisi le rap et non un autre genre musical ?

Je ne fais pas du rap seulement, je fais du slam, du reggae, de la poésie, car issus de la même famille, mais c’est la musique rap qui est plus distinguée dans mes chansons. Nous savons que le rap et la poésie sont quasi similaires, j’ai tout de suite compris que la musique que je ressentais me parlait en langage « rap », et quand j’écrivais mes premières chansons, ce sont des rythmes saccadés (utilisés en rap) qui sortaient le plus souvent. En associant poésie engagée, reggae, et idéologie panafricaine cela fait de moi un « Nigger ».

Vous avez formé le groupe « Takussan » avec un dénommé Yann Diop : qui est-il et comment est née cette idée ?

Le projet « Takussaan » est un collectif que j’ai mis en place en m’associant avec Yann Diop (un Ami qui est d’origine française ) qui joue un instrument riche dans son histoire qui s’appelle le « Xalam » il s’inspire des nombreuses traditions musicales du Sénégal. J’apporte des textes, à la fois poétiques et engagés, qui combinent morceaux « classiques » (issues des répertoires wolof et peulh) et compositions personnelles. Les percussions comme le Tama ou la calebasse ont leur place et sont jouées par différents musiciens. Cette idée est une suite logique qui découle de mon idéologie panafricaine pour valoriser la culture africaine dans toutes ses richesses et de toutes ses formes. Nous avons tout pour montrer nos richesses, alors faisons-le.

On vous décrit souvent comme rebelle : l’êtes-vous vraiment ? D’où tenez-vous votre engagement ?

Je ne sais pas si c’est rebelle qui est le mot approprié mais la seule chose que je sais, c’est que je suis totalement opposé à un système qui veut manipuler le continent africain, je suis extrêmement opposé à ce que le nègre soit exploité, dominé manœuvré, piétiné par des impérialistes occidentaux ou mêmes africains qui pillent au quotidien nos ressources naturelles et intellectuelles.

Je suis également opposé à un système dictatorial qui est orchestré par des chefs d’Etats voyous qui pensent uniquement à leurs intérêts et non au peuple.

Je suis également opposé à la dégradation des mœurs, à la négligence de l’éducation, au laxisme, et au rejet de l’identité, des valeurs, et de la dignité.

Si tous ces éléments « légitimes » que je viens de citer sont qualifiés comme une rébellion alors je suis et serai rebelle dans l’âme jusqu’ à la pointe des pieds et cela, quelles que soient les conséquences. Je considère que toute personne a le droit de sauver sa communauté quel que soit le prix que ça coûte sinon c’est qualifié comme « non assistance à un continent ou un pays en danger ».

Dans l’album « Brain Wash », vous vous en prenez à ce que vous appelez « le côté sauvage du continent » : est-ce de la provocation ou de la caricature ?

Dans le premier album « Brain Wash » je m’en prends à ceux qui diffusent uniquement le côté sauvage du continent africain ; ce sont eux justement qui caricaturent le continent, ce sont ces mêmes impérialistes qui veulent pourrir l’image de l’homme noir, ainsi que certains incultes qui sont venus prononcer un discours à Dakar pour dire que l’homme noir Africain n’est pas assez rentré dans l’histoire. Alors dites-moi qui est le provocateur principal ? Au passage je leur réponds, ce sont eux qui ne sont pas assez rentrés dans l’histoire pour apprendre l’histoire de l’homme noir.

L’Afrique et le thème du développement sont très présents dans vos textes. Comment jugez-vous l’instabilité politique dans certains pays de l’Afrique sub-saharienne avec le retour des coups d’Etat?

Il faut savoir qu’il y a une grande responsabilité que nous avons tous en tant que Africain, c’est-à-dire de régler nos propres problèmes internes. Les problèmes il y en a partout, comme dans chaque famille, par contre nous devons expulser toute autre domination étrangère qui veuille manœuvrer et dicter  notre système gouvernemental par intérêt pétroliers ou autres.

Quelle responsabilité imputez-vous aux élites africaines dans le devenir du continent ?

Aujourd’hui ceux qu’on appelle les élites Africaines, je ne suis par certain qu’ils méritent cette appellation, des présidents anti démocrates, nous n’en voulons plus, des présidents qui s’amusent avec les deniers publics ne méritent pas qu’on les considère comme élites du peuple. Je pense que l’élite du peuple, ce sont les populations les plus modestes qui se battent toujours pour nourrir leur famille, et donc, pour revenir à la question, la situation actuelle de l’Afrique est en grande majorité la responsabilité de nos dirigeants africains qui se laissent humilier par les Occidentaux.

Depuis l’étranger, quelle lecture faites-vous de la situation politique actuelle au Sénégal ?

Le Sénégal est dans une situation catastrophique tant dans le domaine de la santé, de l’économie, de l’éducation et même de la culture. Nous savons que nos dirigeants habituels ont prouvé leur incapacité à régler les problèmes les plus élémentaires du pays. C’est vraiment dommage de voir que le seuil de pauvreté a atteint à un niveau très élevé, et ce phénomène risque de perdurer à la longue si nous ne prenons pas la ferme décision de placer des gens compétents qui seront au pouvoir uniquement pour l’intérêt commun, c’est pour cela nous devons nous mobiliser, dans la solidarité avec toutes nos forces patriotiques pour sauver notre démocratie et nos valeurs républicaines.

Dans vos textes vous semblez prôner un retour vers un traditionalisme, avec des instruments comme le « tama » et la calebasse. Le rap est-il compatible avec la musique traditionnelle ?

Nous savons tous à la base que le rap est une musique traditionnelle, nos grands pères ont fait du rap, nos grand-mères en ont fait et le font toujours. Je fais allusion au « Tassou » ou les différentes expressions qui ont suivi les routes de l’esclavage, d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Le « tassou », le « kébétou », le « kandang », mbébéet le « bak », transformés par les tambours de l’exil, ont donné naissance au « Gros ka », au « champeta », au « bomba », au « reggae », au « hip hop », au « rap » ou au « slam ». Et donc le rap n’a fait que quitter l’Afrique, a été exporté en Amérique par d’autres méthodes et un profond déracinement, et au lieu de copier sur les Américains, je préfère garder celui de mes ancêtres.

Comment jugez-vous l’absence d’engagement chez bon nombre de musiciens ou producteurs de Mbalakh ?

C’est leur choix, je ne peux que le respecter, mais la différence se fera toujours.

Il y a quelques années un rappeur sénégalais taxait le « Mbalakh » de « musique à jeter » : partagez-vous cette assertion ?

Je dirais plutôt que c’est une musique à améliorer, c’est une musique qui marche uniquement au Sénégal ! Cela devrait interpeller certains ! Nul n’a réussi a faire à la une de tous les médias internationaux avec le Mbalax, les Européens et les Américains ne le connaissent pas encore assez, les plus grands musiciens sénégalais qui vont vendre en Europe l’ont compris c’est pour cela qu’ils font parfois deux albums, un qui se vend en Afrique et un autre « international » avec moins de bruits. (Rires)

Vous avez assuré les premières parties des concerts de Manu  Dibango en juin 2007 et du groupe Kassav à Evry en juin 2009 à l’occasion de la Fête de la musique. Qu’en est-il de vos relations avec les artistes sénégalais ?

Je n’ai pas encore eu l’occasion de travailler avec les artistes sénégalais, vu la distance qui sépare la France et le Sénégal, mais je compte enrichir cette ouverture avec certains d’entre eux que je respecte beaucoup. J’ai l’ultime conviction que cette collaboration se fera naturellement et dans les meilleurs délais. Toutefois, je suis très attiré par la musique de Souleymane Faye, son style musical se distingue de ce qu’on a l’habitude de voir, ce n’est pas une musique qui abrutit. Il a un style artistique très particulier ; ses paroles sont très sensées. D’ailleurs, j’ai eu à faire un duo avec lui, sur scène, en décembre 2008, au Just for You.

Question intime : Nigger Mass est-il un cœur à prendre ?

Il y aura toujours une place pour toute personne qui adhère à mon combat qui est purement par amour du peuple.

A quand la sortie du prochain album ?

Mon 2ème album sera disponible d’ici 2011 il est en cours d’enregistrement

Avez-vous autre chose à ajouter ?

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Contact : [email protected]

Momar Mbaye

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