Un mois après la déclaration du premier cas de COVID-19, il n’est pas inutile de jeter un regard critique sur la manière dont nos autorités ont relevé le défi d’une épidémie terrifiante dont la gestion est tout à la fois complexe et délicate.
Au premier abord, la régularité des points de presse quotidiens des plus hautes autorités sanitaires de notre pays ne peut qu’inspirer confiance sur leur souci d’ouverture et de transparence, même si les porte-paroles se prêtent rarement au jeu de questions-réponses avec la presse. Des communiqués succincts et précis font également le point, chaque jour, sur les résultats des examens virologiques réalisés.
D’importants efforts sont fournis par les districts et régions médicales pour l’identification immédiate des patients infectés et leur isolement pour interrompre la transmission.
Pour anticiper sur l’afflux massif de patients, le dépistage a commencé à se faire à Touba (unité mobile) ou Diamniadio (IRESSEF) et plusieurs sites de prise en charge sont également ouverts dans les grands hôpitaux de Dakar et dans les régions (Touba, Ziguinchor…).
Nous n’évoquerons pas ici toutes les mesures positives d’accompagnement (fiscales, distribution de vivres, soutien aux entreprises en difficulté, réorganisation du transport…etc.).
Il est donc indéniable que le gouvernement sénégalais a mis en œuvre toute une batterie de mesures de nature à freiner la propagation de l’épidémie.
Ce qu’il y a de remarquable dans le déroulement de l’épidémie dans notre pays, c’est que certaines couches de la population ont même tendance à fermer spontanément leurs commerces ou à s’auto-confiner. Il s’agit, là, au-delà de la panique généralisée, d’un effet de mimétisme des pays occidentaux (France, Italie, USA…) où nous comptons de fortes communautés sénégalaises.
S’il faut se féliciter de la prise de conscience généralisée des enjeux de la lutte contre le COVID-19, il ne faut pas perdre de vue les contraintes qui pèsent sur la mise en œuvre optimale des mesures barrières telles que préconisées par les autorités sanitaires.
Il s’agit de la difficulté à lutter contre la surcharge des véhicules de transport, essentiellement du fait du manque à gagner des transporteurs, auxquels on demande de réduire le nombre de passagers. Il y a aussi la cherté voire la pénurie de masques, gels hydroalcooliques, thermoflashes… (parfois objet de spéculations et de trafics douteux), sans oublier la promiscuité dans certaines habitations de la proche ou lointaine banlieue et les difficultés objectives de certains ménages très pauvres à trouver des moyens de subsistance ou à se procurer des produits pour l’hygiène individuelle et collective (savon, eau de javel…).
Et c’est bien pour cela qu’il est difficile de se faire une idée de l’efficacité réelle de ces mesures édictées par les autorités sanitaires !
Ce n’est donc nullement manquer de respect aux experts en charge de l’épidémie de COVID-19 (qui manquent parfois cruellement de moyens), que de s’interroger sur le paradoxe d’un si petit nombre de cas confirmés (195), pour une affection aussi contagieuse, trente jours après la déclaration du premier cas, le 02 mars dernier.
On se doit de reconnaître, que la situation est similaire dans beaucoup de pays africains et que de plus en plus, la piste du rôle protecteur du BCG est évoquée. Néanmoins, on ne peut manquer de se poser des questions, car selon les projections de certains experts, qui stipulent que premièrement, un cas confirmé signifie au moins 9 autres cas cachés et que deuxièmement, le nombre de cas double tous les trois jours, le nombre de cas devrait être plus conséquent, malgré les mesures de distanciation sociale en cours.
Par ailleurs, quand on est convaincu que nos réalités sociales et les capacités de notre système sanitaire ne sauraient nous permettre d’identifier, de manière exhaustive, tous les cas-contacts, on comprend que la différenciation entre cas importés, communautaires et contacts pourrait relever de la spéculation.
Cela n’enlève en rien au mérite du gouvernement, qui a pris des mesures de distanciation sociale comme la fermeture des écoles et universités, la fermeture de plusieurs commerces non essentiels, le report/annulation des manifestations religieuses, sportives voire familiales, le couvre-feu nocturne et le réaménagement des horaires et modalités de travail, incluant le télétravail …etc. Si nous n’en sommes pas encore arrivés à un confinement généralisé, c’est très certainement parce que nos réalités socioculturelles, mais surtout économiques, rendent très problématique cette éventualité.
Il faut cesser de faire comme la France, qui sacrifie l’efficience de ses stratégies de prévention sur l’autel des pénuries du moment, qu’il s’agisse des masques (qu’il serait superflu de porter quand on n’est pas malade) ou des tests de dépistage qu’on devrait réserver aux cas suspects, au moment où l’Allemagne fait cinq cent mille tests par semaine.
Pour avoir un aperçu de la situation réelle de l’épidémie, il serait judicieux de commencer à réfléchir sur une stratégie de dépistage massif, qui permettrait un isolement et un suivi rapide des cas confirmés.
Dr Mohamed Lamine LY,
Cabinet médical Sancombao
Grand-Mbao, cité Baye Niasse
Références
- Aaron Miller, Mac Josh Reandelar, Kimberly Fasciglione, Violeta Roumenova, Yan Li, and Gonzalo H. Otazu : Correlation between universal BCG vaccination policy and reduced morbidity and mortality for COVID-19: an epidemiological study
- Jason S. Warner :The Sober Math Everyone Must Understand about the Pandemic
- UnitedNations Office for Disaster Risk Reduction : How is South Korea suppressing COVID-19