Premier parti de l’opposition, au sortir des législatives du 1er juillet, le Parti démocratique sénégalais (Pds) peut-il empêcher le Président Macky Sall, son gouvernement, sa coalition de gérer le pays dans la paix civile ? Fortement ébranlée, la formation de Me Abdoulaye Wade n’a ni les moyens, ni la marge de manœuvre pour peser sur le cours des choses. Pas même dans les dispositions de mener une quelconque agitation, le Pds devrait plutôt panser ses blessures et réapprendre à s’opposer. Pourquoi alors, Macky Sall, chef de l’Etat, leader de la coalition «Benno Bokk Yaakaar» forte de ses 119 députés sur 150, a-t-il cru devoir appeler à un compromis historique incluant le Pds ?
Une fausse piste pour égarer l’adversaire tout en se préparant à trouver les moyens de le mettre en position hors-jeu ? Cela en a tout l’air car, rien, en considération du contexte politique, ne légitime une entente avec cette formation pour «stabiliser» une situation loin d’être lourde de menaces. Le Sénégal n’est pas, au plan politique, radicalement divisé en deux, comme le fut l’Italie promotrice du «Compromesso storico» quand Aldo Moro et les démocrates chrétiens (38 % des suffrages aux législatives de 1976) proposaient à Enrico Berlinger et au Parti communiste italien (34 % des suffrages aux mêmes législatives), de se retrouver avec d’autres forces politiques (libéraux, socialistes, sociaux-démocrates), pour exécuter un programme de gouvernement.
En théorisant «la ligne sénégalaise du compromis historique» au début des années 1980 alors que Abdou Diouf venait de succéder au président Léopold Sédar Senghor, le regretté Babacar Sine s’était fondé sur une analyse de la situation politique au Sénégal assez difficile. Elle était marquée par la fragilisation du Parti socialiste(Ps) face au Parti démocratique sénégalais(Pds) puis, le multipartisme intégral aidant, par la lutte menée sur tous les fronts par la Ligue démocratique/ Mouvement pour le parti du travail (Ld/Mpt), le Parti de l’indépendance et du Travail (Pit), And jëf/ Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads), le Rassemblement national démocratique (Rnd), le Parti pour la libération du peuple(Plp), des forces de la gauche extrême. Point culminant de cette séquence, 1988. Trois ans après, Abdou Diouf appelait au gouvernement, et pour la première fois, le Pds, la Ld/Mpt et le Pit. Aj/Pads avait décliné l’offre. Rebelote en 1994, au plus fort de la mise en application de la politique d’ajustement structurel.
On est à mille lieux de ce contexte. Les éléments constitutifs d’un compromis historique sont d’autant moins réunis que, face à «Benno Bokk Yaakar», le Pds et «Bokk gis gis» restent sur les marges de la représentativité politique. L’invite au «compromis historique» peut être interprétée comme un appel à candidatures, une issue de secours plus honorable pour enrôler des militants libéraux hésitants ou d’autres sensibilités politiques. La massification de l’Alliance pour la république (Apr), obligée de surveiller ses arrières et de se préparer à toutes les éventualités commande la mise en œuvre d’une telle opération. Que l’on ne s’y trompe pas. Le mode de traitement de la transhumance, à l’aube de la seconde alternance à la tête de l’Etat, sera forcément différencié de la première.
Le supplice du passage obligé à la télévision auquel était soumise la cohorte de 2000 sera certainement supprimé du programme. Les Nouveaux types de transhumants (Ntt) se feront plus discrets pour ne pas attirer l’attention sur leur déplacement. Les « vieux chevaux de retour » cavalant sans état d’âme des prairies Ps, Pds, à celle de l’Apr devront souffrir la concurrence de la nouvelle génération en quête de fourrage. L’Apr n’est pas aussi solide que l’était le Pds en 2001 avec plus de 70 députés (majorité absolue) sur les 89 de la coalition Sopi dans une assemblée nationale de 120 parlementaires. La marge de manœuvre de Me Abdoulaye Wade face à ses alliés du Front pour l’alternance (Fal) était plus grande.
Sans être l’otage de «Benno Bok Yaakar», Macky Sall qui, recentré sur sa formation ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, est dans une posture d’équilibre instable. Il lui faut, tout en veillant à maintenir l’unité de la coalition qui l’a porté au pouvoir, trouver à terme, les forces pour contrer toutes les tentatives de déstabilisation. Pourquoi devrait-il prendre le risque de se voir reprocher une compromission historique avec des hommes et des femmes d’un parti pris dans le tourbillon des enquêtes ?
Pressé de toutes parts de rassurer les Sénégalais autrement que par des effets d’annonce, le président de la République peut-il installer le doute sur sa détermination à opérer une rupture dans le mode de gestion du pays, à mener à son terme le traitement du dossier des audits, la traque pour la récupération de l’argent, des biens meubles et immeubles soustraits à la communauté ? On le voit difficilement désespérer le peuple du 23 juin, le vote aux allures de plébiscite avec 65% des suffrages valablement exprimés le 25 mars. Cette éloquente manifestation de l’expression démocratique conforte la République et renouvelle le serment de tous et de chacun à accepter de vivre unis et différents, autour de consensus forts et de divergences nourries par des orientations politiques, des postures citoyennes autres.
C’est bien en assumant ces choix, que la contribution à la construction du pays restera une obligation civique. Il y aura toujours, dans le champ politique une droite, une gauche, leurs extrêmes et un centre avec ses nuances. Les idéologies et courants de pensée qui les couvent ne sont pas morts. Ils s’expriment simplement de manière plus différenciée dans un monde à la fois globalisé et recomposé depuis la chute du mur de Berlin, l’émergence du pôle Bric (Brésil, Russie Inde, Chine) qui a fini d’installer l’Europe et les Etats-Unis dans des postures peu favorables pour leurs modes de régence du monde.
Le cours de l’histoire impose de nouvelles manières d’opérer dans le choix des projets de société et des outils pour les traduire dans la quotidienneté et l’avenir des peuples. Nous pouvons avoir du mal à fixer les repères sur ces chemins. Il n’en reste pas moins que les lignes de fracture sont toujours présentes. Les effets de masque comme la transhumance, les alliances électorales, le clientélisme n’y feront rien. Les offres politiques renseignent à suffisance, sur les idéologies et orientations de ceux qui les formulent. On ne peut par contre, attendre d’un personnage ou d’un groupe fermé à toute prospective, une réflexion sur les fins. Dans la posture de l’entrepreneur, seuls les moyens de capter des ressources, de faire abstraction des besoins exprimés par la collectivité le mobilise.
Tout le discours sur l’incongruité de lignes de fractures entre la gauche, la droite et le centre tente de légitimer ces pratiques aux antipodes de la politique. Il recoupe les énonciations sur l’incompatibilité entre politique et vertu, en cherchant à valider et à présenter comme modèle, l’image du politicien retors et à le faire accepter comme tel. C’est ainsi que le microcosme accueille des hommes et femmes de qualité mais aussi, et en grand nombre, des personnages ubuesques. Comment s’étonner alors, que les « meilleurs d’entre nous » s’éloignent de cadres dont la vocation est de travailler à convaincre les populations de leur confier la gestion des affaires publiques ?
sudonline.sn
Un très bon papier, ça c’est du journalisme.
Merci Grand Ndiaga.
Je vous ai toujours suivi et lu vos billets tout comme ceux de Vieux savané, le défunt Cherif el walid, LATIF…
Merci encore pour votre plume.