Face à la plage ensoleillée de Ouakam, parsemée de barques aux couleurs vives, l’océan Atlantique est en colère. Pas autant que Momar Faye, un pêcheur qui répare son filet à l’ombre de la halle aux poissons. « J’ai comparé le prix de la statue à mon gain quotidien, et ça m’a fait mal. Le président a dépensé 15 milliards de francs CFA (23 millions d’euros), moi j’encaisse 1 000 francs (1,5 euro) par jour. Il ferait mieux d’aider les gens à vivre. »
Un peu plus haut, sur une colline volcanique, surgit la masse colossale du monument de la Renaissance africaine. Le président sénégalais Abdoulaye Wade devait l’inaugurer, samedi 3 avril, en présence d’une vingtaine de chefs d’Etat africains et du numéro deux de la Corée du Nord, dont le pays a assuré la construction de la statue dans le style néostalinien le plus pesant. Nicolas Sarkozy a décliné l’invitation ; Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, devait représenter la France.
Les Sénégalais, volontiers caustiques, n’ont pas tardé à imaginer que l’homme de bronze de 50 mètres de haut portant un enfant sur son biceps et tirant par la taille une femme vers un avenir radieux figurait leur président, son épouse et leur fils Karim, qui rêve de succéder à son père. Officiellement, le trio est porteur d’un tout autre message : « L’Afrique émerge de l’obscurité et regarde audacieusement vers l’Occident pour initier un nouveau dialogue, après des siècles d’esclavage et de colonisation », résume Bemba Ndiaye, porte-parole du président Wade.
« Fantasme de mégalomane » Le mastodonte, doté d’un ascenseur intérieur, est destiné à attirer les touristes. Mais le montage opaque qui a permis de le financer suscite le trouble. Le colosse a été réalisé moyennant la cession par l’Etat à une société immobilière de vastes terrains dont la valeur réelle est évaluée par l’opposition à trois fois son prix. La revendication par le président Wade de 35 % des revenus attendus du monument, au titre de la propriété intellectuelle de la statue, qu’il dit avoir conçue, a alimenté les accusations.
« Où a-t-on vu un président en affaires avec son propre pays ? », raille Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste, un des principaux opposants, qui considère le monument comme « un fantasme de mégalomane financé par la dilapidation du patrimoine national », et appelait, samedi, à une manifestation.
Même si le pagne de la femme géante a été allongé par rapport au projet, des imams ont estimé que pareille représentation heurtait l’islam. « Un monument de mécréant, un tapage contre la religion musulmane », tonne l’un d’eux dans le quotidien L’Observateur. Censée symboliser l’unité africaine, la statue divise la société sénégalaise.
Répondant à ses détracteurs, M. Wade a mis le feu aux poudres en leur demandant, en décembre 2009, pourquoi ils ne s’offusquaient pas des statues du Christ présentes dans les églises. « Des gens adorent le Christ qui n’est pas Dieu », a-t-il dit avant de s’excuser.
Au pied de la statue, dans ce quartier presque campagnard de Dakar où est née Ségolène Royal, l’indifférence et la raillerie le disputent à la satisfaction. « C’est une bénédiction », tranche Youssou Ndoye, chef coutumier, évoquant les emplois générés par le monument. « A l’époque où on construisait la tour Eiffel, beaucoup de Français n’avaient pas à manger », assure-t-il. Pour l’heure, le chef est préoccupé par les accidents de la route qui se multiplient à Ouakam depuis la construction de la statue, témoignant, selon lui, du réveil de Leuk Daour, le génie de Dakar. Pour l’apaiser, un boeuf noir a été sacrifié jeudi.
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