Loin des stades de football, c’est sur le terrain administratif que semble se jouer présentement le match, à l’issue incertaine, opposant Ferdinand Coly à ce qui pourrait être son futur ex-pays. En effet, l’ancien capitaine des lions dit avoir entrepris les démarches nécessaires pour renoncer à sa citoyenneté sénégalaise. La raison avancée : la lenteur des procédures judiciaires dans le contentieux qui l’oppose à Saliou Samb, le président du Stade de Mbour, qu’il accuse de l’avoir escroqué plusieurs millions.
Cette sortie médiatique fracassante de l’ancien lensois constitue-t-elle des cris d’orfraie d’un citoyen désespérément perdu dans les dédales des atermoiements de la justice de son pays ; ou est-elle juste un habile coup de communication visant à mettre une certaine pression sur les autorités judiciaires et politiques du pays – puisque la séparation des pouvoirs y est une chimère -, afin qu’elles se penchent plus rapidement sur son dossier. Car, si elle devait survenir, la renonciation du vice-champion d’Afrique 2002 à sa nationalité – pour des raisons de (in)justice – ferait non seulement le tour de la planète mais porterait un sacré coup à l’image du Sénégal dans le monde. Sans mentionner les réticences qu’elle pourrait engendrer entre autres chez nombre de nos compatriotes vivant à l’étranger et désireux d’investir dans le pays et les binationaux qui seraient tentés de répondre à l’appel de l’équipe nationale de football.
En tout état de cause cette situation doit pousser tout un chacun dans le pays, les autorités politiques en premier, à jeter regard très critique sur le fonctionnement de notre système judiciaire. Ce regard est d’autant plus nécessaire au moment où se tient le procès du double meurtre de Médinatoul Salam marqué surtout par l’absence de « l’autorité morale » des Thiantacounes pour des raisons médicales. Ce qui n’est pas nouveau parce que les questions de santé ont été souvent servies comme alibi par quelques gros bonnets pour se soustraire à la justice, éviter la prison ou obtenir une liberté provisoire avoir été incarcérés. Qui ne se souvient pas de ces phrases chocs et alarmantes: « Bibo Bourgi pisse du sang’’ ; ‘’Baïla Wane court un risque de mort subite’’ ; »Cheikh Béthio Thioune patient âgé de 76 ans aux antécédents : cardiovasculaires, hypertension artériel et fibrillation auriculaire récidivante, AVC ischémique avec transformation hémorragique sous anti vitamine K (AVK), maladie des petits vaisseaux, néo plagie en rémission sous chimiothérapie. Taïb Socé Souffre de diabète; Thione Seck souffre d’un diabète qui a atteint ses reins…’’. Pourtant une fois libérées, ces personnes commencent à vaquer à leurs occupations comme si de rien n’était. Pendant ce temps nombre de nos « pauvres concitoyens », qui n’ont ni leur notoriété encore moins leurs réseaux de relations croupissent en silence dans les prisons du pays pendant de longues années pour parfois des délits ou crimes qu’ils n’ont pas commis. Sans oublier les longues périodes de détention préventive. C’est dire à quel point le cri de cœur de Ferdinand Coly peut être compréhensible quel que soit ce qui le sous-tend. Car la justice au Sénégal, à maintes reprises, tarde non seulement à être rendue mais n’est pas souvent très bien rendue.
Dès lors, s’il est un domaine où le fast track – expression à la mode dans le pays – devrait être vite appliqué très sagement, ce serait bien celui de la justice. Même s’il peut y avoir des cas plus complexes dont le traitement demande beaucoup plus de temps.
Dans son livre, Afrique, notre avenir, Jacques Godfrain raconte qu’un président africain lui a dit un jour : « Pour avoir une économie saine, je préfère un bon ministre de justice à un bon ministre des finances. Sans les garanties judiciaires un pays ne peut pas se développer. » L’auteur de cette phrase ne croyait pas si bien dire. Car en plus d’être le fondement du contrat social liant les citoyens d’un pays, la justice est un terreau où pousse une économie prospère. Il suffit juste de regarder les pays les plus développés de la planète pour en avoir le cœur net. Dans un pays où règne une bonne justice sociale les investisseurs, locaux comme internationaux, sont prêts à se lancer dans de multiples projets parce que ne craignant pas d’être lésés et les richesses profitent équitablement à ceux qui y vivent. Imaginez que les milliards détournés sans conséquence dans les affaire Prodac, Mamour Diallo, Coud soient investis pour l’emploi des jeunes dans le pays. Le taux de chômage chuterait à coup sûr. Mais on est loin du compte! La sortie de Ferdinand Coly a eu au moins le mérite de faire parler du fonctionnement de la justice dans le pays.
BOSSE NDOYE
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Montréal
100% d’accord avec vous M. Ndoye. Mais il faut aller plus loin : une justice est toujours à l’image de sa société. Et notre société est malade, hypocrite et fondée sur le masla ! Vous savez très bien que ce sont les « connaissances » qui marchent chez nous, pas les procédures régulières. Et ce sont de mauvaises habitudes sociales qui dépassent les capacités d’un simple président de la république ou d’un ministre. Tous les sénégalais croient que pour régler le moindre problème, avoir un document administratif, rencontrer un médecin, soumettre une demande d’emploi, inscrire son enfant à l’école, avoir un passeport, il faut connaitre quelqu’un dans la justice comme dans tous les autres services de l’État. C’est une maladie nationale ! Il faut toujours avoir son « nit », son « kharit », son « mbok », son « grand » pour régler la demande la plus banale. Qu’on soit du pouvoir, de l’opposition, de la société civile, musicien, sportif, immigré, paysan ou simple citoyen, nous faisons tous la même chose et avons nos entrées et nos sorties dans les services publics comme privés. Même ton voisin peut te « recommander » à son frère qui travaille dans tel ou tel service ! Et nous croyons tous que « ça va aller plus vite ». C’est pas sérieux et c’est d’ailleurs contradictoire car nous commettons les mêmes méfaits que nous dénonçons pourtant chaque jour dans les médias ! Donc il faut comprendre Ferdinand Coly qui, par éthique, ne veut pas descendre aussi bas et il a raison d’être profondément indigné. Pourquoi des marabouts appellent quotidiennement des directeurs, des ministres ou des magistrats pour protéger des talibés ou « régler des cas » ? Pourquoi même un journaliste peut te « recommander » à quelqu’un pour avoir un service qui te revient de droit ? Pourquoi les gens vont trouver un chef de service chez lui pour lui soumettre leur dossier ? C’est faux de dire que c’est la faute des autres si notre société va si mal. Le problème c’est nous-mêmes ! Pourquoi les Sénégalais deviennent corrects et respectueux des règles dès qu’ils sont dans un pays étranger ? On est à des années lumières du fonctionnement normal des choses en Occident et même par rapport à d’autres pays africains comme le Rwanda, la Namibie, le Cap Vert ou l’Afrique du Sud ! Au Sénégal, même un président de la république ne peut rien changer si les sénégalais eux-mêmes n’acceptent pas de changer.