La décision du gouvernement de faire face à la presse tous les quinze jours, avec une première édition marquée par la présence de pas moins de 9 ministres, intrigue plus d’un. Un format de communication gouvernementale assez nouveau et particulier dont même les spécialistes en communication ne parviennent pas à comprendre les raisons. C’est du moins le cas de l’enseignant en communication à l’Université Gaston Berger (Ugb) de SaintLouis, Fernand Nino Mendy. Pour ce communicant, avec cette pléthore de ministres au cours d’une conférence de presse, on remarque énormément de problèmes à l’émission, au canal et aux destinataires finaux de la communication gouvernementale. Il croit fermement que c’est à la personne qui coordonne l’action gouvernementale, en l’occurrence le président de la République, en l’absence du Premier ministre, que doit revenir la charge de coordonner la communication gouvernementale, tout comme son agenda. |
Comment appréhendez-vous la communication du gouvernement qui a proposé un format nouveau, notamment des communications par quinzaine de jours, avec beaucoup de ministres ? La question que vous posez est très intéressante parce qu’elle est profonde. Parce qu’elle impose un rappel d’un certain nombre d’engagements et d’orientations gouvernementales, tel que stipulé par le concept de l’époque : le temps de l’action. Est-ce qu’aujourd’hui, c’est le temps de la parole, ou est-ce que c’est dans le temps de l’action qu’il y a le temps de la parole ? Je le dis, peut être en caricaturant, mais en termes de compréhension, la réalité semble être cette contradiction. Le premier élément d’analyse, c’est quelles sont les principes qui président à la communication de l’Etat ? Il faut dire d’abord qu’on parle d’Etat, donc on parle de sérieux. Parce que l’Etat a deux missions qui, à la limite même, président à la vie de ses citoyens. La richesse d’un pays dépend d’une large part de ce que l’Etat pose comme politique. L’autre aspect, c’est maintenant la communication d’un Etat. La communication est partie intégrante de l’action publique. Parce que nous ne sommes pas dans des royaumes, mais dans des Etats. Donc, la transparence, assurer l’équilibre, dégager des priorités, tout cela c’est pour amener la confiance des citoyens envers le gouvernement. Le grand problème aujourd’hui, quand vous dites aux gens que c’est le temps de l’action, est-ce que c’était un concept dû à un contexte ? En réalité, c’est un concept qui dégage la ligne de gouvernance d’un gouvernement. Quelles peuvent être les raisons profondes qui ont amené le gouvernement à nous proposer ce format là ? Dans le communiqué, on nous parle d’une stratégie de communication du gouvernement face à la presse. D’ailleurs, ça c’est un problème parce que le gouvernement ne parle pas à la presse, il parle aux citoyens. La presse n’est qu’un intermédiaire. Donc, il y a énormément de faiblesses relatives à l’émission, au canal et aux destinataires finaux de la communication gouvernementale. Nous doutons, parce que nous ignorons la vraie raison, et que malheureusement l’histoire a montré qu’il y a énormément de questions dans lesquelles le discours du gouvernement a été politique et quand la parole a été donnée aux scientifiques, il y a eu des contradictions. Un message se prépare, c’est quelque chose de délicat. Parce que, ce que nous craignons tous, c’est qu’il y ait un agenda caché sur ce format de communication qui nous a été proposé. Je pense que tous les citoyens intellectuels lucides de ce pays se posent des questions sur les véritables motifs de ce format de communication. Ce qui fait qu’aujourd’hui, est-ce que nous avons assez de confiance au discours de ce gouvernement ? Quel pourrait être l’impact sur les populations de ce format de plusieurs ministres en une conférence de presse ? C’est d’ailleurs l’une des erreurs, parce que ne peut pas parler de tout en même temps. Les statistiques au plan mondial montrent qu’un citoyen connecté reçoit plus de 3000 informations par jour. Quand on fait une conférence de presse, il est vrai qu’on parle en Français et en Wolof. Mais, c’est aux élites intellectuelles, économiques, politiques. Parce que ceux qui sont dans la communication pour apporter un changement de comportement, ils doivent sortir des villes et aller vers les campagnes. Pour qu’un message ait un impact, il faut énormément de temps. Ceux qui ne sont pas dans cette élite minoritaire sont considérés comme des citoyens empêchés. Parce que le code du discours, tout comme le canal et le support du discours sont des obstacles. On ne peut pas s’assurer que ce public qui ne fait pas partie de cette élite, perçoive le message et qu’il ait un impact. Il est vrai qu’il y a eu beaucoup d’acteurs sur des sujets qui se recoupent parfois. Quel est le risque pour ce genre de format ? En ce qui concerne les risques, c’est d’abord un manquement par rapport à la loi, par rapport au droit des citoyens. Parce que le citoyen, il a droit à l’information sur les politiques publiques. Mais le code, le support et le message qui lui sont transmis ne lui permettent de jouir de son statut de citoyen. Cela veut dire quand vous vous adressez à une partie des citoyens, en ignorant une autre qui est plus importante., c’est une rupture d’égalité des citoyens au niveau de ce format. Ça doit être corrigé. L’autre chose, c’est que nous sommes dans un espace public où en dehors des milliers de messages que les gens reçoivent par jour, il y a ce qu’on appelle le bruit. C’est-à-dire que nous avons des détours, comme les réseaux sociaux, comme la presse, qui ont d’autres priorités qui ne sont pas forcément celles du gouvernement. Ce qui veut dire qu’il y a un bruit qui empêche au message du gouvernement d’être très bien reçu. L’autre chose aussi, c’est pénible de suivre plusieurs personnes comme ça. Les intellectuels qui s’exercent à le faire, c’est une souffrance. L’attention humaine, techniquement, ne dépasse pas 15 minutes. Le reste, c’est des efforts dus à la culture de l’écoute. Maintenant qu’il n’y a pas une Primature pour coordonner la communication gouvernementale, que faudrait-il pour corriger, afin que le message passe au niveau des cibles? L’une des choses les plus importantes, c’est que la coordination de l’action gouvernementale doit être le mou de l’ossature d’un gouvernement. De telle sorte que c’est à ce niveau-là que l’agenda de la communication du gouvernement se décide. Il faut que ce soit ceux qui sont en charge de la coordination de l’action gouvernementale. Aujourd’hui, c’est le président de la République et que ce soit lui qui communique. Parce que c’est son format qu’il a choisi lui-même, par cohérence. De manière implicite, il est le Premier ministre en même temps président de la République. C’est à lui de coordonner la communication, de fixer un agenda thématique. L’agenda de la communication d’un gouvernement, ce ne sont même pas les personnes, mais ce sont les thèmes qu’il faut apporter. Il peut dire que cette semaine le ministre de l’Intérieur va parler de tel sujet, et qu’après ce sera le tour à celui de l’Eau, ainsi de suite. La communication gouvernementale ne répond pas de manière immédiate à l’action gouvernementale. Donc, il y a un temps de conception, celui de préparation du message, celui aussi d’opportunité médiatique qu’il faut choisir pour faire passer le message. Ça malheureusement, s’il n’y a pas de coordination, il y aura un problème pour bien comprendre. sudonline.sn |
Fernand Nino Mendy, Enseignant En Communication A L’ugb Sur “le Gouvernement Face A La Presse“ « Enormément De Faiblesses Relatives À L’émission, Au Canal Et Aux Destinataires Finaux De La Communication Gouvernementale»
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