Mes chers compatriotes,
Chers hôtes étrangers parmi nous,
Dans notre bienaimé Sénégal, les années se suivent et se ressemblent, conformes aux prévisions que j’ai
pris l’habitude d’annoncer chaque année en semblable occasion. Et c’est avec tristesse que je constate, comme
vous, que l’année 2021 a été une autre année de progression de la misère qui gagne de façon implacable les
différentes couches de notre société.
Parfois, presque découragé par l’indifférence que nos dirigeants affichent face aux multiples difficultés
qui agressent notre peuple, j’aurais pu faire le choix du silence. Je retiens toutefois de demeurer dans une
posture visant la prise de conscience de ceux qui gouvernent ce pays, car je pense encore possible de sauver le
Sénégal de la prochaine déflagration sociale qui le guette en répétition de celle dont j’avais prévenu en décembre
2020 et qui a eu lieu en février et mars 2021.
Affirmer que les années se suivent et se ressemblent est d’ailleurs une formule qui ne traduit sans doute
pas la vérité du vécu des ménages sénégalais. Une misère qui chaque année s’aggrave et s’étend est plutôt le
signe d’une dégradation continue des conditions de leur vie. Plutôt qu’en émergence, le Sénégal serait en
progression de sous-développement sans que la crise Covid-19 ne puisse servir de prétexte unique.
Les Sénégalais sont de plus en plus fatigués.
Cette aggravation de la pauvreté au Sénégal est par contre conséquence d’un paramètre constant : la mal-
gouvernance de l’État faite d’incompétence et de corruption à grande échelle.
En contradiction avec nos appréciations des performances économiques réelles, nous assistons
invariablement à la publication de statistiques insolites et chimériques : elles sont destinées à prouver de fausses
réalisations économiques au bénéfice des populations, et à défendre la fausse réalité d’une entrée en émergence
économique qui serait toute proche.
Les publications du Fond Monétaire International (FMI) d’octobre 2021 commencent cependant à
s’écarter des statistiques officielles du régime sénégalais. Elles annoncent ainsi pour 2021 une croissance du PIB
limitée à 4,7% bien qu’en partie déterminée par des performances agricoles imaginaires ; cette croissance sera
assortie de dérapages lourds qui porteront l’endettement de l’État à 71,9% du PIB et le déficit budgétaire à 6,3%
de ce même PIB ; en outre, le solde négatif courant des paiements extérieurs augmentera de 2 points passant
de -10,2% à -12,2%.
Dans un contexte de hausse des prix du pétrole reconstituant la nécessité de subventions à la Senelec, ces
données prouvent l’échec des objectifs retenus par cette institution dans le cadre de son programme ICPE
(Instrument de Coordination des Politiques Économiques).
Cet échec est d’autant plus grave qu’il prend l’allure d’une double peine infligée au Peuple du Sénégal. Il survient
en effet malgré un ajustement structurel maintenu qui se traduit par de lourdes ponctions sur le pouvoir d’achat
des ménages du fait d’une hausse généralisée des prix à la consommation, en partie conséquence des décisions
de Macky Sall ayant porté sur le relèvement des prix de l’électricité et des droits de douanes.
Les tendances lourdes observées au cours du dernier trimestre de l’année qui s’achève devraient se
maintenir durant l’année 2022. La reprise économique mondiale est concomitante d’une inflation généralisée
qui n’épargnera pas un Sénégal déjà touché.
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L’ère d’un prix du pétrole bas est passée. La reconstitution des stocks d’entreprises, insuffisants ou trop
réduits au sortir de la crise Covid-19, continuera de peser sur le niveau général des prix ; de même les politiques
monétaires accommodantes. Les perturbations survenues dans les chaînes d’approvisionnement logistique
créeront de la rareté, autre cause de hausse des prix mondiaux.
Le Sénégal, faut-il le rappeler, est un pays dont les approvisionnements alimentaires et énergétiques
dépendent à un niveau très élevé de l’extérieur. Cette inflation mondiale sera donc également importée en sus
de celle d’origine endogène.
L’augmentation récente du prix du pain de près de 17% est la conséquence de celle importante du prix du blé.
Mais ce sont bien l’ensemble des prix alimentaires mondiaux qui grimpent de 33% en rythme annuel, et ceux du
Sénégal ne font pas exception.
L’électricité y restera très chère car d’une part le prix des hydrocarbures s’est renchéri, et d’autre part la
Senelec continue d’être gérée comme une propriété du parti au pouvoir. Elle est dès lors le lieu de combines et
marchés scandaleux tels celui de l’achat de poteaux électriques en béton de 36 milliards qui aurait pu être facturé
à environ 500 millions fcfa.
Le coût des soins de santé est devenu exorbitant, souvent inaccessible.
Les prix de l’eau augmentent sous le prétexte d’un changement de concession largement contesté ; ceux des
loyers s’envolent sous l’effet d’une spéculation que les autorités sont incompétentes à juguler malgré de grandes
déclarations répétées depuis huit années.
Les mauvaises performances agricoles sont les conséquences directes du retrait de la priorité à accorder à ce
secteur. Elles jouent un rôle important dans le renchérissement des denrées alimentaires, l’accroissement de la
pauvreté dans les campagnes et le déséquilibre de la balance des paiements de notre pays.
Retenons de tous ces rappels que le Sénégalais continuera de faire face à un renchérissement du cout de la vie
provoquant son appauvrissement régulier et constant. L’année 2022 ne fera pas exception.
Les Sénégalais seront de plus en plus fatigués dans l’attente d’un espoir redevenu possible en 2024.
Le développement des productions céréalières locales aurait pu limiter la hausse du prix des denrées
alimentaires au niveau des ménages les plus défavorisés. Mais les statistiques de production exceptionnelles qui
ont été annoncées en fin d’année dernière – et qui seront sans doute dans la même veine cette année – ne
correspondent malheureusement à aucune réalité tangible. Les agriculteurs, livrés à eux-mêmes, ne recevant ni
semences de qualité, ni engrais à bonne date, ni encadrement technique, n’ont pas été en mesure de produire
les tonnages de céréales annoncés en hausse de 38%.
Les statistiques mensongères ont également concerné la production d’arachide. Cette dernière passerait ainsi
chaque année le cap d’un nouveau record sans que les intrants ne soient en accroissement cohérent ; peut-on
croire qu’une production annoncée de 1 800 000 tonnes en 2020-2021 n’aurait pas permis de livrer 100 000
tonnes aux industries locales obligées d’arrêter leurs activités ?
Nos compatriotes paysans souffrent donc à la fois de la hausse des prix et de pertes de revenus.
La crise Covid-19 a largement amputé les revenus des petits métiers dans les centres urbains et du
tourisme. Cette souffrance de perte de pouvoir d’achat, combinaison d’une baisse des revenus et d’une
augmentation des prix, n’a donc pas épargné les centres urbains.
Face à cette grave situation économique et sociale, l’État a perdu ses marges de manœuvre pour venir
en aide aux populations. Et les interrogations restent nombreuses sur l’usage des 1000 milliards fcfa annoncés
avec cet objectif.
La mal gouvernance l’a conduit dans des impasses à la fois budgétaire et d’endettement que nous avions
tôt annoncées comme inexorables. Venus de champions de l’effet d’annonce, un budget faussement présenté
en violation de la loi comme dépassant 5000 milliards n’y changera rien ; un taux d’endettement présenté
convenable parce que le PIB a été augmenté par des fausses statistiques de production nationale non plus.
Malheureusement, ces fausses statistiques permettent à un Fond Monétaire International curieusement crédule
de justifier la politique d’ajustement structurel imposée au Sénégal même si rebaptisée « Instrument de
Coordination des Politiques Économiques (ICPE) ».
La progression de la ponction fiscale préconisée, la réduction des subventions à une électricité dont le prix grève
déjà la compétitivité de l’économie sénégalaise, la priorité donnée au respect des échéances du service de la
dette sont les clés de voûte de l’ICPE.
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Des politiques économiques orientées vers ces objectifs ne feront qu’accroître la dégradation en cours d’une
économie qui ne produit pas assez, et qui ne produira davantage qu’avec beaucoup de difficulté en raison d’une
compétitivité plombée par des coûts de facteurs trop élevés ; une économie qui également souffre d’une
absence de demande orientée vers ses productions nationales.
Face à un État dont le pouvoir d’intervention pour assurer la relance s’est éteint du fait d’une incompétence
certaine et d’une gabegie omniprésente, l’ICPE fait semblant de croire en un relais de croissance qui pourrait
être assuré par un secteur privé dont la situation exsangue n’échappe à aucun opérateur économique sérieux.
La difficulté est en effet partout : agriculture, tourisme, transports, santé, éducation…
Ces impasses tant budgétaires, d’endettement que de croissance, dans lesquelles le Sénégal se trouve,
ne sont que rappels car avertissements que je vous ai régulièrement livrés ces dernières années. Et prenons bien
conscience que le retour d’un Premier ministre est pensé comme une urgence impérieuse de transférer et de
partager les responsabilités de ces échecs.
En fin d’année dernière, j’avais en sus annoncé « une déflagration sociale » comme un risque élevé. Les
graves évènements de février et mars 2021, avec leur lot de morts n’ayant à ce jour donné lieu à aucune avancée
d’enquête connue, nous ont malheureusement donné raison.
Je suis de nouveau dans l’obligation de lancer un avertissement pressant : ceux qui pensent qu’un appareil
répressif renforcé peut suffire à prévenir d’autres accès de fièvre ressemblant à ceux de février et mars 2021
commettent une grave erreur. La solution à la détresse d’une jeunesse cherchant à fuir leur pays dans des
pirogues de fortune au risque de perdre la vie, n’est pas dans le recrutement de forces de police supplémentaires,
non plus dans l’achat de milliers de grenades.
La solution se trouve dans une croissance réelle organisée, une équité économique assurée, la fin des injustices
de toutes sortes et le retour au respect des droits.
Il faut absolument des solutions à l’appauvrissement régulier des populations de la campagne et des villes. Elles
se trouvent dans le long terme de la reconstruction économique du Sénégal et dans une urgence d’espoir à
donner par un redressement moral nécessaire, une mal gouvernance éradiquée et une politique économique
repensée.
La voie du salut se trouve dans un principe qu’il est urgent de partout imposer :
L’usage au profit du plus grand nombre de moyens qui sont et resteront réduits.
L’usage au profit du plus grand nombre de moyens qui sont et resteront réduits.
Hors cette voie, qui seule peut redonner le sourire à une jeunesse désespérée en quête de la moindre occasion
pour exprimer son exaspération, je me vois dans l’obligation de réaffirmer avec une peine certaine que la
prochaine déflagration qui naîtra d’une pauvreté grandissante devenue intolérable et d’une étincelle d’injustice,
sera des plus dramatiques.
Et puisqu’il ne nous faut jouer avec le feu, allons vers des élections communales et départementales apaisées et
transparentes.
Sénégalaises, Sénégalais, Chers hôtes étrangers parmi nous,
Puisse Dieu nous donner, et à ceux qui dirigent ce pays, la nécessaire prise de conscience des dangers qui nous
guettent. Puisse-t-il nous donner les forces indispensables au sursaut qui éloignerait les risques déjà si présents
dans notre sous-région.
Dieu garde et protège le Sénégal, le Sahel et l’Afrique !
Afin que nous puissions espérer d’une bonne et heureuse année 2022.
Prenez soin de vous ! Protégez-vous et vos proches contre le Covid et ses variants !
Deweneti !
Le prononcé du discours est disponible sur :
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