A travers différents programmes tels que le Programme national d’investissement agricole (Pnia) dans le cadre du Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (Pdda), l’Etat essaie de mettre en place des mécanismes de financement de l’agriculture. Mais, concrètement, pour un paysan sénégalais, accéder au crédit bancaire pour financer son activité, n’est pas chose aisée. D’après certains acteurs, l’absence d’une grande banque agricole disposant de moyens suffisants reste le principal obstacle à la modernisation du secteur.
En plus d’assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaire des populations, l’autre grand défi auquel fait face l’agriculture sénégalaise, est celui de la modernisation pour créer plus de valeur et contribuer davantage à la croissance. Une modernisation qui passe nécessairement par un meilleur accès des agriculteurs aux financements. Selon le député Aliou Dia, leader de Forces paysannes, le besoin de financement se fait sentir « aussi bien en amont (pour l’achat des intrants) qu’en aval (pour la commercialisation) ». « Moderniser, c’est trouver des sources de financement à mettre à la disposition des producteurs. Aujourd’hui, quel que soit la médiocrité de la production, on connaît des méventes à tous les niveaux chez les producteurs. Il faut donc trouver des mécanismes de financement permettant de régler ce problème de commercialisation », plaide Aliou Dia. Il faut ensuite financer l’acquisition du matériel lourd. « Pour passer d’une agriculture de subsistance à une production d’échelle, il est indispensable qu’il y ait des banques qui acceptent d’accorder des financements assez importants aux agriculteurs pour l’achat de moyens modernes de production. Malheureusement, au Sénégal, il n’y a pas de banque capable de le faire. Il n’y a, actuellement, qu’une banque (la Crédit agricole) qui intervient, certes, en amont et en aval, mais elle a des limites parce qu’elle n’a pas l’appui qu’il faut, que ce soit de la part de l’Etat ou des producteurs. Chaque année, les taux de remboursement des dettes sont très faibles. Cela pose problème ».
Pour le leader de Forces paysannes, ainsi que pour beaucoup de producteurs, la solution réside dans la mise en place d’une banque disposant de moyens importants et dont la mission serait de financer l’agriculture sénégalaise. Une banque qui va au-delà de ce qui se fait actuellement, c’est-à-dire se contenter simplement d’accorder des financements pour l’achat de quelques tonnes de semences et d’intrants ou de quelques machines d’attelage. Aliou Dia est catégorique : « Tant qu’on ne lève pas cette contrainte, on va se contenter d’une agriculture qui ne permet au paysan que de travailler trois mois sur douze. Une agriculture de survie, avec des périodes de soudure ».
Un besoin criant de crédits à moyen et long termes
La nature des besoins est tout aussi importante. Alors que les producteurs ont plus besoin de crédit à moyen et long termes, les banques n’accordent actuellement que des crédits à court terme. « Aujourd’hui, on donne des crédits uniquement pour une campagne, c’est-à-dire pendant la production. La banque ne te donne même pas un délai pour la commercialisation. Ce qui fait que les producteurs sont obligés de bazarder leurs récoltes afin de pouvoir rembourser à temps », poursuit Aliou Dia. En un mot, la situation du financement agricole se résume ainsi : montants faibles, taux non modérés, délais de remboursement très courts. Résultat ? Des « gains nuls ».
Pour remédier à cette situation, le président Wade a eu l’idée de promouvoir la syndicalisation des paysans. Cette démarche qui s’inspire de l’exemple du Canada (pays disposant de plus de 4.000 syndicats d’agriculteurs, éleveurs et pêcheurs regroupés dans le cadre d’une Union des producteurs) vise à développer une synergie des acteurs afin de constituer un interlocuteur unique pour l’Etat et de peser dans la prise de décisions répondant à leurs besoins. L’autre idée du président Wade, c’est de créer une banque verte, disposant d’un montant de 30 milliards de Fcfa, dédiée aux paysans. Seulement, ici, du côté de certains acteurs, si on ne rejette pas l’idée en soi, on l’estime peu réaliste. Entre la construction de locaux (dans chaque région), le recrutement d’un personnel et les frais de demande d’agrément (estimés, au moins, à 10 milliards), au final, « il ne resterait rien des 30 milliards ». La solution consisterait alors, selon Aliou Dia, de « renforcer les moyens de la Cncas – en orientant vers elle toutes les lignes de crédits destinées à la pêche, à l’agriculture et à l’élevage. Et, sur la base d’une mutualisation des organisations paysannes (qui seront chargées de recenser les problèmes et besoins de financement des producteurs à la base), de transférer 15 % des parts de l’Etat – qui ne conserverait désormais que 10 % – aux paysans. Ce qui permettrait à ces derniers de contrôler, de fait, le Conseil d’administration, d’avoir une mainmise dans la prise de décisions et de changer même – s’ils le désirent – le nom de la Cncas, tout en profitant de sa longue expérience ». Cette formule permet, selon lui, de contourner l’obstacle de l’agrément bancaire, du recrutement d’un personnel et de construction de nouveaux locaux. Bref, de s’appuyer sur l’existant au lieu de recommencer à zéro.
Seydou KA
lesoleil.sn