Timbuktu Institute, qui vient d’installer son Bureau Sahel-Bassin du Lac Tchad à Niamey ouvre un nouveau chapitre de recherche-action à propos des questions migratoires et des enjeux sécuritaires pour l’Europe et ses partenaires de la région. Cette thématique de recherche va couvrir aussi bien les volets migratoires que la question de la réinsertion socio-économiques. Ce sera à partir d’une approche holistique de la question migratoire très souvent confinée dans le domaine du contrôle des flux et des mesures répressives.
Récemment, s’est tenue à Las Palmas de Gran Canaria, la 7e rencontre des Envoyés spéciaux UE et partenaires du Sahel avec une forte participation des différents services de coopérations européens dont la France, la Suisse, la Norvège, la Finlande, la Belgique, souligne Bakary Sambe. Selon le directeur de Timbuktu Institute, « la question de la coopération était au centre de nombreux échanges pour aller au-delà du sécuritaire et s’ouvrir sur les perspectives basées sur le développement et la coopération. L’idée du Fonds fiduciaire européens de même que d’autres initiatives de l’OCDE entrent dans le cadre d’un tel tournant dans l’approche de la question migratoire à laquelle souscrit Timbuktu Institute ».
En effet, depuis des décennies la migration en Afrique de l’ouest est une des plus denses et ne cesse de s’intensifier d’année en année. En 2000, le nombre de migrants intra-africains s’élevait déjà à 12,5 millions et ce chiffre est monté jusqu’à 19,4 millions en 2017[1].
En dépit de la croyance populaire, les migrants quittant l’Afrique subsaharienne n’ont pas tous l’intention de traverser la méditerranée pour arriver en Europe, la plupart ont pour destination finale un autre pays de leur communauté économique. En effet, d’après une étude de la CNUCED, 47% des migrants internationaux issues de pays de la CEDEAO vivent dans un pays de la même zone.
En Afrique plusieurs zones de transit important sont à noter dont le Niger qui fait partie des 10 plus grands pays de transit au monde, avec des zones d’affluence comme Agadez, Séguédine et Arlit.
Les flux migratoires à travers le Niger se structurent autour de plusieurs sous?canaux, les principaux reliant d’une part, le Sahel à l’Afrique côtière et, d’autre part, le Sahel à l’Algérie et à la Libye. Le Niger est actuellement avant tout un pays de transit et d’émigration. Des filières migratoires se sont consolidées au fil du temps, associant l’installation pérenne d’un flux migratoire circulairesouvent correspondant à des activités agricoles saisonnièresgénéralement compris entre six et sept mois[2].
Les migrants utilisant le Niger comme pays de transit proviennent principalement du Nigéria, de la Gambie, du Mali, du Sénégal et dans une certaine mesure du Ghana, du Liberia, de la Sierra Leone et de la Cote d’ivoire[3].
Cela s’explique par plusieurs raisons, comme la position géographique stratégique du Niger par rapport à la Libye qui est l’un des principaux pays d’accueil de migrants irréguliers ainsi que d’autres pays de la région à forte taux migratoire. Les couloirs d’Agadez, du Niger–Sabha et de la Libye concentrent la majeure partie des flux migratoires transsahariens.
Flux migratoires observés sur certains axes du Niger de Janvier à Février 2019
Mois | Flux entrants | Flux sortants |
Janvier | 24808 | 21924 |
Février | 34875 | 35402 |
March | 44900 | 47819 |
April | 64356 | 68326 |
Mai | 64356 | 68326 |
Juin | 101231 | 105425 |
Juillet | 110673 | 124450 |
Aout | 131490 | 141862 |
Septembre | 142354 | 188369 |
Total | 719043 | 801903 |
Source IOM/DTM, Flow monitoring report, dashboard January to February 2019
Le tableau ci-dessus nous montre l’importance des flux migratoires à travers le Niger. Ces données ont été collectées sur des points de points de suivis des flux nommés FMP (flow monitoring points) installés par l’OIM dans des zones d’affluences comme Agadez, Séguédine, Arlit… Même si ces données ne représentent pas l’ensemble des flux mensuels de migrants, ils donnent une vue d’ensemble de leur importance.
Quand on observe les données mensuels de l’OIM sur l’étude des flux migratoires au Niger, on se rend compte qu’il y a principalement 3 types de profils de migrants au Niger les migrants économiques, les migrants saisonniers,et les migrants de courte durée[4].
La migration économique du Niger vers le sud de la Libye a également un effet, avec une migration économique circulaire bien établie entre les deux pays. Depuis de nombreuses années, les Nigériens ont l’habitude de travailler pendant plusieurs années en Libye ou en Algérie avant de retourner au Niger.
Ce statut de pays de transit fait peser beaucoup de pression en provenance de pays d’accueil européens dont la France, l’Italie et bien d’autres pour que le Niger prenne des dispositions dans le but de résoudre la question de la migration irrégulière. Mais, d’après Bakary Sambe, « le Niger qui a déjà fourni de nombreux efforts, ne pourra le faire qu’en étroite collaboration avec les cadres régionaux existants comme le G5 Sahel et la CEDEAO. Le dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO sous présidence nigérienne mais aussi la rencontre de Las Palmas semble confirmer une certaine volonté de synergie dans les actions pour la sécurité et le développement »
On sait que le fort flux de migrants pose aussi des problèmes de sécurité nationale (l’arrivée de migrants et de réfugiés rend difficile d’installer un certain climat de sécurité stable). Aussi les conflits au Mali, en Lybie et les attaques de Boko Haram au Niger ont mis le Sahel dans un climat d’instabilité sécuritaire.Ces crises ont par ailleurs permis le développement de la criminalité transnationale, notamment le trafic et la traite des migrants.
A partir d’un el constat, on peut donc comprendre le durcissement de la politique migratoire du Niger, qui adopte une gestion de plus en plus répressive des flux. Le principe de liberté de circulation est souvent mis au second plan pour favoriser l’aspect sécuritaire et le maintien de l’ordre public En 2015 a été adopté la Loi n° 2015-36 du 26 mai 2015 qui a pour but la protection des migrants, la sanction du trafic illicite de migrants (qui peut aller jusqu’à 30 ans[5] d’emprisonnement) et la sécurisation des frontières.
C’est dans le cadre de ce dernier aspect que s’inscrit le projet de monitoring des flux aux frontières du gouvernement nigérien lancé en octobre 2019 qui vise à améliorer la lutte contre la migration irrégulière.
L’un des problèmes principaux de ces flux importants de migrants au Niger demeure la protection des droits de ces derniers qu’ils soient réguliers ou clandestins. En effet les migrants en transit au Niger sont souvent victimes d’extorsion de fond, de problèmes administratifs, leur droit de libre circulation leur est souvent dénié surtout au niveau des points de contrôle policier, ce qui met ceux-ci dans une situation de danger permanent.Aussi beaucoup de migrants périssent dans le désert nigérien durant sa traversée vu les conditions précaires dans lesquelles les passeurs les mettent.
Le Niger doit pouvoir compter sur ses partenaires internationaux notamment l’Union européenne à travers le programme intitulé Mécanisme de réponse et de ressources pour les migrants, qui vise à aider le gouvernement dans sa gestion des flux migratoires par le développement économique et social basé sur la migration circulaire.
L’Organisation internationale pour la migration (OIM) est un autre des partenaires phares du gouvernement nigérien dans sa gestion des flux migratoires à travers l’assistance humanitaire aux migrants en détresse, le relèvement précoce des communautés nigériennes, la réintégration socioéconomique des retournés et la stabilisation communautaire, le renforcement des capacités techniques et opérationnelles en matière de gestion des flux migratoires, les campagnes d’information et de sensibilisation sur les risques liés à la migration irrégulière, l’appui technique en cas d’urgence ou catastrophe naturelle, la lutte contre la traite et le trafic des personnes et la mobilisation de la diaspora pour le développement.
Même si le problème de l’importance des flux de migrants passant par le Niger demeure actuel, il faudra quand même noté que le nombre de migrants transitant par ce pays et mêmepar la Lybie selon les donnéesrecueillies par l’OIM a considérablement baissé ces dernières années. Le Niger a mis en place un contrôle plus accru des frontières, à procéder à la fermeture de plusieurs maisons de transit de passants ainsi qu’à l’arrêt massif de trafiquants de migrants.
Des discussions vont être ouvertes avec les parties prenantes aussi bien au niveau régional qu’auprès des partenaires internationaux du Niger et des pays sahéliens pour le lancement de cette initiative de recherche-action. Les résultats pourront aider à accompagner les projets en cours comme ceux prévus dans le cadre des actions de l’Union Européenne, des pays-membres mais aussi des entités des Nations Unies comme l’OIM et l’UNHCR.
Joseph Christophe Adams Diouf
Expert Junior Migrations et apatridie (Timbuktu Institute)