En chapeau. La distinction a été reçue par sa représentante Ndeye Codou Fall (photo) dont voici son discours.
Maa ngi leen di nuyu yéen ñépp, ku ci nekk ci sa tur ak sa sant…
Vous le savez, c’est en ces termes simples mais d’une subtile convivialité que nous ouvrons souvent nos rencontres au Sénégal. Ils sont particulièrement indiqués aujourd’hui que nous nous apprêtons à rendre un hommage mérité à une grande figure de notre vie culturelle.
Aram Fal Diop.
Il suffit de prononcer ce nom pour que chacun, dans notre pays comme à l’étranger, pense à une noble cause, celle de la promotion des langues africaines.
Beaucoup d’êtres humains se rendent compte à un certain moment de leur vie, parfois beaucoup trop tard, qu’ils n’ont pas réussi à s’en tenir à la voie qu’ils s’étaient tracée dans leur jeunesse, qu’ils sont en quelque sorte passés à côté de leur destin. Ce n’est assurément pas le cas de celle que nous appelons tous avec affection Tata Arame.
Grâce aux rencontres qui ont jalonné son parcours intellectuel, elle a su garder le cap de l’excellence et de la foi en l’Afrique.
À force de lui parler ces dernières années, j’ai fini par comprendre l’influence décisive exercée sur elle par l’auteur de Nations nègres et culture. Il ne me semble pas excessif de dire que sans cette découverte, son existence aurait pris une toute autre direction.
Voici du reste ce qu’elle m’a dit récemment à ce sujet : « Disciple de Cheikh Anta Diop, j’ai fait après ma licence de lettres classiques des études de linguistique jusqu’au doctorat de 3éme cycle. Sans ma volonté de contribuer à la mise en œuvre des idées du savant, je n’aurais certainement pas étudié la linguistique, je me serais destinée à une carrière d’enseignant ». C’est le même jour qu’Arame a évoqué d’une voix chargée d’émotion ses relations privilégiées avec Louise-Marie Maes Diop : ‘’L’épouse de Cheikh était une grande amie et nous échangions beaucoup sur les questions linguistiques.’’
Avant sa thèse soutenue en 1973 à l’université de Paris III, Arame Fall Diop avait obtenu son Diplôme d’études supérieures à l’actuelle UCAD.
Mais c’est de Saint Louis, sa terre natale, qu’elle s’était lancée après les deux parties du bac à la conquête de la capitale.
Avec le recul, on s’aperçoit que Paris n’a été pour cette patriote qu’une brève parenthèse. Comme c’était l’habitude en ces premières années d’indépendance, elle est vite rentrée au pays pour participer à l’œuvre de construction nationale.
Elle se signale d’abord par un Dictionnaire wolof français écrit avec Rosine Santos et Jean Léonce Donneux et qui reste une référence, vingt-sept ans après sa parution chez Karthala. Et depuis lors, elle a publié des dizaines d’ouvrages tous aussi importants les uns que les autres. Permettez-moi de citer parmi ceux-ci sa Grammaire fonctionnelle de la langue wolof, sa traduction avec le magistrat Ameth Diouf de la Constitution du Sénégal ou encore celle du chef-d’œuvre de Mariama Bâ (Bataaxal bu gudde nii) en parfaite complicité avec la regrettée Mame Younousse Dieng.
Nous devons aussi à Arame Fall Diop un Lexique informatique – Baatukaayu x@mtéef – décliné en français, en anglais et en wolof. Il faut également rappeler sa traduction en wolof en 2002 de notre Code des marchés publics, cette fois-ci en collaboration avec Ameth Diouf et Mamadou Ndiaye, travail qu’ils ont intitulé Sàrtu Jawi Nguur gi. Elle traduit également les meeting de Cheikh Anta Diop, l’ouvrage porte le nom Meeting.
Et le croirez-vous ? Infatigable, Arame Fall Diop vient de terminer il y a juste quelques jours un précis de grammaire entièrement dans la langue de Kocc et intitulé Nëwu làmmiñu wolof.
Ces importantes réalisations personnelles auraient suffi pour valoir à n’importe qui la reconnaissance de la nation tout entière. Elles n’ont pourtant pas suscité chez Arame le moindre sentiment d’auto-satisfaction. Il n’est pas besoin de bien la connaitre pour s’apercevoir que rien dans son tempérament ne l’a jamais inclinée à la vanité. Elle n’a d’ailleurs pas du temps pour le gisleen ma, trop occupée à faire fructifier son savoir, à susciter des vocations parmi la jeunesse.
Et c’est là, depuis ses débuts, une dimension essentielle de son activité scientifique autant à l’IFAN – où elle a été jusqu’à sa retraite en 2002 Chef du département de linguistique -qu’au sein de l’Organisation Sénégalaise d’Appui au Développement, la célèbre maison d’édition qu’elle a créée. Communément appelée OSAD, celle-ci a publié tout ce qui compte dans la langue wolof en particulier Aawo bi de Maam Yunus Je? mais aussi la riche production de Séex Aliyu Ndaw, maître incontesté de la prose en langue wolof.
L’accompagnement généreux, patient et désintéressé de la jeune génération vaut depuis toujours à Arame l’admiration sans bornes d’auteurs comme Mamadou Diouf Diarra, Daba Niane, Cheikh Adrame Diakhate et Mamadou Ndiaye qui lui ont tous dédié au moins un de leurs ouvrages. Mais dans ce domaine c’est sans doute à Mame Younousse Dieng que reviendrait, grâce à son ouverture de Aawo bi, la palme de la gratitude. Je ne peux résister à la tentation de vous livrer tel quel son éloge inspiré et que sa disparition rend aujourd’hui encore plus émouvante : Aram Faal Jóob, mu ñàkk mi kiñaan te tëlee wonu. Et d’ajouter ceci, que je trouve si délicieux : Yii aawo, kenn du ma leen jëkk a sant ndax kenn du ma jëkk a gore. Lingeer yi mel ni ñoo tax géwél yi naan : sonn daw, jaaxle daw, bëgg a dee daw, doo fekke dara. Waaye sonn muñ, jaaxle muñ, bëgg a dee muñ, ku muñ muuñ.
La mise en exergue de la fiction – à travers notamment la collection ‘’Fentaakon’’ – avait pour but d’éprouver la capacité de nos langues à produire du sens et de l’imaginaire bien au-delà de la seule poésie où on avait tendance à la cantonner.
Mais même si ce défi esthétique a été brillamment relevé, le catalogue d’OSAD, riche depuis 1995 d’une cinquantaine de titres, ne se limite pas à la littérature générale. Incluant en effet dans son domaine d’activité la conception, l’évaluation des programmes d’alphabétisation et la formation des formateurs, OSAD propose également des ouvrages didactiques. Avec ceux-ci elle met un accent particulier sur la vulgarisation en matière de santé, l’alphabétisation et l’assistance dans tous les domaines de la vie pratique. Des titres tels que Njàngum Wolof, Ëmbub jàmm et Téere xayma illustrent cette ambition que nous pouvons qualifier de citoyenne.
Nous sommes ici au cœur d’un projet révolutionnaire, qui fut aussi celui de Cheikh Anta Diop, son maitre et inspirateur : réconcilier, pour ne pas dire reconnecter, les intellectuels et le reste de la population, leur permettre de parler le même langage au lieu de se résigner à rester séparés par la langue de l’ancien colonisateur.
Pour atteindre cet objectif, Arame Fall Diop ne s’est pas contentée d’écrire des ouvrages d’une grande portée scientifique ou de créer une maison d’édition : elle a également payé de sa personne, au quotidien je veux dire. Je peux en témoigner par expérience directe. J’ai en effet pris l’habitude de l’appeler pour lui demander de m’élucider certains mystères d’une langue wolof que nous croyons tous si bien connaitre mais qui comporte tant de pièges. J’avoue prendre toujours le risque de la déranger ainsi avec une certaine appréhension. Mais dès qu’elle me répond, je sens une telle joie dans sa voix, un si ardent désir de transmettre que je n’hésite pas à multiplier les questions sur l’orthographe ou la signification des mots ! Je crois d’ailleurs que c’est cette insatiable curiosité qui me vaut son estime, au point qu’elle m’ait chargée de vous parler aujourd’hui de son itinéraire intellectuel et de ses combats, alors que bien d’autres dans cette salle auraient pu le faire mieux que moi.
J’espère avoir réussi par ces quelques phrases venues du fond de mon cœur à vous rapprocher en pensée de l’une des plus belles figures intellectuelles et morales de notre nation.
Je ne peux arrêter mon propos sans revenir sur l’altérité féconde et généreuse de Aram Fall Diop. Pour la femme de culture wolof qu’elle est, je me demandais pourquoi une Thèse sur « Les nominaux en sérére siin » ? La réponse se trouve dans sa façon d’être humain dans un monde qui ne l’est pas toujours.
Ainsi permettez moi aussi de rendre hommage à la famille et aux parents de Tata Arame car la famille est le socle d’où tout part et nous sommes en général ce que les parents ont aidé à faire de nous.
Bàjjen Aram, Wolof Njaay dinay wax ne bés du mag du tuuti, boroom lay tollool. Kon, kàddu gun fi yëkkati tey jëmale ko ci yow, xeeb nanu ko, yelloo nga lu ko ëpp.
Il ne nous reste qu’à prier pour que le Tout-Puissant te garde encore longtemps parmi nous afin que tu continues à nous guider sur la voie du progrès. Comme te l’a souhaité avec ferveur Cheikh Adramé Diakhaté en te dédiant un de ses romans : Yàlla na ngay Maamati-Maam.
Merci de votre attention.
Ndèye Codou Fall
Dakar, le 26 novembre 2017
Aram fall doit s ‘approcher de Fallou cisse seetu maam kipaangog wolof u wlolof avec Fallou ce n’est pas du wolof academique d’etat , mais du Wolof u Wolof!
il ne faut pas melager les torchons et les serviettes.
« l’homme qui fuit son ombre fini par perir «