“Force de défense et de sécurité, symbole d’unité nationale” (Par Sankoun Faty)

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Il est dit souvent «Un, passe. Deux, lasse…». C’est pour éviter d’en arriver au «Trois, casse» fatidique, qu’il y a lieu d’appeler l’attention sur l’impérieuse nécessité, pour la survie de notre jeune Nation, de laisser les Forces de défense et de sécurité (Fds) en dehors des débats et querelles politiques et surtout d’entretenir dans la conscience de chaque Sénégalais l’image du bouclier protecteur de la Nation et de l’épée gardienne dissuadant tout ennemi qu’elles incarnent.

La mise à la place publique de la «démission» d’un officier de la gendarmerie, comme l’a été celle d’un autre des Armées, semble, de par les commentaires faits à travers les différents médias, avoir été perçue positivement dans l’opinion de nombre de Sénégalais et pas seulement du lambda. Bien au contraire, un de nos plus célèbres écrivains, dans une récente interview sur le sujet, a estimé que «Les policiers, gendarmes et loyaux fonctionnaires ne sont plus (je souligne) une masse de manœuvre dont l’autorité politique peut disposer au détriment de l’ensemble de la population».

En d’autres termes, ils seraient des marionnettes activées au gré du Prince. Les «Anciens» qui ne sont plus de ce monde doivent se retourner dans leur tombe et ceux qui sont encore avec nous, fraîchement à la retraite ou encore dans les états-majors et dans la haute Administration, doivent être profondément gênés, voire blessés, car jamais ils ne se sont couchés devant quelque autorité que ce soit. En dehors du culte religieux, une seule fois l’officier s’agenouille : c’est devant le drapeau national pour jurer fidélité à la Nation avant son entrée en service.

Le général Georgelin, alors Chef d’état-major général des armées françaises, disait : «Une de mes préoccupations majeures est le risque de banalisation de l’état militaire… Un pays qui ne serait plus concerné par sa sécurité, mais exclusivement par des préoccupations individuelles, serait menacé.» Deux idées fortes se dégagent de cette déclaration, quand on l’applique au contexte sénégalais de ce qui est appelé «affaire Ousmane SonkoAdji Sarr» : la banalisation du service des Fds qui se dessine dans l’opinion générale et une certaine insouciance face aux multiples menaces qui pèsent sur le pays. Les prémices de la banalisation de nos Fds se trouve dans la tendance à juger et condamner leurs actions sans tenir compte, ni de la nature et du cadre légal de l’accomplissement de leurs missions ni de ce qu’elles ont réussi jusqu’à présent en matière de lutte contre la criminalité, de secours et d’assistance aux populations.

Les causes de cette banalisation sont à la fois internes et externes. Les causes internes se retrouvent dans des comportements en porte-à-faux avec leur statut du personnel définissant leur état de militaire ou paramilitaire, véritablement, leur identité. En effet, dès la formation militaire de base, il est inculqué cette identité qui se fonde dans la spécificité de leurs missions, telles que définies dans les textes organiques, à commencer par la loi sur l’organisation générale de la défense nationale jusqu’à ceux fixant le statut particulier de chaque corps militaire et paramilitaire. La «mère» de ces missions est celle d’«assurer en toute circonstance et contre toutes les formes d’agression la sécurité et l’intégrité du territoire national, la vie de la Nation ainsi que la protection des personnes et des biens». Cela nécessite des qualités individuelles qui ont pour noms la discipline, la fidélité à la patrie, l’intégrité et l’esprit de groupe.

La disciple est «la force principale des Armées». Elle requiert du subordonné ce qui est contenu dans le serment du militaire qui s’engage solennellement à : «Servir la patrie avec honneur et fidélité», complété dans celui des forces de sécurité par l’impératif «de ne faire usage de la force qui m’est confiée que pour le maintien de l’ordre et l’exécution des lois…». La troupe n’est pas le troupeau, pas non plus la «masse de manœuvre» citée plus haut, mais des hommes et femmes conscients de leurs responsabilités personnelles devant les lois de la République, les coutumes de la guerre et les conventions internationales. Ils sont unis dans l’idéal du don de soi à la patrie, allant jusqu’au sacrifice suprême, expression de leurs trois autres qualités précitées. Ils ont choisi, pour illustrer cela, des devises comme «Honneur et patrie», «Sauver ou périr», «Bu dee jotee (Jotna)» (Si l’heure de la mort doit arriver, elle arrive) ou la bien connue «On nous tue, on ne nous déshonore pas». Quand on comprend une telle réalité des Fds, il est difficile de concevoir la pertinence des déclarations et commentaires qui font quasiment l’apologie de l’«acte contrenature» militaire que cet officier de la gendarmerie a posé.

Le Général De Gaulle, s’adressant à une promotion d’élèves-officiers, a dit : «Je ne vous plains pas parce que vous avez choisi le métier de militaire… Il demande de renoncer à la liberté, à l’argent, peut-être un jour à la vie… Non je ne vous plains pas.» C’est cela qui constitue la particularité, l’identité du citoyen militaire ou paramilitaire. Dès lors, ceux d’entre eux qui ont eu des attitudes ou tenu des propos «de nature à porter atteinte (semer le doute) à la neutralité (politique et sociale) des Armées» se sont départis des qualités et valeurs qui font cette particularité/identité du métier qu’ils avaient librement choisi. La sanction est immédiate, car dans le métier des armes, il n’y pas d’erreurs, il n’y a que des fautes.

L’autre cause de la banalisation provient du traitement souvent non professionnel des affaires individuelles ou collectives concernant les Fds qui disposent portant de services en charge des relations publiques facilitant aux organes de presse l’exercice de leur «devoir de rechercher la vérité» tel que prescrit par le Code de la presse. Une bonne collaboration à ce niveau devrait permettre une meilleure connaissance des hommes et femmes qui ont choisi ce métier de renoncement dont parle le Général De Gaulle, et une meilleure prise de conscience des risques, pour la stabilité sociale de notre pays, de les indexer dans l’accomplissement de leurs missions régaliennes.

On a perçu l’émoi suscité chez certains par les présentations faites du recours à l’Armée pendant ces émeutes et sans aucun éclairage sur sa position de force dite de troisième catégorie au maintien de l’ordre derrière la gendarmerie (deuxième) et la police (première), ni sur les missions qu’elle a eu à accomplir dans ce cadre. Il est utile de savoir que l’Armée n’a assuré que la garde statique des édifices publics et points névralgiques à Dakar comme partout où le besoin s’est fait sentir. Elle n’a jamais été engagée dans les affrontements avec les manifestants. Les forces de sécurité ont été le plus souvent mises au banc des accusés malgré qu’elles aient fait preuve d’une très grande retenue jusque dans des situations où les conditions légales de l’usage des armes à feu étaient réunies conformément aux lois 69-29 du 29 avril 1989 modifiée et 70- 37 du 13 octobre 1970, relatives respectivement «à l’état d’urgence, l’état de siège et la gestion des catastrophes naturelles et sanitaires»- et «à l’usage des armes et matériel spécial de barrage par les militaires de la gendarmerie et les membres de forces de police», notamment quand des manifestants ont attaqué et même pénétré dans l’enceinte de leurs infrastructures. Il est aisé de deviner tous les autres risques qui peuvent survenir dans de telles situations.

Consciemment ou non, ceux qui penchent et s’épanchent dans ce sens ou qui font des déclarations et commentaires prenant les tournures d’apologie de l’«acte contre-nature» militaire de cet officier de gendarmerie font le lit de l’insouciance par rapport à la sécurité et au profit des «préoccupations individuelles» dont parle le général Georgelin. Ils doivent avoir plus de modestie dans l’étalage de leur connaissance de nos Fds et, au-delà, repenser leur approche de la chose sécuritaire. Une insouciance qui s’est manifestée tous ces jours durant, d’abord par une totale ignorance que nous vivons une période de pandémie due au coronavirus, quand des appels sont lancés pour de grands rassemblements de personnes, pis, dans certaines localités, des exactions ont été perpétrées contre le personnel de santé en pleine opération de vaccination contre ce virus.

L’insouciance sécuritaire est ensuite la perte de vue de la situation géopolitique du Sénégal, entouré d’«une ceinture de feu» et sous la menace des groupes extrémistes, narcotrafiquants et même des forces occultes ayant les yeux fixés sur les ressources pétrolières et gazières découvertes dans notre pays ou cherchant à saper nos valeurs religieuses et sociales au profit des leurs. L’insouciance sécuritaire est enfin de «jouer avec» la question de la paix en Casamance à travers des discours et autres «commentaires d’experts» cherchant à établir un rapport entre une affaire judiciaire survenue à Dakar et les opérations de sécurisation du retour des populations déplacées dans leurs villages abandonnés pendant des décennies de conflit .

Fort heureusement, dans ce brouhaha des «éditions spéciales» des télévisions et autres «directes» des radiodiffusions avec leurs lots de déclarations souvent plus passionnées que raisonnées, les voix de ceux qu’on appelle «les régulateurs sociaux», constitués surtout de chefs religieux, se sont élevées, ramenant ainsi le calme partout dans le pays. L’influence certaine de ces personnalités dans notre société et la grande attention que leur accordent l’Etat et la classe politique font la particularité de la laïcité au Sénégal. Une laïcité non seulement de reconnaissance et de protection de toutes les croyances religieuses, mais surtout qui place les affaires religieuses au cœur des politiques et actions publiques étatiques.

Les membres des Fds sont issus de cette société nationale. Ils sont animés des mêmes pulsions que tout un chacun des Sénégalais en termes de foi religieuse, d’aspiration à la paix et au bien-être dans un Etat fort et responsable. La noblesse de leur sacerdoce est incontestable et l’esprit qui constitue le ciment de leur communauté autour des valeurs partagées de discipline, loyauté et de solidarité doit inspirer chaque citoyen. On comprend dès lors le choix fait par les autorités de placer la célébration de la fête nationale de l’indépendance de 2019 sous le thème «Forces de défense et de sécurité, exemple d’éducation à la citoyenneté et à l’unité nationale».

Thème dont la pertinence s’affirme aujourd’hui de la façon la plus éclatante avec une société sénégalaise qui présente une image inhabituelle de division, de violences et de haine. Plus que jamais l’éducation à la citoyenneté doit être au cœur de toutes les préoccupations. C’est la condition sine qua non de la réussite de tout programme destiné aux jeunes. Une des solutions pourrait être le passage obligatoire de tous les jeunes du pays par un cycle de formation civique, soit avec le service civique national ou, pour les élèves, un service militaire raccourci au temps des vacances scolaires et sanctionné par les mêmes diplômes que les élèves du Prytanée. Cette formation civique devra constituer une condition pour une orientation aux études supérieures, formations professionnelles ou financements de micro-projets. Le brassage que ces contacts vont occasionner entre les membres des Fds et les jeunes sera un facteur de consolidation de la confiance entre eux et qui ira bien au-delà des courtes périodes passées ensemble «sur le terrain». De ce fait, les concepts «Armée Nation» et «police de proximité» seront un vécu quotidien des populations et non des manifestations ponctuelles.

Sankoun FATY

Colonel de Gendarmerie à la retraite

Juriste-Consultant, acteur de la société civile à Sédhiou

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