France, Cedeao et la souveraineté du Mali (Par Benoit Ngom)

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Le 11 janvier, un projet de résolution présenté par la France, tendant à soutenir les sanctions décidées par la CEDEAO contre le Mali, a été bloqué au Conseil de Sécurité par la Russie et la Chine. Cette mondialisation d’une crise sous régionale par la CEDEAO fait du Mali un bouc émissaire au centre du conflit entre la Russie et les pays occidentaux au sujet de l’intégration éventuelle de pays comme l’Ukraine à l’OTAN.

Ainsi, assiste-t-on à l’évolution d’une simple affaire de fixation de date d’élection à l’émergence d’une zone d’expérimentation de la nouvelle guerre froide ? En quoi l’organisation d’élections au Mali sera-t-elle plus préoccupante pour l’UE et la communauté internationale que la situation au Soudan, en Birmanie ou au Tchad ?

L’une des causes de cette externalisation du problème malien est liée d’abord à la volonté de la France de se désengager d’une partie du Mali et à son refus de voir des troupes « paramilitaires » russes combler le vide qu’entraine le départ de ses militaires. Puis il y a le différend entre la CEDEAO et le gouvernement militaire concernant la durée de transition.

À cet égard, la CEDEAO, lors de son dernier sommet du 8 janvier dernier tenu à Accra dans le pays du président en exercice de l’organisation, a infligé au Mali, pour cause d’élection, des sanctions pour le moins disproportionnées. En effet, aux sanctions économiques et financières, l’organisation régionale a cru devoir ajouter la fermeture des frontières terrestres et le rappel de tous les ambassadeurs des pays membres de l’organisation par leurs pays d’origine.

Ces « sanctions inédites » soutenues par l’UE et la France sont d’autant plus surprenantes que nul n’ignore la situation catastrophique du Mali qui devrait plutôt suggérer à la communauté internationale de l’empathie, de la compassion, bref de la solidarité que le peuple de ce pays attend de la CEDEAO mais surtout des pays frontaliers.

De la solidarité exclusive de la France

En janvier 2013 quand l’aviation militaire française démantelait les colonnes djihadistes qui fonçaient sur Bamako la capitale du Mali, après avoir occupé les provinces Nord du pays, d’une seule voix le peuple malien et la communauté africaine, avaient rendu un vibrant hommage à la France.

Parce que la France n’avait pas « regardé ailleurs » quand sa maison brûlait, le peuple malien accueillit le président français Hollande en ami, en « frère » et en sauveur.

La France consciente de cette immense attente fit évoluer son action militaire des objectifs tactiques limites de Serval a la volonté de libérer le Mali en extirpant des pays de la zone sahélienne, les forces djihadistes qui ont désarticulé leur administration. Ce fut l’objectif attribué à la force Barkhane lancée en août 2014.

Mais au fil du temps et devant l’absence de résultats probants de la force Barkhane, la France qui récusait tout dialogue avec les djihadistes décida de redéfinir les contours territoriaux de son intervention militaire en retirant certaines de ses troupes de certaines régions du Mali. Ce qui naturellement supposait que l’armée malienne, dont la faiblesse des moyens et de l’encadrement était connue de tous, s’occupat de la tache urgente et sans délai de la sécurisation des territoires concernés.

C’est en ces moments, ou les moins érudits en stratégie militaire savaient que pour se défendre le Mali avait besoin de nouer de nouvelles alliances, que les bruits commencèrent à courir à propos de relations supposées entre ce pays et un groupe paramilitaire de Russie. Malgré les dénégations du gouvernement malien, les accusations et menaces des autorités françaises allèrent crescendo pour bénéficier finalement du portage de 16 pays européens qui, dans un communiqué commun publié à la veille de Noël 2021, déniaient au gouvernement malien le droit de se faire assister militairement, en dehors de Barkhane, par des forces qualifiées de mercenaires appartenant au groupe Wagner.

Quid de la souveraineté du Mali ?

À ce stade, deux questions se posent : au nom de quoi les alliés occidentaux devraient-ils douter de la parole de l’État malien, au nom de quels principes de relations internationales et diplomatiques pourrait-on nier au Mali le pouvoir de définir ou de redéfinir ses alliances militaires tactiques ou stratégiques ?

Enfin, pourquoi vouloir que le Mali, dont la grande partie du territoire est sous occupation extérieure, organise coûte que coûte des élections à une date qui a été fixée, à l’occasion d’une réunion de chefs d’États, de la CEDEAO nonobstant toute considération de la réalité sur le terrain ?

Peut-on sérieusement imaginer que le seul fait d’organiser des élections sans tenir réellement compte de la disponibilité d’un corps électoral éparpillé dans un immense territoire dont une grande partie est stérilisée par la présence de forces étrangères pourrait suffire à régler spontanément les problèmes structurels et systémiques de ce pays ?  

Élections libres et massive participation des populations

Au lendemain de son élection à la magistrature suprême de son pays, en 1993 le président Alpha Konaré m’avait fait l’honneur de me recevoir au Palais de Koulouba dans le cadre de mes activités en faveur des droits de l’homme et de l’avènement d’États de droit en Afrique. Ce fut un grand plaisir pour moi de pouvoir discuter de ces questions et notamment de la démocratie avec un intellectuel confirmé et une personnalité qui avait une grande capacité d’écoute empreinte de l’humilité de l’homme qui sait qu’on doit toujours être à la recherche du savoir.

Le président Konaré fut élu lors de la première élection présidentielle libre depuis 1960. Cependant, bien que le pays fût en paix à cette époque, la participation à l’élection présidentielle fut évaluée à moins de 24%.

Lors de notre discussion, il était conscient de la nécessité de mieux organiser les masses maliennes afin d’assurer une mobilisation plus conséquente de l’électorat lors des prochaines élections.

En effet, un des grands problèmes des États africains est la non-participation du corps électoral aux processus de consolidation des démocraties qu’il croit ne pas prendre en charge ses préoccupations essentielles. Des lors, si c’est dans les pays africains globalement en paix que la faible participation électorale est alarmante qu’en serait-il dans un pays saucissonné par des mouvements irrédentistes ?

Dans cet esprit, n’est-on pas en droit de se demander quelle serait la finalité d’élections bâclées et organisées sans tenir compte des préoccupations les plus urgentes du peuple malien ? En quoi le fait d’attendre un délai raisonnable décidé par ses citoyens empêcherait-il le Mali d’atteindre des objectifs qu’il n’a pas pu atteindre en 60 ans ?

La démocratie ne se réduit pas aux élections

La CEDEAO doit savoir raison garder. L’État de droit ou la démocratie ne peuvent être évalués sérieusement sur la seule base des élections, de surcroit quand celles-ci sont bâclées.

La France notamment, celle qui a inspiré la démocratie a la plupart de nos élites, donc à nos États devrait être plus attentive aux appels venant des profondeurs d’une jeunesse africaine qui aspire à la démocratie fondée sur la justice et la primauté des grands principes d’égalité des citoyens devant la loi mais aussi d’égalité souveraine des États. Ces jeunes africains aspirent au respect de leurs traditions de leurs croyances et de leurs pays.

Les États européens doivent avoir la générosité, même factice, de reconnaitre que les pays africains après 60 ans d’indépendance commencent à pouvoir évaluer par eux-mêmes les problèmes auxquels ils sont confrontés et à identifier souverainement ceux qui peuvent les aider à les résoudre.

À cet égard, le président Macron, qui d’ailleurs a donné beaucoup de gages de bonne volonté pour une relecture de l’histoire coloniale, doit savoir qu’il y a une jeunesse africaine qui comprend autrement les relations de leurs pays avec le reste du monde y compris avec la France.

Au Mali comme dans les autres pays africains, il convient d’accorder une oreille attentive à une jeunesse africaine qui veut le changement dans le respect et qui pense qu’elle n’a rien à perdre dans sa volonté de changer l’ordre ancien. Ces jeunes sont conscients de ce que l’accession au pouvoir par effraction des militaires maliens, sous la conduite du Colonel Assimi Goïta, en renversant le chef d’État en fonction Ibrahim Boubacar Keita régulièrement élu, était condamnable et a été condamnée par tous les démocrates.

Toutefois, à certains de ces jeunes qui pensent que la place des militaires est seulement dans les casernes, il convient de rappeler que la CEDEAO que beaucoup de régions du continent envie tant à l’Afrique de l’Ouest et que la communauté internationale considère aujourd’hui comme un exemple d’intégration régionale, nous la devons d’abord à la perspicacité et à la persévérance de deux d’entre eux, les Généraux Yakubu Gowon et Gnassingbé Eyadema, respectivement anciens présidents du Nigéria et du Togo.

En résonance à son histoire, la CEDEAO nous semble-t-il, n’a pas donné un bon exemple en cherchant à mondialiser des sanctions dont la disposition relative à la fermeture des frontières est aux antipodes de la volonté des pères fondateurs de l’organisation sous régionale qui signèrent à Dakar en 1979 le Protocole sur la libre circulation des personnes…pour l’avènement de la CEDEAO des peuples.

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