France, ces retraités sénégalais qui refusent ou ne peuvent plus rentrer (Par Alassane Thiam)

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La première vague d’émigration sénégalaise se situe dans les années soixante-dix. Elle était composée de travailleurs originaires de la région de Matam, Bakel et Ziguinchor. La série de sécheresse de 1974 a provoqué un exode rural vers Dakar et l’Europe. La France avait besoin de bras pour faire redémarrer son économie, suite à la seconde guerre mondiale et ces provinciaux ont saisi cette opportunité pour aller vendre leur force de travail. Beaucoup de sénégalais ont débarqué dans les régions industrielles françaises pour travailler dans la sidérurgie, l’automobile, la filature. Certains ont opté pour le regroupement familial et vivent en famille depuis plusieurs années, d’autres sont hébergés dans des foyers de migrants depuis leur installation en France. Compte-tenu de leur âge, ils ont tout naturellement fait valoir leurs droits à la retraite.

En France, l’âge de la retraite est fixé à 62 ans pour les salariés du secteur privé. Il convient de noter que les étrangers ont les mêmes droits sociaux que les français. Pour avoir soutenu et accompagné la rédaction de plusieurs dossiers jusqu’à leurs termes (rappelons que beaucoup de Sénégalais ont des difficultés avec l’écrit), on constate que leurs pensions s’échelonnent entre 1000 € par mois (655 000F CFA) pour ceux qui n’ont pas le nombre de trimestres requis pour et 2000 € (1 300 000 F CFA) pour les anciens salariés de l’automobile ou de l’industrie chimique qui bénéficient d’un taux plein.

Nous pouvons dire qu’ils sont mieux lotis que beaucoup de Sénégalais retraités ou en activité qui vivent au Sénégal. La situation qui nous interpelle aujourd’hui est celle de ces retraités «célibataires» qui vivent dans des foyers surpeuplés et qui n’ont pas l’intention de rentrer au Sénégal pour profiter de leurs familles qu’ils n’ont vu que très peu depuis leur départ pour la France. Il est impressionnant et parfois pathétique de voir des personnes âgées de 70 ans, dans une chambre de 9 m2, qu’elles partagent avec un neveu ou cousin pour atténuer les frais de loyer qui avoisinent 400€ (260 000F CFA).

Ces retraités se retrouvent parfois, comme au Sénégal, dans les grand’places pour discuter et tuer le temps. Pourtant, leurs revenus mensuels pourraient leur permettre de vivre dignement au Sénégal, d’autant plus que beaucoup d’entre eux sont originaires des villages, donc sans charge de loyers. Il est important de ne pas porter un jugement hâtif, mais, tenter de comprendre ce qui les conduit à de telles décisions. Pour justifier leur présence durable en France, beaucoup l’expliquent par des rendez-vous médicaux. Ils ont très certainement des raisons différentes pour préférer vivre continuellement en France. Rappelons qu’ils ont vécu plus de 40 ans dans ce pays sans famille, ni femme ni enfant. Ils partaient 3 mois environ tous les 2 ans au Sénégal. Ils n’ont vécu que dans le célibat, subi durant toutes les années, de dur labeur.

A 70 ans, ils n’ont vu leurs femmes et enfants que 5 ans environ. La raison voudrait qu’ils aillent se reposer et se faire bichonner par les leurs, mais un retraité m’expliquait qu’il a des difficultés à vivre au Sénégal, car, dit-il, : «J’en ai marre des sollicitations, je suis une vache à lait, du bruit partout, je n’ai aucune reconnaissance, mais je n’ose pas le dire, je dis à tout le monde que j’ai rendez-vous en France». Lorsque j’ai souhaité échanger avec lui afin qu’il raconte sa douloureuse histoire, il s’est braqué et m’a indiqué que lui-même était perdu, «mais beaucoup sont dans mon cas». S’il est vrai que ces sénégalais sont très minoritaires, il nous appartient néanmoins, de nous interroger sur l’impact de l’émigration sur ces vies morcelées qui n’arrivent pas à retrouver un équilibre. Je pense que personne ne connait les raisons objectives de ces décisions.

Il est évoqué : des vies de «célibat» qui durent, empêchant une refondation familiale, une liberté perdue au Sénégal, un plaisir non retrouvé au pays d’origine, les habitudes dont ils n’arrivent pas à se défaire…

Nous reviendrons sur cette situation prochainement sous forme d’échanges avec les intéressés pour mieux apprécier leurs choix et sans jugement. Pour ce faire, il faudra encore du temps et une relation d’empathie afin qu’ils comprennent la démarche et le bien-fondé de cette éventuelle rencontre. Il faudra très certainement anonymiser leurs noms car, il faut le reconnaître, ils ont honte de leurs choix inavoués.

5 Commentaires

  1. Tres bel article qui allie un phenomene sociogique , culturel et economique. L’immigration est loin d’etre une affaire bsnale. Nos intellectuels doivent s’interesser davantange a la sante psychologique voire psychiatrique des personnes immigrantes dans leurs pays d’accueuil. Ces personnes qu’elles soient jeunes ou vieux souffrent de solitude et d’affections de toutes sortent surtout lorsqu’elles sont celibataires et femmes. Nous sommes etrangers dans notre pays d’accueil et si on vient au senegal nous perdons la sensation et les reperes que nous y avions laisse et encore qu’on est plus autorise a faire et entrer la ou on veut. Meme si tu veux juste courtiser une fille toute ls meute d’yeux porte de gros attente sur la suite. Tous les immigrants y compris moi ont se sentiment d’etre etranger partout. Meme si j’ai une tres situation socio-professionnelle au quebec avec un revenu annuel qui fait partie des 10% les mieux payes (+100 milles dollards + une belle maison unifamiliale), meme si je suis tres bien apprecie dans mon milieu de travail, je ressens toujours ce sentiment d’etre different voir etranger parce que a un moment donne qq’un va te poser la question tu viens de ou? Alors compare a ces personnes dont l’auteur de cet bel article decrit ici, je pense que les intellectuels que nous sommes et les journalistes en particulier doivent s’interesser a ce sujet quu pourrait meme contribuer a faire reflechir davantage les potentils futurs emmigres surtout ceux clsndestins. Le probleme du retour au senegal se posera partout dn europe ou en amerique parce que lorswu’on est vieux et retraite on a plus de problemes de sante et malheureusement au senegal le systeme de sante fait defaut et c’est ce qui fait que ces retraites laissent toujours un gros pays dans leurs pays d’accueuil pour ine questikn de securite sanitaire. Mais la sante n’est pax que physique, elle est aussi d’ordre psycho’sociale

  2. Il n’y a pas que le Social. La difficulté majeure de décider de retourner au pays est la prise en compte des frais médicaux au pays et un suivi médical conforme a l’age de la vulnérabilité. Au pays un AVC, la COVID, le paludisme et même une grippe peuvent tuer faute de conditions idoines Ces gens ont perdu toute immunité contre les maladies bénignes tropicales.Ils ne peuvent objectivement pas rentrer parce que les conditions de vie au pays sont inadéquates et inadaptés a leurs besoins de personnes âgées vulnérables.

  3. Tu parles de « sans jugement  » alors que tu les juges.Ils ont fait un choix en fonction de leurs situations personnelles.S’ils veulent rester en France ils n ont qu’a y rester.Le Senegal est un pays complique avec des gens comme l auteur de cet article qui pensent tout savoir . Donc pour eviter les calomnies et consorts, ils preferent finir leurs jours au foyer.

  4. Les émigrés, homme comme femme sont des gens courageux, braves et travailleurs. Ils bravent les dures conditions de vie en Europe. Malgré tout ils font de leur mieux pour entretenir les parents et même amis restés au pays, la famille en Europe pour certains et essaient de mettre de côté pour investir et construire un toit pour le retour.
    S’ils ne sont pas rentrés, à un certain âge c’est parce qu ´ils n’ont pas où habiter.
    Ils ont été arnaqués par la famille, les amis, les faux promoteurs ou les véreux et escrocs Maires comme Mr . THIERNO DIAGNE de Sindia.
    Malgré les plaintes, ni lEtat, ni la Justice ne les aident à avoir gain de cause et récupérer leurs biens. Donc ils ne leur reste que leurs yeux pour pleurer et résigner à rester à l’extérieur.

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