Fuir l’enfer, périr en mer. Correspondances d’outre-tombe (suite) (Par Alassane Kitane)

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Vous êtes des martyrs. Vous nous avez parlé en périssant en masse de cette façon tragique. Vous nous avez envoyé un message simple en nous disant ceci : « gens de Ndoumbélane, vos ancêtres, même victimes de toute sorte d’atrocité, vous ont laissé un pays avec d’énormes potentialités. Vous nous avez déshérités en les gaspillant. Pour votre propre confort, vous nous avez sacrifiés. Vous avez vendu la mer et condamné les pêcheurs traditionnels au chômage. Vous avez été incapables de mettre en valeur 700 km de côtes, parmi les plus poissonneuses au monde. Pas même une université dédiée aux ressources halieutiques et à l’énergie hydraulique ! ».

Ces jeunes morts en mer ont fait exploser la spirale du silence savamment orchestrée autour de la situation de précarité et de détresse aigue de la jeunesse sénégalaise. J’accuse les médias de peindre et d’occulter la réalité par la fiction ; de noyer toute la laideur du pays dans le vernis malsain du folklore. La grande et profonde pauvreté du pays est restée inaperçue depuis belle lurette. Les gens de Ndoumbélane sont vraiment sectaires, chauvins, égoïstes : même dans leurs téléfilms, ils ne réservent aucune place pour les pauvres !

Ce pays n’a jamais été un enfer, il ne l’est point, mais on l’a rendu infernal par une direction pourrie, des mœurs incompatibles avec le développement. Ces jeunes sont morts pour préserver leur dignité. Il se dit que beaucoup d’esclaves se suicidaient durant leur transplantation aux Amériques, qu’ils ont préféré mourir plutôt de rester serviles toute leur vie : le martyre de ces jeunes n’est pas loin de cette logique. Ils voulaient s’évader de cette immense prison qu’est devenue leur pays. Ils sont compris qu’on leur a volé et que leur dignité était presque en jeu. Il ne saut pas les blâmer, il ne faut pas criminaliser leur folie ; ce qu’il faut criminaliser, c’est plutôt l’indolence républicaine et la compromission des élites qui laissent faire.

La mort tragique de ces jeunes et leur insouciance face au danger de cette illusion infinie et jamais domptée qu’est l’océan montre que l’espoir est mort dans leur pays. Demander à ces pêcheurs, étudiants, ouvrier, etc. de garder l’espoir dans ce pays rongé par la misère et la corruption, c’est demander à un croque-mort de garder un mort dans ses bras. L’espoir a été tué, et la seule façon de faire semblant d’avoir encore de l’espoir, c’est de prolonger les funérailles du désespoir dans la festivité, par la fabrique d’une société de folklore. Des jeunes qui préfèrent mourir dans l’eau plutôt que de vivre dans leur pays : c’est tout un symbole ! C’est aussi le meilleur baromètre pour mesurer l’état du pays. Tout le reste n’est que bavardage et ostentation puérile.  (A suivre)

Le Casse-pieds de Ndoumbélane

Alassane K KITANE

2 Commentaires

  1. Ce phénomène de l’émigration clandestine est une « plaie béante » aux yeux des autorités étatiques. Au delà de toute autre considération, l’état est le principal responsable de cette situation alarmante. Il n’y a jamais eu une véritable politique de prise en charge par l’état des préoccupations de cette jeunesse, de loin la frange la plus importante de la population. La principale ressource qui demeurait un vivier espoir de cette jeunesse qu’est la mer est systématiquement bradée depuis plusieurs décennies. Les licences de pêches accordées aux bateaux étrangers dans des conditions souvent nébuleuses, ont fini par entrainer une rareté des espèces marines à cause d’une pratique sauvage de surpêche. Conséquences, la pêche artisanale qui nourrissait et entretenait bon nombre de professionnels et d’acteurs de ce secteur est en profonde crise, entrainant beaucoup de monde dans le chômage et la précarité. Il est à noter que la plupart des candidats de ce phénomène « Barça ou Barsakh » sont des acteurs de la pêche artisanale qui ont vu leurs activités en déroute, à cause de la rareté des produits halieutiques.
    On ne peut en aucun laisser faire les passeurs qui se nourrissent de la chaire de ces potentiels clients aux « suicides collectifs » que constituent ces voyages périlleux aux bords des barques de fortune, dans l’unique espoir de regagner l’Europe. Une lourde sanction pénale devrait tomber sur ces criminels qui vivent de l’argent des désespérés, par contre une bonne prise en charge doit être accordée à ces derniers.

    Il est grand temps d’arrêter ce pillage de nos ressources pour permettre une meilleure régénération des espèces marines, en mettant en place une politique efficace et rigoureuse. D’autre part, il faudrait en priorité assurer une formation des jeunes aux métiers agricoles et pastorales et les orienter dans ces domaines avec des projets porteurs financés et bien encadrés. Plus que jamais nous devons compter sur nos propres moyens, la crise à la Covid-19 nous y convient fortement. Nous devons être amenés à assurer notre sécurité alimentaire, par un retour impératif à la terre grâce, à un plan de développement agricole bien réfléchi et muri, avec des moyens et équipements techniques nécessaires. Les potentialités existent déjà, tout le problème demeure donc une question de volonté et de vision politique, qui font malheureusement défaut à nos dirigeants actuels.

  2. Arrêtez de justifier l’injustifiable ! L’état, l’état, l’état, matin midi soir, il n’y a qu’en Afrique où on voit cette culture de la paresse et de l’irresponsabilité individuelle ! Tous les gens comme ce Kitane qui défendent ces jeunes qui prennent la mer avec des risques mortels sont leurs premiers assassins. Il faut être très malhonnête et cynique pour justifier ce choix clandestin et risqué des jeunes dont l’écrasante majorité ne sont même pas des pêcheurs ! Il faut au contraire les dénoncer et dénoncer leurs familles qui sont complices de ces voyages en mer. Pourquoi mettre jusqu’à 3 millions pour un voyage en pirogue sans aucune garantie d’arriver vivant en Europe ? Chaque pirogue transporte au moins 100 passagers, s’ils mettaient leurs 3 millions ensemble, ce serait déjà 300 millions. Mais imaginez tout ce qu’on peut faire dans notre pays avec 300 millions !! On peut facilement monter un GIE pour transformer les fruits provenant de la Casamance car le nouveau Pont Farafénié permet la mobilité en tout temps vers le sud. On peut aussi exploiter des parcelles de riz dans la vallée du fleuve ou de l’anambé, ou investir dans la distribution interurbaine de produits alimentaires, ou créer de petits start-up surtout dans les régions où la demande est grande, ou créer des GIE de production de dérivés de produits agricoles, etc. etc. etc. C’est faux, mensonger, irresponsable et nafèkhe de dire que ces jeunes n’ont aucune opportunité au Sénégal. Plein d’autres jeunes travaillent d’ailleurs tous les jours dans des secteurs très différents et s’en sortent très bien. En plus, la plupart des jeunes clandestins qui arrivent en Europe vivent comme de misérables esclaves, dorment à 5, 6 ou 7 par chambre, mangent très mal et vivent toujours sous pression. Vous avez pitié et honte quand vous voyez tous ces jeunes sénégalais désœuvrés et hagards dans les rues de Milan, de Paris, de Barcelone, de Bruxelles. Et tous sont venus par les pirogues et sans aucune qualification pour rester en Europe. C’est la triste vérité. Donc si vous voulez aider notre jeunesse, arrêtez de lui mentir, arrêtez de l’enfoncer dans la paresse, arrêtez de la déresponsabiliser. Vous faites partie de ceux qui tuent ces jeunes….

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