REPORTAGE – L’aviation israélienne a frappé plus de 150 objectifs dans la bande de Gaza mercredi soir et aux premières heures de jeudi, tandis que le Hamas tirait des dizaines de roquettes, dont une profondément en territoire israélien.
De notre envoyé spécial à Gaza
Est-ce la chaleur, écrasante ou l’absurdité d’une mécanique qu’ils connaissent trop bien? Les habitants de Wadi Salqa, venus jeudi matin constater les dégâts après les bombardements de la nuit, affichent des mines défaites et ne sont pas d’humeur à chercher les mots. Ce bourg agricole, situé dans l’est de la bande de Gaza, offre un point de vue idéal pour suivre l’énième poussée de fièvre entre Israël et le mouvement islamiste Hamas. Malgré l’accalmie observée depuis le lever du jour, on voit de temps à autre une salve de roquettes s’élever dans les airs, suivie par un sifflement aigu, en direction des localités situées de l’autre côté de la clôture. Selon le porte-parole de Tsahal, plus de 150 projectiles ont été tirés par les factions palestiniennes dans la nuit de mercredi à jeudi, blessant une dizaine d’Israéliens. Les bombardements conduits en représailles par l’aviation israélienne sont unanimement décrits comme les plus violents depuis la guerre de l’été 2014.
La maison de la famille Khammash, simple cube de parpaings coiffé d’une plaque de tôle et entouré d’une courette de terre battue, porte les stigmates de cet accès de fièvre. Un projectile, dont les villageois exhibent les éclats métalliques tordus par l’impact, a percé vers une heure du matin un orifice long d’environ un mètre à travers le toit. Des tiges de ferrailles pendent dans le vide, un épais tapis de gravats recouvre le sol de la chambre à coucher et les murs sont maculés de sang. Le père, Mohammed, a été sérieusement blessé et transporté à l’hôpital al-Aqsa. Son épouse Inas, âgée de 23 ans et enceinte de neuf mois, ainsi que leur fillette d’un an et demi, Bayan, ont été tuées dans l’explosion. Un second projectile, qui a d’abord traversé le mur de la mosquée voisine, est tombé au seuil de la maison. Khaled Abou Singer, un voisin, jure la main sur le cœur qu’aucune roquette n’avait été tirée depuis Wadi Salqa.
«Nous avons exclusivement visé des camps d’entraînement, ainsi que des sites de lancement de roquettes, des entrepôts de stockage d’armes»
Le lieutenant-colonel Jonathan Conricus, porte-parole de l’armée israélienne, indique ne pas avoir d’information sur l’événement. «Nous avons exclusivement visé des camps d’entraînement, précise-t-il, ainsi que des sites de lancement de roquettes, des entrepôts de stockage d’armes et des ateliers de matériaux utilisés pour la construction de tunnels.»
«Drôle de guerre»
Ces bombardements, qui ont visé plus de 140 cibles tout au long de la nuit, réveillent de bien mauvais souvenirs de part et d’autre de la frontière entre les deux territoires. «J’ai eu peur comme au plus fort de l’été 2014», raconte Oussama Moussa, un Palestinien moustachu à la silhouette élégante et aux traits anguleux, qui dit vouloir la paix mais redoute qu’un nouveau conflit ne soit inéluctable. Après la longue période de calme qui a suivi la dernière guerre, le rythme des passes d’armes s’emballe depuis le printemps. Le 29 mai comme le 20 juin et le 13 juillet, des dizaines de roquettes tirées par les groupes armés palestiniens vers les localités voisines de Gaza ont été accueillies par des bombardements massifs, quoique relativement peu meurtriers. L’armée israélienne a jusqu’à présent pris soin de viser des sites militaires préalablement évacués par la branche armée du Hamas. C’est tout le paradoxe de cette «drôle de guerre»: si chacun veut sortir de ces escarmouches la tête haute afin, selon la formule consacrée, de rétablir la dissuasion, ni les Palestiniens ni les Israéliens ne souhaitent infliger à l’autre des dommages qui rendraient un nouveau conflit inéluctable.
Mercredi soir, le nouvel accrochage a d’ailleurs débuté alors qu’une rumeur insistante annonçait depuis plusieurs jours la signature imminente d’une trêve de longue durée en contrepartie d’un assouplissement du blocus imposé à l’enclave. Plusieurs dirigeants du Hamas en exil dont Salah el-Arouri, réputé proche de la branche armée du mouvement, avaient été exceptionnellement autorisés par l’Égypte à se rendre dans la bande de Gaza pour discuter de cette perspective. Ils assistaient à un entraînement des brigades Ezzeddine al-Qassam dans un camp militaire lorsqu’un poste d’observation y a été pris pour cible mardi matin par un tir de char israélien. Deux combattants palestiniens ont été tués sur le coup. «Les Israéliens ont par la suite affirmé avoir ouvert le feu par erreur mais on ne peut pas laisser un tel crime impuni», dénonce Abou Ahmed, rencontré à Beit Lahiya lors des obsèques d’Ali al-Ghandour, autre membre des brigades Ezzeddine al-Qassam tué par l’État hébreu.
«Nos efforts collectifs ont empêché la situation d’exploser jusqu’à présent mais la situation menace de dégénérer à tout moment, au risque de conséquences qui seront dévastatrices pour tous»
Nikolaï Mladenov, représentant du secrétaire général de l’ONU
Les premiers tirs de roquettes, présentés comme une riposte du Hamas, ont provoqué mercredi soir des scènes de panique dans les rues de Sderot. Sur une vidéo tournée par un résident, on voit le sillage blanc d’un projectile fendre la nuit tandis qu’un autre explose non loin d’un parc pour enfants, soulevant une épaisse fumée blanche. Les 20.000 habitants de cette ville qui s’étend à la limite nord de l’enclave palestinienne ont été invités jeudi à rester près de leurs abris, tandis que les sorties en plein air et les rassemblements ont été suspendus. L’armée, qui affirme ne pas rechercher l’escalade mais se prépare pour tous types de scénarios, a acheminé jeudi de nombreux engins de transports de troupe vers la bande de Gaza.
Au terme d’une rude nuit d’affrontements, Israël et le Hamas semblaient jeudi midi envisager un retour au calme. Mais toute escalade de ce type génère une dynamique difficile à contenir. Deux heures à peine après l’annonce d’un retour au cessez-le-feu par le Hamas, les Palestiniens ont ainsi tiré une roquette de moyenne portée vers la grande ville de Beersheba – ce qui, dans la grammaire singulière de ce conflit à distance, a été interprété comme une escalade significative. Le gouvernement israélien, sommé par l’aile droite de sa majorité d’employer la manière forte, a ordonné à l’armée de conduire de nouvelles frappes à Gaza. Un immeuble de cinq étages hébergeant des institutions culturelles a été anéanti par plusieurs frappes aériennes qui ont fait 18 blessés en fin d’après-midi. Nikolaï Mladenov, le représentant du secrétaire général de l’ONU, qui se démène depuis plusieurs semaines pour promouvoir une trêve de longue durée, avait mis en garde peu auparavant: «Nos efforts collectifs ont empêché la situation d’exploser jusqu’à présent mais la situation menace de dégénérer à tout moment, au risque de conséquences qui seront dévastatrices pour tous.»
Jeudi soir, Israël et l’organisation radicale palestinienne du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, se sont entendus jeudi sur la mise en place d’une trêve destinée à mettre fin aux affrontements, ont déclaré dans la soirée deux responsables palestiniens. Un responsable israélien a démenti à Reuters qu’un cessez-le-feu ait été conclu. Israël reconnaît rarement conclure de tels arrangements avec le Hamas, organisation qu’il considère comme terroriste.
Le Figaro