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Gestion des fonds politiques : Le mal est dans la loi – De 1970 à 2000, il y avait fonds politiques et fonds secrets – Depuis 2000, c’est le règne de l’opacité

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Toutes les conditions d’une opacité sont réunies dans l’allocation et la gestion des fonds politiques que le législateur met à la disposition du chef de l’Etat. A l’initiative du Forum civil, des spécialistes sont revenus hier sur cette nébuleuse qu’ils considèrent  comme une niche propice au détournement de l’argent public.

D’ordinaire, on les nomme fonds politiques. Les initiés préfèrent parler de fonds secrets ou spéciaux. Quoi qu’il en soit, l’expression consacre une nébuleuse, une «monstruosité budgétaire», qui sert à couvrir des «dépenses privées». Les enveloppes de Abdou­la­ye Wade constituent des cas d’école. Cet avis est d’autant plus fondé que l’utilisation de cette manne fi­nancière relève du pouvoir discrétionnaire du président de la Ré­pu­bli­que. L’opacité en est la règle. Au-delà du flou qui entoure sa na­tu­re ou sa destination, cet argent pose des problèmes à trois ni­veaux. Selon le professeur des fi­nances publiques, Abdourah­ma­ne Diokhané, les fonds politiques renvoient à «des crédits votés par l’Assemblée nationale, dont on ne mentionne que le montant global».

Au cours d’un panel sur les de­niers publics organisé hier par le Forum civil en partenariat avec l’ambassade du Canada,  l’universitaire  relève que la particularité de ces crédits dits politiques réside dans le fait que l’Assemblée nationale les approuve sans les diviser par chapitres, ni en préciser la destination. «Quand le projet de budget du président de la République est envoyé au Parlement pour examen, le dossier n’est pas accompagné d’annexes qui préciseraient les dépenses prévues avec ces ressources publiques. On les met dans le chapitre des transferts ; or, ceux-ci concernent les subventions», s’émeut cet enseignant de la Faculté de droit de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad).

Recul
A ce niveau, il estime que le Sé­négal a connu un recul car jusqu’en 2 000, l’utilisation prévue pour ces ressources financières qualifiées de spéciales était divisée en deux chapitres : fonds secrets et fonds po­litiques. Et cela, depuis les an­nées 1970. Cette pratique a cessé sous le régime de Abdoulaye Wa­de. Même s’ils sont présentés sous forme de rubrique,  tous les abus sont permis dans la mesure où, aucun contrôleur public des opérations financières ne peut intervenir. «Le Président n’est pas obligé de rendre compte à  une autorité comptable ou juridictionnelle, encore moins à un citoyen. Sa seule responsabilité est politique», dit-il. Pour en jouir, il lui suffit juste de tenir  un compte au Trésor public en déléguant les opérations de retrait à un de ses collaborateurs.
Venu prendre part aux échanges au même titre que Abdou Latif Cou­libaly et Aminata Touré res­pec­tivement  ministre de la Bonne gouvernance et de la Justice, le dé­puté Cheikh Seck a préconisé une mise en branle de la Com­mission de la comptabilité de l’Assemblée nationale, pour assurer le contrôle de l’utilisation des fonds politiques alloués au chef de l’Etat.

Régimes juridiques
Qu’en est-il du sort des personnes ayant bénéficié des fonds politiques ? Cette question inspirée de l’actualité judiciaire de ces derniers mois  a suscité une réponse simple chez le conférencier. «Du moment que les fonds spéciaux mis à la disposition du chef de l’E­tat ne sont pas soumis au contrôle, le bénéficiaire ne peut pas faire l’objet de poursuite», précise le spécialiste des régimes juridiques des finances publiques.
Par ailleurs, M. Diokhané ne verse pas dans les fonds spéciaux dont jouit le président de l’Assem­blée dans le panier des fonds politiques. «Du moment qu’il y a un comptable et un ordonnateur des dépenses, on ne peut pas parler de fonds politiques pour le président de l’Assemblée nationale. Là, il y a une séparation entre l’ordonnateur et l’exécutant des dépenses, contrairement au président de la République.» Abdourahmane Dio­khané de considérer l’agent comptable comme «le gardien de l’orthodoxie financière» qui doit vérifier la régularité de la dépense, la qualité de l’ordonnateur, l’existence de crédit inscrit dans ce chapitre en question et exiger des pièces justificatives.
Il y a moins de trois ans, le comptable public pouvait statuer sur la réalité de la dépense avant de procéder à un décaissement. «Ce n’est plus le cas», regrette-t-il. Un décret présidentiel en vigueur depuis 2011 interdit au comptable public de se soucier de la réalité de la dépense. L’ordonnateur qui est souvent un homme politique est devenu seul juge de l’opportunité et par conséquent de son engagement.

«Des juges trop souverainistes»
Cet obstacle que le régime libéral à fait sauter explique en partie la délinquance financière observée dans la gestion des ressources publiques. Le mode opératoire des délinquants est tout de même plus sinueux. D’après le président du Tribunal régional de Thiès, Malick Lamotte, ils utilisent tous les moyens de corruption, de concussion, de contournement des procédures légales pour dissimuler le détournement. Pour mener des investigations efficaces, il faut de «l’ingénierie judiciaire».  Lorsque la personne possède des biens et un train de vie que ses revenus ne peuvent pas justifier, indique-t-il,  le juge d’instruction doit s’intéresser au produit de l’infraction. «Quand une personne a détourné des deniers publics, elle essaie d’en jouir. D’où l’intérêt de mener une enquête de patrimoine. On peut le détecter, l’identifier et les saisir», suggère-t-il.
M. Lamotte d’ajouter qu’il sera plus efficace de s’intéresser à la propriété économique au-delà des aspects juridiques d’un bien : «Si le bien est enregistré au nom d’un parent, on peut voir les activités économiques et ses liens avec  la personne incriminée.» Un de ses collègues en service à la Cour des comptes, Cheikh Lèye, invite ses collègues à être moins  «nationalistes». Selon ce dernier, tous les textes sont internationalisés. Par conséquent, ils ne doivent pas se priver des instruments juridiques internationaux pour juger des détournements. Par contre, ce dernier s’indigne : «Nous juges sommes trop souverainistes. Tous les moyens juridiques existent. Notre talon d’Achille, c’est l’absence de répression des délits de détournement.»
Par ailleurs, le juge Lamotte souhaite un renforcement des mécanismes de contrôle et de prévention des détournements de deniers publics. Selon les panélistes, une réforme est plus qu’urgente, car l’impact des détournements des  ressources du pays est nocif pour l’économie. Si on se fie à Louis Cabral, enseignant à la Fa­culté des sciences économiques et de gestion de l’Ucad,  ces manifestations sous forme de corruption et de concussion entraînent une déperdition du budget de l’Etat, des surcoûts, la fuite de capitaux, une conversion de l’argent public en épargne privé. Par conséquent, l’Etat offrira moins de services aux citoyens qu’il ne devait.

Lequotidien

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