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Goodbye Gbagbo, Goodluck Jonathan

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Les yeux de l’Afrique francophone sont braqués sur Abidjan. Au risque d’ignorer le Nigeria et ses changements politiques qui influencent le continent.

Le président nigérian Goodluck Jonathan, Abuja, le 1er octobre 2010. REUTERS/Afolabi Sotunde

L’AUTEUR

Pierre Cherruau

 

La Côte d’Ivoire. Encore et toujours la Côte d’Ivoire. Depuis six mois, les médias d’Afrique francophone n’ont que le nom de ce pays à la bouche. Ils n’ont d’yeux que pour Abidjan. Depuis un certain 28 novembre 2010, le jour du deuxième tour de la présidentielle ivoirienne. Seule l’issue de cette élection passionne.

Il est vrai que le suspens était de taille. Pendant cinq mois, la Côte d’Ivoire a eu deux présidents. Alassane Ouattara dont l’élection était reconnue par la communauté internationale, notamment par les Nations unies. Laurent Gbagbo, le président sortant dont la réélection avait été validée par le Conseil constitutionnel.

Pendant plus de quatre mois, Laurent Gbagbo s’est accroché à son trône. Seule une intervention militaire est parvenue à le déloger de son palais présidentiel. Encore aujourd’hui, les médias se passionnent pour les conditions de l’arrestation le 11 avril de Laurent Gbagbo. A-t-elle été l’œuvre des troupes françaises de la licorne ou des hommes d’Alassane Ouattara?

Une autre élection majeure

Alors que la polémique prend de l’ampleur, les médias francophones en viennent presque à oublier un autre scrutin majeur: la présidentielle au Nigeria. Le président sortant Goodluck Jonathan vient d’être réélu dès le premier tour de l’élection organisée le 18 avril. Selon la Commission électorale nationale indépendante, il aurait recueilli 57% des suffrages. Son principal rival Muhammadu Buhari n’aurait rassemblé que 31% des voix. Un résultat contesté par Muhammadu Buhari, mais ce candidat musulman a exigé la fin des émeutes postélectorales qui ont fait au moins 200 morts. Des électeurs du nord, pro-Buhari, ont manifesté pour contester le verdict des urnes. Au Nigeria, les élections débouchent fréquemment sur des violences.

Malgré toutes les difficultés postélectorales, Goodluck Jonathan sort renforcé de ce processus. Il aura été adoubé par le scrutin universel. La nouvelle est loin d’être sans importance. Le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique. Il compte plus de 160 millions d’habitants. D’ici à 2050, sa population pourrait dépasser les 300 millions. D’ores et déjà, un Africain sur cinq est Nigérian. Les Nigérians aiment à qualifier leur pays de «géant de l’Afrique». Ils souffrent parfois d’ailleurs d’un certain complexe de supériorité. «Nous sommes à l’Afrique ce que sont les Etats-Unis au monde»expliquent des Nigérians, peu enclins à la modestie.

La Fédération nigériane n’est pas uniquement une puissance démographique. Ce pays est avec l’Angola le principal producteur de pétrole du continent. Par ailleurs, le Nigeria est de plus en plus considéré comme la puissance politique de l’Afrique de l’ouest. Goodluck Jonathan a exercé de très fortes pressions sur les autres dirigeants du continent: il voulait à tout prix forcer Gbagbo à quitter le pouvoir. Goodluck Jonathan était sur la même longueur d’onde que Washington et Paris.

La réélection de Goodluck Jonathan est donc un événement considérable. D’autant plus important qu’elle marque une rupture dans l’histoire politique tourmentée de ce pays. Tout comme la Côte d’Ivoire, le Nigeria est une nation où il existe de fortes tensions entre le nord musulman et le sud chrétien.

Rivalités entre le nord et le sud

Afin d’apaiser ces conflits, les politiciens ont mis en place un système complexe de rotation du pouvoir. Les hommes du nord et ceux du sud sont sensés se relayer au pouvoir. Le sudiste chrétien Olusegun Obasanjo avait effectué deux mandats consécutifs. Son parti, le Parti démocratique du Peuple (PDP), le plus puissant du Nigeria, avait donc désigné pour lui succéder un nordiste musulman, Umaru Yar Adua. En toute logique, il devait donc effectuer deux mandats et laisser la place à un chrétien du sud. Mais le destin et surtout la santé très fragile de Umaru Yar Adua en ont décidé autrement. Il est mort en 2010, un an avant même la fin de son mandat. Le vice président, Goodluck Jonathan, a alors pris sa succession.

Goûtant visiblement ses nouvelles fonctions, Goodluck Jonathan a décidé de solliciter un mandat. Au sein de son parti, bien des dents ont grincé. Au final, les chrétiens du sud avaient pris leurs aises à Aso rock, le palais présidentiel. Après Olusegun Obasanjo, Goodluck Jonathan allait y effectuer presque deux mandats: sous le règne de Umaru Yar Adua, il exerçait déjà la réalité du pouvoir, le président sortant était trop faible physiquement pour assumer ses fonctions.

Cette alternance du pouvoir entre le nord et le sud ne va pas de soi au Nigeria. Depuis l’indépendance acquise en 1960, les «nordistes» dominaient le monde politique. Nombre d’entre eux justifiaient ainsi cette mainmise sur les institutions politiques: «Les sudistes ont déjà le pouvoir économique. Il nous faut le pouvoir politique pour maintenir un équilibre». Tel était le raisonnement de bien des nordistes.

Le spectre de la guerre

Ces préoccupations ne doivent pas être prises à la légère. De 1967 à 1970, le Nigeria a connu une guerre fratricide qui a fait près de trois millions de morts. Très majoritairement catholiques, les Ibos, une puissante ethnie du sud-est, ont tenté de faire sécession. La guerre du Biafra a marqué les esprits et profondément divisé le pays. Le fossé nord-sud s’est creusé: des centaines de milliers d’Ibos ont quitté le nord pour revenir vivre dans leur région d’origine.

Il est d’autant plus important de respecter les équilibres nord-sud que les «deux Nigeria» n’ont pas la même culture. Dans le nord, la charia est appliquée, parfois avec rigorisme. Alors que le sud est beaucoup plus influencé par le mode de vie et les valeurs occidentales.

Comment dès lors le Nigeria a-t-il évité que chaque élection présidentielle ne se transforme en bataille rangée? Comment se fait-il que le perdant de l’élection accepte le verdict des urnes? Du moins qu’il ne prenne pas les armes pour prendre d’assaut le palais présidentiel d’Aso rock.

Est-ce parce que les fraudes sont moins nombreuses au Nigeria qu’ailleurs? Difficile à croire. «Au Nigeria, dans les campagnes, on vote encore pour celui qui vous donne le plus gros sac de riz. Le candidat qui a le plus d’argent est très fréquemment le vainqueur», analyse Tunde Fatunde, professeur d’université à Lagos, la capitale économique du Nigeria.

Un modèle fédéral à l’américaine

La force du modèle nigérian réside sans doute ailleurs. Ce pays a su très tôt adopter un système politique très peu usité en Afrique francophone: le modèle fédéral. Inspiré du modèle américain, ce système fédéral a abouti régulièrement à la création de nouveaux Etats. La Fédération nigériane en compte actuellement 36. Chaque nouvelle revendication locale a pu être «calmée» avec la création de nouveaux Etats ou de nouveaux gouvernements locaux. «Ainsi, chacun peut avoir sa part du gâteau national. Ce n’est pas parce que le candidat de votre ethnie a été battu lors de l’élection présidentielle que vous avez tout perdu. Bien au contraire. Les gouverneurs des Etats ont beaucoup de pouvoir: ils gèrent des budgets considérables», souligne Michael Iteke, un enseignant du delta du Niger.

Autre pomme de discorde entre nordistes et sudistes: Lagos, la plus grande ville d’Afrique, peuplée de 15 millions d’habitants était tout à la fois la capitale économique et politique. Lagos était en passe de devenir «invivable». Les fameux «go slow» (embouteillages) ralentissaient considérablement les activités économiques. Dès les années 90, le Nigeria a donc créé de toute pièce, une nouvelle capitale, Abuja, située au centre du pays. Contrairement à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, Abuja s’est très vite imposée comme une véritable capitale politique. La présidence, les ministères, le parlement et les ambassades ont déménagé dans cette ville nouvelle.

Un géant à ne pas négliger

La fondation d’Abuja a contribué à ce que ce le Nord ait moins le sentiment d’être marginalisé économiquement et politiquement. Le système fédéral a rendu plus acceptable la victoire électorale du sudiste Goodluck Jonathan. Certes des manifestations violentes ont eu lieu dans le nord du Nigeria. Mais dans ce pays, tous les scrutins ont toujours été marqués par des violences postélectorales.

La réélection de Goodluck Jonathan va sans doute conférer davantage de poids à son pays sur la scène africaine, mais aussi mondiale. Le Nigeria aspire à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce pays fait de plus en plus figure de rival de l’Afrique du Sud: il veut exercer un leadership sur le continent.

Une partie de l’avenir de l’Afrique se joue aussi sur cette autre lagune. Pas la lagune ébrié chère aux Abidjanais, mais celle de Lagos. L’autre lagune. Cette autre Afrique que les francophones auraient tort d’ignorer plus longtemps.

Pierre Cherruau

slateafrique.com

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