Greffe réussie des incivilités constitutionelles et de la candidature de Wade: Le Pr Kader Boye* réfute de la thèse de l’invalidité

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Le jeu des modifications de la Constitution de 2001 a fini par plonger ses propres auteurs dans une sorte d’angoisse existentielle. Personne au sein du pouvoir n’a aujourd’hui la certitude que la candidature du président sortant à l’élection présidentielle de 2012, ne pourrait se heurter à aucun obstacle infranchissable d’ordre constitutionnel.

C’est le juste retour des incivilités commises à l’endroit de la Constitution. On n’est donc que peu étonné de constater qu’un ministre d’Etat agite l’idée de recourir à une loi interprétative pour, pense t-il, clore le débat dans lequel se trouve récusée, la candidature du président de la République sortant. L’idée a au moins le mérite de montrer que ceux qui nous gouvernent ont toujours fait peu cas des règles fondamentales qui forment le socle du fonctionnement de l’Etat. Il est peu d’exemple au monde où une discordance si profonde de point de vue se fasse sur le point de savoir si un président de la République sortant, peut encore constitutionnellement briguer un nouveau mandat.

Les discussions portent plus volontiers sur la légitimité des amendements constitutionnels qui font sauter les verrous des limitations des nombres de mandats.

Le Sénégal déroge à la règle pour cause de mauvaise gouvernance. Le président Wade peut-il valablement briguer un nouveau mandat présidentiel en 2012 ?

Selon beaucoup de juristes, d’hommes politiques et de simples citoyens, pour qui, à juste titre, la lecture de la Constitution est un devoir, la réponse est catégoriquement non. Ils se prévalent des dispositions des articles 27 et 104 de la Constitution qui, selon eux, combinés, aboutissent à un obstacle dirimant. Ayant déjà fait deux mandats, l’un de sept ans et l’autre de cinq ans, le président Wade se heurterait à la limitation du nombre de deux mandats consécutifs que les articles 27 et 104 combinés n’autorisent pas à dépasser.

Le raisonnement tenu ne semble pas intégrer la profonde modification de l’article 27 intervenue en 2008. Mais qu’il l’intègre ou ne l’intègre pas, le raisonnement ne parait pas du tout convaincant.

Nous nous imposons le double exercice de la démonstration pour des raisons juridiques. D’abord parce qu’il s’agit de droit avant tout et ensuite, pour des raisons plus générales, parce que le devenir du Sénégal est en cause.

Au moment où le débat a été publiquement ouvert, l’article 27 de la Constitution avait déjà été amendé par voie parlementaire. L’amendement n’ayant porté que sur la première phrase de l’alinéa premier cet article se lit maintenant comme suit :

« La durée du mandat du Président de la République est sept ans. La présente modification ne s’applique pas au mandat du Président de la République en exercice, au moment de son adoption (loi constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008). Le mandat est renouvelable une seule fois.
Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ».

Il ne faut craindre ni l’audace institutionnelle, ni l’improvisation rédactionnelle, ni la transgression d’un interdit formel de modification parlementaire pour voter cette loi.

1 – Audace institutionnelle parce que sans raison explicite et convaincante, le président Wade nous fait nécessairement passer successivement d’un septennat en 2000, à un quinquennat en 2001 et enfin à un septennat en 2008, renouvelable une fois. Nous ne croyons pas du tout que le président et sa majorité parlementaire se soient souciés de l’équilibre des pouvoirs institutionnels entre le président et le Parlement qui découlent normalement d’un septennat ou d’un quinquennat et qui le modifient dans un sens plus présidentiel ou dans un sens mi-présidentiel, mi-parlementaire par le jeu d’une cohabitation possible en cas de septennat.

Plus prosaïquement, il s’était agi, selon notre interprétation, après le triomphe à l’élection présidentielle de 2007, dans la perspective de quitter en toute tranquillité le pouvoir, de préparer l’élection de 2012 pour son dauphin secrètement choisi. D’où l’allongement de la durée du mandat. Mais les élections locales de 2009, ont rendu le projet non réalisable. Ce qui explique la candidature prématurée pour repenser un autre modèle de dévolution du pouvoir. Mais ni lui, ni ses soutiens, ne sont persuadés de pouvoir gagner cette élection de 2012. D’où l’idée saugrenue et impossible à réaliser, consistant à repousser l’élection jusqu’en 2014.

2- Improvisation rédactionnelle, parce que l’article 27 ressemble à un fourre-tout, sans cohérence. Il eût été plus logique après la phrase : « La durée du mandat du Président de la République est de sept ans ». De rajouter la phrase : « Le mandat est renouvelable une seule fois ». Et enfin, de prévoir un deuxième alinéa pour cette phrase saugrenue : « La présente modification ne s’applique pas au mandat du Président de la République en exercice, au moment de son adoption ».

Saugrenue parce que sa place est dans une loi organique en tant qu’elle précise les modalités d’application dans le temps, de la nouvelle règle imposant le régime du septennat. Ecartant la solution de l’application immédiate de cette dernière qui aurait abouti à transformer le quinquennat en septennat (donc à prolonger le mandat de cinq ans de deux ans), elle opte pour une solution de bon sens et qui était seule admissible.

En 2012, le juge constitutionnel appelé à se prononcer sur la validité des candidatures, aura comme office, en dehors de la vérification des autres conditions, à vérifier si un candidat a déjà cumulé deux mandats consécutifs de sept ans ou non. Il semble évident qu’aucun candidat potentiel ne se trouvera dans une telle situation.

3- Transgression de la « clause » d’interdiction de la modification par voie parlementaire de l’article 27. Extrême incivilité dont l’une des conséquences les plus spectaculaires est de créer un cercle vicieux : comment le législateur a-t-il pu maintenir cette clause intacte et procéder en même temps à l’amendement de l’article 27 ? Les votes mécaniques creuseront un jour, les tombes des parlementaires.

Tout ce raisonnement, on le voit bien, ne laisse place à aucune application de l’article 104 de la Constitution, parce que la règle qu’elle édictait était d’application limitée dans le temps et dans son domaine. Elle avait consisté à préciser les modalités d’application de la nouvelle règle imposant le quinquennat en 2001 pour un président de la République élu au suffrage universel direct pour sept ans en 2000 sous la Constitution de 1963 modifiée.

Il eût d’ailleurs été plus logique de faire figurer la solution dans une loi organique.

Repoussant la solution de l’application immédiate de la règle du mandat de cinq ans qui n’aurait choqué personne, l’article 104 énonce : « Le Président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme ». C’est-à-dire jusqu’au terme des sept années, toute combinaison avec des dispositions qui ne sont plus d’actualité, est donc impossible. Ce qui ruine l’argumentation développée.

Mais aussi paradoxal qu’il soit, il semble bien que dans l’esprit de beaucoup, l’article 27 de la Constitution n’a subi aucune modification. C’est ce qui rend compréhensible, la combinaison de cet article avec l’article 104, qui est soutenu avec force.

Dans pareille hypothèse, la thèse du rejet ne peut être justifiée. Elle consiste à intégrer dans le décompte du nombre de mandats déjà accomplis par le président de la République sortant, le premier mandat de sept ans (de la Constitution de 1963) exercé entre 2000 et 2007, par combinaison des dispositions de l’article 27 originel qui limite le nombre de mandats présidentiels que l’on peut exercer à deux consécutifs et de celles de l’article 104 alinéa 2 selon lesquelles : « Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables » (au président de la République).

La compréhension qu’ils ont de cet alinéa 2 est celle-ci : le président de la République continue à exercer son mandat de sept ans conformément à la Constitution de 1963, modifiée, mais toutes les autres dispositions de la nouvelle Constitution y comprise la deuxième phrase de l’alinéa 1 de l’article 27 selon laquelle : « le mandat est renouvelable une seule fois », lui sont applicables. Et cette phrase viserait le mandat de sept ans en cours de 2001 à 2007. Le raisonnement est plus que sinueux. Le mandat est renouvelable une seule fois ne peut concerner que le mandat du même alinéa dont la durée est de cinq ans. Une fois que l’on a écarté la solution de l’application immédiate de l’article 27 instaurant le quinquennat, solution qui aurait été parfaitement correcte sur le plan juridique -parce qu’il n’aurait rien à voir avec la rétroactivité et admissible politiquement, parce qu’elle aurait traduit une volonté politique de passer sur le champ au quinquennat- on ne peut envisager l’application de la règle de la limitation du nombre de mandats que pour la future échéance électorale de 2007.

C’est en ce sens que la précision « toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables » n’a aucune portée pratique. Qu’on le dise ou qu’on ne le dise pas, il va de soi qu’un président élu se voit d’office appliquer les dispositions de la Constitution, une fois le serment prêté.

La situation aurait été différente s’il avait été affirmé dans un article, une règle non dérogeable comme celle-ci (inspirée de la Constitution française):

Article x : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs.
Cette disposition ne peut être amendée que par une loi référendaire »

Et s’il était dit dans un autre article :
Article Y : « Le Président de la République est élu pour cinq ans, au suffrage universel direct »

Et dans une loi organique :

Loi organique z : « les dispositions de l’article x sont applicables au mandat du Président de la République en fonction, au moment de leur promulgation ».

Il est vrai que les incivilités constitutionnelles ont connu une ampleur telle que les esprits les mieux disposés y perdent leur latin. On veut évoquer ici, les notions convoquées de loi interprétative et d’interprétation authentique dans la controverse.

Si l’on avait pris la peine de s’informer sur la signification de loi interprétative on se serait abstenu de l’évoquer. La Cour de Cassation française dit qu’une « loi ne peut-être considérée comme interprétative qu’autant qu’elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse » (c’est nous qui soulignons).

La définition suffit comme commentaire. Il faut seulement préciser que le législateur est appelé à voter exceptionnellement des lois interprétatives dans des matières où la complexité des notions utilisées peuvent compromettre des situations juridiques consolidées par un droit préexistant comme le droit pénal ou le droit fiscal.

Quant à l’interprétation authentique évoquée par un collègue, il convient de faire remarquer qu’elle a disparu avec l’Ancien Régime pour autant que son utilisation était fréquente. Ce qui était douteux. La séparation des pouvoirs est incompatible avec l’interprétation de la loi par le législateur ou pire par le président de la République. Cette fonction est dévolue au juge constitutionnel.

La morale de cette controverse est que l’immoralité publique ambiante a pollué toutes nos institutions. Elle est, que la multiplication des incivilités constitutionnelles a fini à mettre à terre l’Etat de droit sénégalais en construction. Elle est surtout que, à force d’y perdre trop d’énergie on risque d’oublier l’essentiel qui est de réfléchir plus profondément aux conditions pratiques d’un changement de régime et aux changements que requiert la situation, sans se perdre dans des projets trop ambitieux de nouvelles Constitutions concurrentes et dans des considérations de préséance de personnes.

Pour le reste, il faut considérer la candidature du président de la République sortant, comme une candidature flottante tant qu’elle ne sera pas consolidée au bon moment constitutionnel.

* Ancien Recteur de l’Ucad
Ancien Doyen de la Faculté des Sciences juridiques et politiques
Ancien Ambassadeur à l’Unesco

sudonline.sn

7 Commentaires

  1. Kader Boye doit se taire. Il n’est pas un constitutionnaliste, mais un privatiste. Ensuite les arguments de Modj et Cacrcassonne pour ne parler que ces deux-là, sont nettement plus scientifiques, moins aériens que les siens. Et en fin, dans un débat scientifique, on convoque les arguments exprimant des points de vue contraires aux siens et les bat en brèche. Mais on ne se contente pas d’argumenter parallèlement et dans le vide ! Boye aurait été pertinent s’il argumentait de la sorte : « Le professeur Carcassonne a écrit :  »… » Son argument est erroné parce que…. De même lorsque le Professeur Mbodfj écrit : « …. » il commet une erreur d’interprétation en ce sens que …. » C’est ca un débat scientifique et universitaire ! Mais on ne peut pas en avoir le courage lorsqu’on veut ménager la chèvre et le chou, casser un peu de sucre sur le dos de Wade, manifester un peu de soutien à l’Opposition, mais pour in fine faire passer la pilule…

    Boye a bien fait d’ailleurs d’omettre de citer parmi ses titres, le seul qui fait réellement référence à ses compétences et à l’acquisition duquel il n’a pas eu besoin d’un décret d’Abdoulaye Wade, le titre de : Professeur de Droit PRIVÉ !! Ce débat est un débat d’experts du droit constitutionnel et PAS un débat de privatistes ! Qu’il respecte l’expertise de ses collègues, c’est-à-dire de gens qui du matin au soir, alors que lui s’occupe de droit privé, eux s’occupent et ne s’occupent que de droit constitutionnel. Il ne peut pas être sur ce champ-là, aussi compétent qu’eux ! Kder Boye n’est ni Dalloz ni Professeur à Harvard, mais le banal professeur d’une université du tiers monde. Que chacun reste dans son créneau. Que Jean Paul Dias s’occupe de son fils, Kader Boye de droit privé et réclamer, s’il en a encore besoin, une nouvelle sucette, mais laisser les vrais constitutionnalistes parler de la Constitution. Les moutons n’en seront que mieux garder !

    P.-S. : on a souvent dit que l’article 27 n’est pas bien écrit. Jean Paul Dias, dans un texte pourtant truffé de fautes, est allé même jusqu’à demandé l’introduction d’un enseignement de langue dans le cursus des constitutionnalistes ! Mais où est la faute dans cet article 27 ? J’ai beau le lire, je n’y vois aucune faute de francais ! Le problème est qu’il est écrit pour les spécialistes et pas pour les profanes. La clarté scientifique d’un énoncé peut ne pas coincider avec une clarté grammaticale (ou linguistique, je ne sais pas). L’objectif du scientifique n’est pas d’atteindre la clarté grammaticale dans ses propositions, mais celle scientifique. Son public est un public scientifique, expert et non profane. La clarté scientifique suffit. C’est à l’expert que le constitutionnaliste s’adresse, mais pas à Jean Paul Dias et Kader Boye.

  2. Kader, de la décence quand même! On te connaît très bien. Rien dans ce monde n’égale la dignité. Alors, ne bafoue pas la sienne pour des broutilles, tu sais pertinemment que cette candidature n’est pas valable vu sous l’angle de la Constitution. Eux même le savent raison pour laquelle ils parlent d’introduire une loi interprétative à l’Assemblée, une autre bêtise en droit. Alors, un conseil d’ami: tais-toi

  3. @siga & M Baye,s’il vous plait arretez vos cinemas,a chaque fois qu’une personne donne son opinio qui n’est pas favorable a vos interets,vous attaquez l’integrite de la personne.Professeur Kader Boye n’a fait que donner son avis en tant que juriste dire qu’il est specialiste en droit prive releve du ridicule,c’est comme dire qu’un professeur d’economie de developpement ne peut pas donner son opinion sur un probleme d’economie de l’energie.
    je vous prie d’aller revoir la liste des enseignants de droit de la fac de droit,il ya des enseignants qui ne sont meme pas maitre assistant a la fac de droit qui parlent presque chaque sur les radios surtout Rfm.
    nous sommes des intello,il faut accepter la contribution de tout un chacun meme si c’est vrai qu’au dela de la recevabilite de la candidature de wade,ce dernier ne devrait pas se presenter parce qu’il est agee mais le dernier mot reviendra aux electeurs.

  4. Kader Boye est un chasseur de prime, issu d’une famille de chasseurs de prime. Tout le monde le sait. Les arguments de son collègue ELHadji Modji sont imparables. Quelle est la légitimité scientifique de Kader Boye en matiere de droit constitutionnel devant les professeurs Mbodj et Caracassonne ?

    Ce qu’a écrit Carcassonne en droit public, Kader Boye n’en a pas écrit le 1/3 en droit privé !

  5. avec cette floraison de radio privee on trouve du n’importe quoi au senegal expert en economie, en sante, en energie, en gestion qui n’ont meme pas le bac,; arretons ce cirque et les vrais experts se prononcer

  6. Allou, je ne polémique pas avec vous. Je m’adresse à Kader et il sait ce dont je parle. Vous verrez vous même qu’il va se taire. Ce débat n’est le sien. Merci de nous laisser parler entre nous. Encore une chose Allou, nous ne boxons pas dans la même catégorie.

  7. @ M Mbaye,of course nous ne boxons pas dans la meme categorie,mais je trouve lache de la part d’un soi-disant intello de douter de l’integrite de son adversaire,if you know something about Prof Kader Boye just say it.
    Je suis le debat de loin,mais jusqu’a present personne ne m’a convaincu sur la non- recevabilite de la canditature Wade ,et dire que j’ai meme un ami (de faculte en frnace) actuellement il est prof de droit constitutionnel a dakar mais je l’ai interprete sur ce sujet mais il ne m’a pas convaincu et cet ami intervient toujours dans les medias senegalais,just pour vous dir that i don’t have any agenda,d’ailleurs je ne vote pas au senegal mais le sujet m’interesse .i just wanna know the best outcome .

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