La plage de Soumbédioune sur la Corniche ouest de Dakar accueille chaque soir, à partir du crépuscule, des invités venus spécialement déguster les grillades de poissons. Ce lieu animé déroule le film de ses activités.
Le fumet qui emplit l’air à ce doux côté enjoliveur. Il caresse les narines, excite les palais, torture les estomacs par de délicats gargouillements. Mêlée à la brise marine, le fumet assiège le côté ouest de la plage de Soumbédioune. Il est une invite à la ripaille. Sur la corniche ouest, ce coin sombre, baigné de la lumière blafarde des poteaux électriques n’a a priori l’air de rien : juste un entassement de petits boulots, un capharnaüm déconcertant, un mélange d’odeurs de poissons frais, de prises pas fraîches, de grillades. Seuls les flots qui ballotent les pirogues perturbent ce reposoir. L’air frais et le calme rendent propice des gueuletons improvisés.
Ici, les choses sont bien éloignées du luxe insolent des Almadies. Point de table gratinée, pas de couvert royal. Mais les mets sont toujours de choix. «L’avantage c’est que les plats proposés ici sont à la portée de toutes les bourses. N’importe qui peut se les payer» commente tout haut Aliou Dia, venu se restaurer après une dure journée de labeur dans son atelier de menuiserie métallique. Pour lui, les soirées devant les bonnes tables de Soumbédioune épousent les moments de pure détente. Il confie encore : «ça fait du bien de venir ici, respirer l’air, manger à ces tables.» Les tables rustiques sont faites d’un bois grossier, très souvent mal équarri. Souvent, un morceau de tapis, en lambeaux, recouvre leur surface. Tout autour, des bancs du même tonneau reposent et accueillent les clients. Tout en dessous, une escouade de chats effectue sa ronde, épiant un morceau de poisson qui se laisserait choir par terre. Leur tâche de chaque soir est d’une simplicité : faire preuve de vigilance, et de patience.
Gueuleton à petits prix
Ce soir-là, une bonne dizaine (fin du mois d’août) d’étudiants sont venus s’offrir une petite gâterie. Le rappel de plusieurs mois de leur pécule leur autorise ces dépenses. Plein d’allant, ils squattent les tables, passent leur commande, et devisent gaiement. «Ça nous change un peu de ce qui se fait dans les restaurants universitaires. Là, l’offre est plus excitante.» Les repas sont à la fois simples et complexes. Le principe de base repose sur la grillade de poisson. Les poissons préalablement écaillés attendent souvent sur le grill, un peu en retrait. Après la commande, ils passent sur le feu. Dieynaba vend de la grillade de poissons depuis des années. Son art, elle le connaît sur le bout des doigts. Dans ses gestes, elle conserve cette aisance qui seule la longue pratique confère. Avec une remarquable dextérité, elle aligne les poissons sur le grill alimenté au feu de charbon de bois. De temps à autre, elle attise le feu, en pulvérisant sur les flammes un liquide. Le feu reprend de plus belle son entreprise de cuisson. Souvent, elle retourne les poissons, laissant cuire un côté, avant d’en proposer un autre au feu. A côté, les clients s’impatientent : «Dieynaba avons-nous encore beaucoup à attendre ?» interrogent-ils. Elle répond avec bonhomie : «C’est presque fini les enfants.»
Les poissons s’échangent à un prix dérisoire. Le hareng, plus prisé, jugé plus savoureux, ne coûte que trois cent francs. Pour les carpes et autres, le prix varie en fonction de la taille de la prise. Il oscille entre 1000 et 1500 francs Cfa. Pendant que le Guinarou Guédji (littéralement poulet de mer) s’échange à 1000 francs. Souvent d’autres poissons s’invitent à la braise et le prix en est calculé en fonction de l’offre disponible sur le marché. Une fois vidé, les poissons sont «tracés» pour faciliter leur consommation. Les hauts fourneaux reposent souvent sur des tréteaux et sont ouverts aux vents.
Les apprêts sont variés. Les grillades sont souvent simplement accompagnées de marinade : une sauce faite d’oignons découpés en petits morceaux, de moutarde, d’un soupçon de vinaigre, d’ail. Une tranche de citron qui donne à tout cet ensemble un peu d’acidité. D’autres vendeuses de poissons, plus imaginatives, ou sacrifiant aux désirs de leurs clients, apprêtent les poissons avec de la salade et des carottes râpées. Après cela, les penchants épicuriens se donnent libre cours. La dégustation se fait souvent à grands renforts de commentaires gais et claquements de langue. De temps à autre, un petit enfant talibé vient quémander sa provende de la nuit. Ici, le conformisme est béni. Les dégustations se font de la façon la plus déjantée. Avec les doigts. Agiles, ils retirent les arêtes, découpent des quartiers de poissons. Fébrilement, les mains voyagent des plats aux bouches et des bouches aux plats.
L’or est dans les écailles
A quelques dizaines de mètres de là, plusieurs pirogues s’étalent paresseusement, ventre en l’air. Elles viennent de longues randonnées à travers les eaux de l’océan. Après avoir déposé leur charge de vies humaines et poissons pêchés, elles sont tirées au sec. A Soumbédioune, le commerce de poisson et autres produits halieutiques bat son plein. Les prises sont diverses : elles vont du menu fretin au gigantesque capitaine, ou au barracuda. «Tous ces poissons seront achetés» assure Madické Sarr, revenu d’une longue excursion à travers les eaux. Après avoir débarqué le produit de leur pêche, les pêcheurs vendent souvent leurs prises aux marchands installés à la plage de Soumbédioune. A leur tour, ceux-ci revendent au détail les prises qu’ils ont acquises. Tout le monde y trouve son compte. Une certaine marge est affectée au prix de revente pour garantir le bénéfice des revendeurs de poissons. Pour Madické, «tout dépend de la pêche. Si le poisson se laisse prendre, les prix sont bas. D’autres fois ils peuvent être revus à la hausse.» Les prises sont variées : on y trouve le mulet, les carpes, le hareng, les barracudas, les capitaines, les rougets…
«Même les touts petits poissons sont vendus. Certains les achètent pour les apprêter au pépéssou (sorte de soupe au poisson souvent épicée). C’est formidable.» assure goulûment Madické. Les étals s’alignent avec une grande discipline. Cette petite communauté a bâti ses propres règles et dans l’entrelacs de celles-ci chacun y tire son compte. Du vendeur de sachets jusqu’à l’écailleur de poisson. Un autre business se développe ici. Les préposés au nettoyage des poissons épient tous les acheteurs avant de proposer leurs services. Etablis en contrebas, les écailleurs de poissons opèrent avec une habileté sidérante. Avec un maillet en bois nanti de pointes, ils expédient leur boulot en un laps de temps avant de vider les entrailles des poissons. Mère de famille en manque de temps ainsi que les femmes de ménage de même que les célibataires endurcis sollicitent souvent leurs services. A côté d’eux, les vendeurs de sachets plastiques attendent de pouvoir assurer leur contribution. Mêlés à eux, d’autres adeptes de petits boulots proposent des caisses en carton pour transporter les gros poissons.
Soumbédioune est ainsi, roulé dans son ébullition, pétri dans son dynamisme. Chaque soir, ce coin de Dakar cueille sa part de business, rempli son contrat, comble ses visiteurs dans un rituel inlassablement renouvelé.
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Grillades de poissons sur la plage de Soumbédioune : Y en a bon sur la corniche !
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Enfin un article qui nous sort de l’ordinaire que nous distille chaque jour la plupart de nos journalistes ; ordinaire « politico-people » et en plus tres mal ecrit. Une fois n’est pas coutume donc bravo au Quotidien pour cette brise de mer dans notre microclimat trop nauseabonde ces temps-ci.