ngénieur hydraulicien de formation âgé de 58 ans, Harouna Dia est le vice président de fait du Sénégal. Révélations sur un homme à la fois simple et complexe.
Lorsque nous avions échangé avec lui, hier matin, c’était à partir de son téléphone portable burkinabé. Harouna Dia nous a paru un homme avenant et affable qui parle avec l’accent le plus accusé de sa région (Fouta). En vérité, cinq actes ont amené Le Pays au Quotidien à suivre, à la trace, cet homme d’affaires établi à Ouagadougou. Une ville qu’il a ralliée, il y a peu, pour un bref séjour. D’ailleurs, il doit être de retour à Dakar cette semaine. Principal parrain financier de Macky Sall, depuis 2007, date de leur rencontre, lorsque Me Abdoulaye Wade a chargé son Premier ministre d’alors et Directeur de campagne d’entrer en contact avec lui.
Acte I. La révélation. La scène se déroule à l’hôtel Radisson Blu sur la Corniche ouest de Dakar. Nouveau quartier général de l’Alliance pour la République (Apr) après l’élection de Macky Sall à la magistrature suprême. Nous sommes à la veille de la passation de pouvoir. Ce soir-là vers 22 heures, un freluquet, le crâne poli, un peu raide et longiligne et habillé d’un rien quitte le hall du luxueux palace en sandales et monte dans le couloir qui mène à la suite présidentielle. Le nouvel homme fort du Sénégal, Macky Sall est pris dans d’interminables audiences avec quelques bailleurs de fonds et des alliés politiques. Mais quand Harouna Dia est annoncé, le chef de l’Etat évacue ses hôtes et ordonne que son « Burkinabé » soit introduit immédiatement. L’homme d’affaires s’entretient avec le Président de la République quelques dizaines de minutes, avant de prendre congé de lui. Il sort, salue la garde rapprochée et se dirige dans sa suite au deuxième étage. «C’est lorsqu’il est parti que le Président nous a dit que c’était Harouna Dia», raconte un haut responsable de l’Apr qui a assisté à la scène. «Depuis lors, on a compris la place qu’il occuperait définitivement dans le cœur du Président. Macky a une haute estime de lui et lui fait aussi totale confiance. Pour ne pas exagérer, disons simplement que c’est son homme qu’il a besoin de le voir et d’entendre régulièrement». Une source aussi lyrique que spontanée nous confie à deux voix : « Harouna lui est aussi indispensable que l’oxygène ».
Acte II. La confirmation. Elle est tombée le jour de la cérémonie de passation de pouvoir entre Me Abdoulaye Wade et Macky Sall. Le Président Sall qui se dirige vers la salle abritant la cérémonie, se tourne pour taquiner celui qu’il considère comme «son grand frère». Macky passe en revue toute la délégation, mais ne croise pas le regard de son «soutien». Il s’arrête et apostrophe son entourage : «Mais où est donc Harouna ?» Quelqu’un balbutie et avance : « s’il tarde encore c’est peut-être parce qu’il est retenu à la porte ». Devenu subitement grave et menaçant, il ordonne à sa sécurité présidentielle de le faire entrer fissa fissa. Quelques minutes après, Harouna Dia s’avance inhabituellement encostumé. Malgré cet effort vestimentaire surnaturel, il est trahi par une sobriété écœurante. Mais avant l’arrivée du milliardaire d’une simplicité bouleversante, on semblait vivre une éternité dans laquelle Macky Sall venait de perdre une partie de lui-même : Harouna Dia.
Acte III. L’influence. Elle a été constatée et définitivement acceptée, afin que nul n’en ignore, dans le dossier Moustapha Cissé Lô contre Moustahpa Niasse, relativement à la bataille du perchoir de l’Assemblée nationale. Le Président de la République et chef du parit avait catégoriquement refusé de recevoir le fantasque responsable politique de Mbacké. Il avait décidé de le laisser faire sa conférence de presse et après il laisserai le parti décider de son sort. Malgré l’intervention du ministre de l’Intérieur Mbaye Ndiaye, Macky Sall avait opposé un niet catégorique. « Je ne le recevrai pas », concluait-il invariablement devant des médiateurs empressés et autres facilitateurs intéressés. C’est finalement Harouna Dia qui introduit Cissé Lô dans le bureau présidentiel. Harouna Dia a juste informé le chef de l’Etat quelques heures avant, prenant le soin de dire à Cissé Lô de constituer sa délégation et de le retrouver au Palais vers 22 heures. L’audience s’est terminée tard dans la nuit. Vers 2 h du matin.
Acte IV. Les dossiers. Le bureau de l’Assemblée nationale a été conçu entre lui et Macky Sall, en bilatéral. C’est ensuite que Harouna Dia a passé un coup de fil au ministre de l’Intérieur, Mbaye Ndiaye afin qu’il récupère la liste définitive du bureau du pouvoir législatif, par excellence. C’est muni de cette liste que Mbaye Ndiaye s’est rendu à la place Soweto pour porter à leur connaissance le choix de Macky Sall. Un bureau dans lequel, son jeune frère Daouda Dia occupe le très stratégique poste de premier questeur. Un autre acte mais dans son métier de prédilection : l’agriculture. Le 10 août dernier, nos confrères de l’Observateur nous apprennent que le plus grand projet agro-industriel du Sénégal (Sen Ethanol et Sen Huile) a quitté définitivement Fanaye pour Gnith (Nord du pays). Auparavant, Harouna a reçu 37 chefs de village de la zone pour harmoniser les points de vue et aplanir les incompréhensions. Après sa médiation réussie, il a rendu compte à Macky Sall, tout heureux de signer, avec les deux mains, le décret portant investissement de 137 milliards Fcfa, de 6000 emplois et de 5 milliards de masse salariale. Ainsi le Sénégal pourra produire de l’huile de soja, du biocarburant et de l’électricité à partir de l’éthanol et des aliments de bétail. Un projet que l’ancien président Wade n’a pu mener à son terme du fait de la terrible révolte des villageois. « Un projet mal expliqué est un projet mort ». Harouna Dia a pu emporter leur adhésion.
Acte V. Les audiences. Inutile de préciser qu’aux dires des principaux collaborateurs du chef de l’Etat, Harouna Dia est de facto « le vice-président du Sénégal » sans le titre officiel. Lorsqu’il a été pressenti pour occuper la présidence du Sénat, il a prudemment glissé le nom de Mbaye Ndiaye, qui ne boude pas son plaisir. « Je suis un homme d’affaires, mais pas un homme politique et je vais bientôt retourner au Burkina Faso ». C’est pour quand ? Harouna Dia a promis de nous rappeler. En vain ! Mais ce n’est pas demain la veille. Puisque depuis avril dernier, Harouna Dia loge à l’Hôtel Radisson Blu. Chaque nuit, il y reçoit ministres, conseillers spéciaux, directeurs généraux, leaders d’opinion et responsables politiques. Chaque jour, il quitte sa suite présidentielle pour aller à son lieu de travail, le Palais présidentiel. Le natif de Wendou Bosseabé assiste naturellement aux audiences les plus importantes et les plus stratégiques du chef de l’Etat. Aussitôt après avoir quitté le chef de l’Etat pour regagner son hôtel, son téléphone carillonne : « Allo Macky… », répond-il simplement. Lui c’est Harouna Dia : « Son Excellence Monsieur le Vice-Président du Sénégal ! » Mais l’histoire ne dit pas si Macky Sall passe par l’opérateur de téléphonie burkinabé pour joindre le numéro 2 de l’Etat du Sénégal.
LEPAYS