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Pr Ibrahima Thioub (Historien): « Wade n’a aucune chance de l’emporter »

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Alors que l’opposition sénégalaise appelle à un nouveau rassemblement ce vendredi, retour sur la la dérive autocratique du président Aboulaye Wade, les forces en présence face à lui… Les explications de l’historien sénégalais Ibrahima Thioub.
La décision du Conseil constitutionnel d’autoriser une nouvelle candidature du président sortant Abdoulaye Wade, 86 ans, en poste depuis 2000, tout en rejetant celle du chanteur Youssou Ndour a provoqué la colère des opposants. Ceux-ci contestent la légalité d’une décision prise par un Conseil dont tous les membres ont été nommés le chef de l’Etat. A un mois de la présidentielle de 23 février, Ibrahima Thioub, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, analyse pour L’Express les ressorts de la crise politique sénégalaise.

A son arrivée au pouvoir, Abdoulaye Wade, était l’homme du changement. Pouvez-vous retracer sa dérive autocratique…

Il a en effet passé 26 ans dans l’opposition, combattu la toute puissance du parti socialiste de Léopold Sédar Senghor, -parti unique de fait jusqu’en 1974. Paradoxalement, alors que le président Abdou Diouf, au pouvoir à partir de 1981, mettait en place un programme d’ajustement structurel néolibéral, Le Parti Démocratique Sénégalais fondé par Abdoulaye Wade a mis en avant la question sociale, prônant alors ce qu’il appelait le « libéralisme social », ce qui a ébranlé progressivement l’hégémonie socialiste.

Mais avant même l’alternance, il tenait déjà son parti d’une main de fer. L’actuel ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, alors en rupture, avait d’ailleurs dit de lui qu’il « parle comme un démocrate mais agit en dictateur ». Plus récemment, il a éliminé les ténors de son parti pour faire place nette à son fils Karim dans la course à sa succession; en vain d’ailleurs puisque celui-ci a été incapable de décoller politiquement, en dépit de toutes les faveurs qui lui ont été faites. Il a même subi un échec mémorable lors des élections à la mairie de Dakar en 2009.
C’est pourquoi, faute de réaliser la succession dynastique à laquelle il rêvait, à plus de 86 ans, il est obligé de se représenter, faute de candidat crédible dans son camp, pour garder le pouvoir. Il a utilisé pour cela un Conseil constitutionnel aux ordres, dont il a nommé tous les membres, et dont ii a grassement augmenté les salaires et accordé d’autres avantages matériels, juste avant qu’ils ne s’expriment sur les candidatures présidentielles…
Pris dans son propre piège, et face à la détermination de l’opposition et des jeunes en particulier, Wade engage un forcing qui s’appuie sur un usage autoritaire et violent des forces publiques.

Le Sénégal est pourtant toujours donné en exemple de démocratie sur le continent africain?

Le Sénégal a connu une longue expérience de multipartisme électoral depuis le XIXe siècle et une certaine liberté de la presse y compris sous le régime colonial. C’est à l’accession à l’indépendance que la vie politique sénégalaise a été pendant un temps verrouillée par le parti socialiste. Il a fallu attendre le début des années 70 pour que le régime s’ouvre progressivement et autorise la création de trois partis politiques -en plus du parti socialiste- dont le PDS, libéral, d’Abdoulaye Wade. Et il a fallu encore plusieurs années pour que le multipartisme intégral s’installe réèllement avec une presse libre.

Mais la décision, prise en 1981, de mettre fin à la limitation du nombre de partis politiques autorisés a abouti à la création d’une multitude de petits partis qui a en fait atomisé l’espace politique. On parlait alors de « partis télécentres » (leurs membres pouvaient tenir dans une cabine téléphonique). On en subit encore aujourd’hui les conséquences.

Pouvez-vous définir les clivages politiques du pays?

La distribution partisane n’est pas idéologique. Le système politique est construit autour d’alliances, du pouvoir d’un côté, de l’opposition de l’autre. Les coalitions peuvent inclure des partis d’obédience socialiste, libérale, communiste… Ces critères sont secondaires.
Le principal enjeu pour la plupart d’entre eux est l’accès aux ressources publiques; il s’agit surtout de se partager les prébendes du pouvoir, de se partager le butin. Abdoulaye Wade, qui n’est certes pas à l’origine de cette donne politique, ne lui a pas tourné le dos, loin s’en faut. Tous ceux qui lui ont apporté leur soutien se sont très rapidement enrichis. Ce système est vigoureusement combattu par certains partis politiques et associations de la société civile.
Mais la démocratie sénégalaise a aussi des atouts…
Oui, la contestation n’a en tout cas jamais cessé, et de concession en concession, on est parvenu à l’alternance en 2000. De même, la liberté de la presse est solidement ancrée. Il faut d’ailleurs saluer le courage de certains journalistes et la détermination des médias privés à dénoncer les dérives du pouvoir. La société civile surtout, est très mobilisée, marquée par l’irruption aussi déterminante de l’organisation de jeunesse « Y en a marre » qui fait preuve d’une forte capacité d’initiatives et de mobilisation. Ainsi, pendant deux ans, sous la houlette de l’ancien secrétaire général de l’Unesco, des assises nationales ont été organisées pour réfléchir aux réformes à mettre en oeuvre afin de résoudre les problèmes du pays. Elles ont abouti à un document qui recouvre des champs aussi vastes que la lutte contre la corruption, l’éducation, la santé, les réformes institutionnelles majeures , etc.

Quelle est l’importance de la question sociale dans la contestation ?

Elle est omniprésente. Le taux de chômage est extrêmement élevé. Le pays est régulièrement frappé par des inondations rendues catastrophiques par le déficit de volonté politique à les résoudre et le mauvais état des infrastructures dans les banlieues dakaroises. Depuis plus d’un an, les coupures d’électricité se sont multipliées, là aussi en raison d’une très mauvaise gestion: le réseau de distribution d’électricité est en mauvais état, et les investissements réalisés ont certainement été mal gérés tant ils ont été massifs, mais inefficaces. Finalement, en prévision de la campagne électorale, le gouvernement a mis en oeuvre un plan dénommé « Takkal » pour faire redémarrer la production d’électricité, mais pour cela, il a délesté les finances d’autres secteurs, ce qui a déclenché une fronde sociale en particulier parmi les enseignants, les transporteurs, le secteur des hydrocarbures, et les métiers de la santé aujourd’hui en grève.

Enfin la forte urbanisation, la jeunesse de la population, et le taux de scolarisation relativement élevé, expliquent que les jeunes soit très actifs dans la contestation. Le succès auprès des jeunes, sans emploi et sans avenir, du mouvement Y’en a marre dévoile un certain divorce entre le mouvement associatif non partisan et les partis traditionnels.

Pourquoi pensez-vous que la candidature de Youssou Ndour a été écartée?

Il y a peu de paramètres objectifs disponibles pour évaluer l’assise réelle de Youssou Ndour, les sondages étant interdits au Sénégal. Mais il est probable que le régime a eu peur. Le chanteur est très populaire et il a une forte capacité de mobilisation. En outre, Youssou Ndour, est un self made man qui a bâti sa fortune en dehors de l’Etat: un contre-exemple face à la pratique de vol des deniers publiques dont les proches du pouvoir sont coutumiers. Et il a réinvesti ses ressources au Sénégal, en mettant sur pied la radio la plus écoutée à Dakar (RFM) et le journal le plus lu du Sénégal (L’Observateur). Cela a certainement lourdement pesé dans la décision de l’écarter sous le prétexte aussi ridicule que fallacieux qu’il n’a pas réuni les signatures nécessaires au soutien à sa candidature.

A-t-on une idée du poids électoral du camp présidentiel ?

Bien que la publication de sondages soit interdite au Sénégal, le pouvoir en a probablement fait faire discrètement, et la proposition de loi de 2011 qui prévoyait l’élection d’un candidat à la présidentielle dès le première tour avec 25 % des voix est sans doute le meilleur sondage jamais réalisé dans le pays, un bon indicateur du poids réel que pense représenter le PDS, le parti au pouvoir.

La multiplicité des candidats d’opposition ne risque-t-elle pas de favoriser une victoire de Wade à la présidentielle?
Non, je pense qu’au contraire l’idée, qui a existé, de présenter un candidat unique, aurait été contre-productive. Une partie de l’électorat ne se serait pas mobilisée. Alors que désormais, les 13 candidats en lice vont mobiliser chacun de leurs partisans et amener tout candidat du PSD à un deuxième tour. Et, le cas échéant, je crois qu’il n’a aucune chance de l’emporter. Je ne crois pas non plus que le pouvoir pourra tricher par les urnes. La société est trop mobilisée, et la presse trop vigilante pour cela.

lexpress.fr

3 Commentaires

  1. quand on met en avant ses titres académiques on se doit d’être autrement plus sérieux vis a vis des lecteurs, plus pertinent dans les propos et plus objectif….
    sinon restez politicien et vendez votre ame au diable !

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