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Impasse interactionnelle : Astou Dione et Cheikh Abdou Bara Doly Mbacké (Par Dr Dalla Malé Fofana)

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Parler de la situation très particulière évoquée par le Premier ministre, ce 26 septembre, est certes plus porteur en matière de visibilité. Cependant, pour que les choses avancent dans la bonne direction et de manière constante, s’exprimer sur son domaine de maitrise est la clé. C’est la raison pour laquelle, expert en analyse du discours journalistique et politique, je parle de l’incident qui m’a interpellé entre la journaliste Astou Dione et son invité Cheikh Abdou Bara Doly Mbacké, lors de l’émission Débat de fond du 25 septembre sur la 2stv.

Ce qui m’intéresse dans cette affaire n’est pas tant l’altercation en elle-même, qui, selon la journaliste, est l’aboutissement d’une escalade. Je m’intéresse plutôt à la dynamique de l’échange qui a mené à ce paroxysme. L’invité, aussi, aurait pu dire qu’il n’était pas dans une posture offensive, et qu’il aurait réagi à une attaque subie.

Une situation d’impasse

On aurait pu ignorer cette affaire-ci pour deux motifs : (1) la journaliste n’est pas coutumière de ce type de comportement, et (2) elle aurait présenté des excuses. Cependant, cela n’empêche pas l’analyse. Le premier motif permet de tirer des leçons, tandis que le second nous amène à interroger le sens et l’objet de ses « excuses ».

Dans ses “excuses”, la journaliste a justifié la légitimité de son geste, affirmant avoir subi dans le passé et lors de l’entretien présent, un comportement inadéquat de la part de son invité. Je ne peux juger de ce qui a pu se passer avant cette entrevue. En revanche, il me semble déplacé de supposer que les téléspectateurs aient suivi et vécu avec soi l’ensemble des échanges précédents entre soi et son interlocuteur. Ma conception du professionnalisme implique de se concentrer sur le moment présent. Comme le disent souvent les grandes figures du sport, ils veulent que chaque spectateur qui paie pour les voir ait une expérience complète de l’athlète qu’ils sont, le jour où il décide de venir les voir jouer. Pour la journaliste, reconnaitre avoir failli et s’être laissé emporter aurait été plus compréhensible.

Action et réaction

Il est en effet problématique que, comme elle l’estime, le professionnalisme a voulu qu’elle supporte les attaques du même individu dans le passé, et que cette même ligne directrice lui a dicté (« ma posture professionnelle m’a cette fois obligée ») dans ce cas-ci de réagir de façon différente (« s’est imposé à moi »). Elle appelle implicitement à ne pas être définie par rapport à l’incident, du fait de son ethos de professionnelle ( …. la première fois….. en sept ans d’émissions,…..). Ces termes révèlent qu’elle s’excuse de l’incident qui s’est déroulée devant les téléspectateurs, mais ne s’excuse pas pour l’acte en tant que tel, puisqu’elle n’avait pas d’autres choix.

Par définition, une ré-action est une réponse à une action préalable. La journaliste se positionne comme réagissant à une situation. D’un autre côté, l’invité aurait également pu prétendre agir par réaction. Certes, sa réaction était disproportionnée, mais la posture de la journaliste n’était pas exempte de reproches.

La posture de la journaliste

De la même manière qu’un traducteur doit s’effacer derrière le texte qu’il traduit, il est souhaitable qu’un journaliste ne laisse pas transparaître sa subjectivité. il est possible de distinguer deux types de subjectivité : la subjectivité du premier degré, qui est inhérente à l’énonciation et à l’auteur, et la subjectivité du second degré, qui exprime (1) notre position sur la question abordée, et (2) notre ressenti ou l’estime que nous portons aux personnes dont nous parlons ou avec qui nous interagissons. Le sentiment que la journaliste éprouvait envers son invité était perceptible dans son intonation et dans la manière dont elle formulait ses interventions. Je me garderai de dire quel est, selon moi, ce sentiment.

L’impasse de la journaliste

Il est possible d’accorder le bénéfice du doute à la journaliste, et supposer qu’elle n’était pas consciente de son propre biais. Ceci expliquerait le fait qu’elle ait pu être choquée par la réaction de son invité. Nous pourrions lui concéder cela d’autant plus qu’elle ne semble pas avoir un style offensif et provocateurs comme certains de ses congénères qui assument (je l’espére) leur posture, et vivent avec les conséquences. En étant consciente de cela, elle aurait pu continuer de jouer le jeu, puisqu’elle s’est écartée de la ligne de conduite idéale. Elle aurait alors pu « confier » en aparté à l’invité (qui l’accuse de manquer de courage et d’équilibre) ce qu’elle pense honnêtement des insultes des députés de BBY et du député de YAW qui avait subtilisé l’urne, ou de celui-ci qui avait endommagé le micro. Elle aurait pu facilement s’en sortir en évoquant le non-respect des lois (cf. règlement intérieur) selon lesquels l’Assemblée fonctionnait. Ceci a pu ouvrir la voie à des excès de tout bord. Par éthique, surement, elle n’a pas voulu aller sur ce terrain. Mais avait-elle le choix puisque de manière plus subtile, elle a été victime de son propre biais?

L’impasse de l’invité

Elle était donc dans une impasse, son invité aussi. Celui-ci avait une bonne raison de se comporter ainsi. La première raison est le fait qu’il sente que la journaliste n’allait pas lui faire de cadeau. Il aurait alors préféré se frayer une sortie « honorable » en provoquant la journaliste pour ne pas y laisser des plumes (ou plus de plumes). La seconde raison est qu’il ait senti à travers la posture de la journaliste le sentiment et le degré d’estime que celle-ci, malgré elle ou pas, laissait entrevoir. Et il aurait voulu réagir et porter un coup à son tour. Il l’a fait avec évidemment beaucoup moins de tact.

Entre ironie et menaces

Le livre rouge ….

Le ton et l’insistance avec lesquels la journaliste demande à l’invité s’il était possible de le considérer comme appartenant désormais au groupe des écrivains, sont empreints d’ironie. Le fait qu’elle insiste qu’elle reviendrait sur la question malgré l’esquive de son invité peut être lu comme une menace à peine voilée. À mon humble avis, le fait que l’invité a annoncé à l’Assemblée nationale devant la nation la publication d’un livre (rouge) qui semble ne pas exister est un casse-tête assez ardu pour que la journaliste fasse de la surenchère à ce propos. Elle aurait pu lui demander simplement comment l’écriture du livre s’était passé, où il en était dans le processus de publication. Elle aurair pu aller jusqu’à lui demander s’il s’était attaché les services d’un rédacteur qui aurait recueilli et rédigé ses réflexions…

… du guide religieux

Elle a aussi à peine dissimulé son sentiment par rapport aux critères selon lesquels le titre de guide religieux s’octroie. Elle aurait pu demander à son invité pourquoi ou comment il (se) définit (comme) un guide religieux. Quel sont les critères qui font d’un individu une personnalité une figure religieuse? Est-ce fait le fait d’avoir étudié les livres sacrés de la religion en question? Est-ce le fait d’avoir suivi une formation aux méthodes de réflexion théologique? Est-ce le fait de former soi-même des jeunes sur la voix religieuse? Elle aurait pu demander quelle est la place et le degré d’importance, dans cette identité, du lien de parenté ou de sang avec le guide religieux de référence? Elle aurait pu demander à son invité de préciser pour le public la nature des liens entre lui-même et la famille religieuse dont il se réclame.

Le journalisme et ses contraintes. Et je ne minimise pas le fait que les journalistes ont des défis lourds à relever. Par soucis d’équité, ils sont bien obligés d’inviter tous les acteurs représentatifs de l’échiquier politique. Le spectre politique sénégalais étant si large et assez polarisé, ils se retrouvent souvent avec les personnalités qui sont aux antipodes de leurs propres croyances.

Et ils doivent composer avec cette réalité.

Je leur tire mon chapeau.

Dr Dalla Malé Fofana, PhD

Linguistique, didactique et communication, U. de Sherbrooke/Bishop’s University

1 COMMENTAIRE

  1. belle analyse d’une situation qui ne grandit personne.
    bravo
    j’ai beaucoup appris avec un angle d analyse permettant t d’avoir une lecture différente
    le conflit dans sa dimension pouvait être gérée par les parties si elles prenaient ma peine de regarder leurs différences et de se concentrer sur l’essentiel

    y a t il eu u. gagnant dans cette altercation

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