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Incroyable Nigeria ! par Alioune Ndiaye

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Qu’il me soit permis de puiser dans le vocabulaire du poète, pour exprimer, dans un élan de générosité emphatique, dans un optimisme béat, diront certains, mais pour ma part assumé, toute la fierté que les Nigérians nous ont fait ressentir au cours de ces derniers jours.

Qu’il me soit permis de souligner, avec toute l’emphase qu’il faut, cette sublime page de l’Histoire que l’Afrique vient d’écrire, encore une fois. La même emphase avec laquelle ces charognards haineux guettent le moindre événement pouvant servir à leur dessein  afro-pessimiste pour lui donner un écho disproportionné. Si nos échecs font autant l’objet d’amplification, alors nous avons tout le droit de sublimer nos succès.

Oui ! Le Nigeria a été grand, sublime, phénoménal. Bref, le Nigeria a été africain.

Des élections historiques

Les élections nigérianes ont été historiques, d’abord, de par le résultat qu’elles ont donné, avec la victoire pour la première fois d’un candidat de l’opposition sur le président en exercice. Un tel évènement est particulièrement important dans le renforcement de la démocratisation dans le pays et dans la confiance accordée au processus électoral.

Pourtant, rien n’était gagné d’avance. Après avoir traversé une crise sanitaire avec l’épidémie Ebola que le pays a géré tant bien que mal, après avoir traversé des années d’instabilité notamment dans le Nord avec les attaques de Boko Haram qui ont fait près de 30.000 morts, et avoir vécu une exacerbation du discours politique qui titillait la fibre ethnique, le Nigeria a pu surprendre, en offrant à travers son peuple, ses autorités électorales et même, fait surprenant, son élite politique, une véritable leçon électorale au monde.

Mobiliser un peu moins de 70 millions d’électeurs dans près de 150 000 centres de vote, avec un nouveau système de cartes d’électeurs biométriques pour réduire la fraude relevaient presque de la gageure. Le Nigeria a relevé le défi.

Les Nigérians ont été patients, et ni les lenteurs dans le processus d’accréditation avec les problèmes des lecteurs de carte dont le président Jonathan a lui-même été victime, ni la pluie, ni les menaces sur la sécurité ne sont venus à bout de leur détermination. Après un tour dans quelques bureaux de vote, l’ambassadeur des Etats Unis saluait, avec justesse, la patience des électeurs nigérians, allant même jusqu’à dire qu’il recommanderait le système des cartes biométriques (PVC) à son pays.

Dans le Nord, malgré la peur  qui planait sur le scrutin avec la menace de Boko Haram, qui n’a été réellement opérante que dans l’Etat de Bauchi, les populations sont sorties voter en masse, avec une forte présence des femmes, notamment dans les centres de vote installés dans des camps pour déplacés internes.

Il y a eu, bien sûr, les incidents de Rivers State, fief de la future ex-première dame et quelques violences regrettables par ci et par là, mais ils n’ont pas pu assombrir le magnifique tableau que la population nigériane était décidée à offrir à la plus grande démocratie de l’Afrique et, au-delà, au continent africain. Et pour donner à ce tableau un effet encore plus reluisant, le Président Jonathan fit montre de grandeur, en appelant son adversaire bien avant la publication des résultats officiels pour le féliciter, transformant ainsi sa défaite en victoire. Une telle attitude a son importance si l’on sait que certains membres du PDP, dont le bouillant Fani Kayode, commençait depuis la veille à réclamer la victoire.

Attahiru Jega : un patriarche africain

Mais dans cette organisation réussie, il y a un acteur central qui a émerveillé de par son calme, sa sagesse et sa tempérance qui lui donnaient l’air d’un véritable patriarche africain : il s’agit du  président de la Commission électorale nationale indépendante (INEC), le Professeur Attahiru Jega.  Je le revois encore, au moment de la proclamation des résultats officiels, concentré sur ses feuilles à la manière d’un enseignant qui corrige des copies, épluchant un à un les rapports qui lui ont été remis par ses représentants dans les 36 Etats et dans la capitale nationale, avec le même calme dont il a fait montre depuis des jours, alors que tous les yeux des 173 millions de Nigérians étaient tournés vers lui. Voilà un homme qui, malgré les coupes budgétaires dont son institution a fait l’objet, malgré les pressions politiques de tous bords, a pu manœuvrer la barque électorale nigériane, avec succès, dans des eaux pas toujours clémentes.

Mais on ne peut manquer aussi de relever, pour s’en réjouir, cette façon de proclamer les résultats des élections au Nigeria qui rappelle, à bien des égards les réunions sous l’arbre à palabres dans l’Afrique traditionnelle. Le bureau de l’INEC se met à la table officielle, les représentants dans les différents Etats passent au micro, un à un, et donnent en détails les résultats locaux. Cette audience est diffusée en direct sur les chaines de télé, et parce qu’elle prend l’électorat et le monde à témoin, en les mettant tous au même niveau d’information, elle rend, par là même, la contestation des résultats plus difficile. Le Nigeria mérite du respect pour cette procédure unique et bien africaine.

Pour que les fruits tiennent leur promesse

Il y a dans ces élections, a n’en pas douter, les prémisses d’un nouveau départ pour le Nigeria. En suivant les débats et la couverture des élections, notamment à travers l’excellent organe de presse Sahara Reporters dont les informations ont été reprises par CNN, on entendait souvent, de la part aussi bien des analystes que des intervenants par téléphone, l’expression « New Nigeria ». Certains ont même parlé de révolution.

Cette révolution, ou plutôt cette évolution semble être confirmée par la cartographie des résultats électoraux qui montrent un recul net du clivage systématique Nord-Sud, à travers les victoires de Buhari dans le Sud-ouest à Ogun, Osun, Oyo, etc. Cette heureuse tendance, si elle se confirme, porterait en elle les germes d’un Nigeria nouveau, encore plus unifié.

Les élections de 2015, espérons le, marqueront l’aube d’une nouvelle ère d’un Nigeria tourné résolument, ainsi que le souhaitait Sanussi Lamido dans une communication TEDx en 2013, vers la transformation de son énorme potentiel dont on parle depuis des années, en une veritable force économique, diplomatique et politique. L’Afrique de l’Ouest, et même tout le continent, ont tout à y gagner.

Sur le plan géostratégique, l’Afrique de l’Ouest a besoin d’un Nigeria fort, capable de barrer la route aux dynamiques exogènes déstabilisatrices, générées par une volonté de certaines puissances de garder une influence dans la région, ou d’y sécuriser des ressources naturelles.

Sur le plan économique, une meilleure gouvernance fondée sur la lutte contre la corruption, la diversification de l’économie et la lutte contre les inégalités, lorsqu’associée au renforcement du processus d’intégration pour une meilleure interconnexion de nos économies et une densification de nos échanges, permettraient à une marée montante nigériane de soulever tous les bateaux de l’Afrique de l’Ouest.

Les chantiers de Buhari

Il convient d’abord, eu égard aux récurrentes références qui y sont faites, de relativiser le passé dictatorial de Buhari, en ce sens que dans le Nigeria des années 80, il n’y avait pas d’autre façon de pratiquer le pouvoir. Cependant, son attitude ferme contre la corruption, le fait qu’il ait fait appel à des compétences avérées à l’époque pour gérer l’économie avaient été révolutionnaires. Il est vrai que la privation des libertés était très présente dans sa pratique du pouvoir, mais le Nigeria a évolué. L’un des cas les plus connus était celui du chanteur Fela, dont le petit fils disait il y a quelques mois qu’il était prêt à pardonner à Buhari, s’il relève le Nigeria.

Les enjeux pour Buhari sont d’abord d’ordre sécuritaire. Il faut rétablir la stabilité dans le nord du pays, et pour cela il s’est donné dans sa campagne le délai d’un mois; objectif ambitieux, mais pas inatteignable si l’on se fie aux réalisations de l’ancien président Yaradua dans ce sens, même si, il est vrai, le groupe Boko Haram a grandi depuis.

L’autre grand chantier de Buhari, dont on peut affirmer qu’il a largement contribué à son élection, c’est la corruption. A ce titre, la formule qu’il a lancée mérite de figurer dans les annales de l’histoire, de la même manière que celle de Kennedy. « Si le Nigeria ne tue pas la corruption, la corruption tuera le Nigeria » a-t-il dit. Il devra veiller à ce que cette formule éloquemment déclamée soit efficacement appliquée, pour éviter qu’un certain nombre d’intérêts privés ne captent l’essentiel des richesses nationales. En 6 ans de 2007 à 2013, le nombre de millionnaires a augmenté de 44% , alors que dans certaines parties du nord du pays, 80% de la population vivent avec moins de 1.25$ par jour. Le scandale du kérosène subventionné, qui portait sur une dizaine de milliards de dollars, que Sanusi Lamido a soulevé pour demander des comptes au gouvernement, lui a valu d’être suspendu de son poste de gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, trois mois avant la fin de son mandat.

Sur le plan économique, Buhari hérite d’une situation pas facile avec un pays dont les capacités sont diminuées par une chute du cours du pétrole, qui a eu comme conséquence une révision à la baisse des perspectives de croissance en 2015 de 6.4 à 5.2%. Il faut noter que l’une des mesures les plus salutaires prises sous Jonathan, notamment à travers sa brillante ministre des Finances, Mme. Ngozi Okonjo-Iweala, était de mettre sur pied un fonds d’investissement souverain à travers les excédents provenant du pétrole. A cause de la baisse des cours du pétrole, les réserves de change sont à un niveau historiquement bas d’environ 30 milliards de dollars US.

Buhari devra aussi lancer la diversification de l’économie nigériane trop basée sur les hydrocarbures, qui représentent environ 80% des revenus de l’Etat, surtout avec les perspectives d’exploitation du pétrole de schiste de la part du plus gros client du pays : les États-Unis.

Il devra aussi s’attaquer efficacement au chômage des jeunes. En effet, 70% de la population nigériane à moins de 40 ans, et 66% des 400 000 jeunes qui accèdent au marché de l’emploi par année ne trouvent pas de travail. Dans son programme économique, il promettait 20.000 emplois par Etat par année, soit un total de 720.000.

Enfin, un autre défi est celui de la réconciliation entre tous les groupes qui composent le Nigeria. Il est vrai que, sur ce plan, comme on le soulevait plus haut, les résultats des élections sont encourageants et montrent que le clivage systématique Nord-Sud n’est pas opérant, puisque Buhari a fait de bons résultats dans le Sud-ouest. Mais c’est plutôt dans le Sud-sud et le Sud-est, principalement chez les Igbos, que le clivage s’est fait le plus sentir, en raison d’un discours haineux qui a été servi aux populations, essayant de rattacher Boko Haram à une volonté guerrière et expansionniste des nordistes. Buhari devrait faire des efforts énormes en ce sens.

Cet agenda intérieur ne devra pas occulter l’agenda africain, et sur ce plan, Buhari devra redonner au Nigeria son leadership sur le plan africain, comme durant la présidence d’Olusegun Obasanjo.

Alioune Ndiaye

Auteur, chercheur en relations internationales.

[email protected]

1 COMMENTAIRE

  1. Excellent article sur ce grand pays d afrique le Nigeria.Il faut saluer l issue de ces elections quand on connait le passe violent de ce pays.A l image de beaucoup de pays d afrique les populations ont pris la nécessite de prendre le taureau par les cornes .Les elites politiques de nos pays respectifs doivent prendre cette donne en compte car plus rien ne sera comme avant.A l heure du numérique leur marge de manoeuvre se retraicit de façon considerable .Le Nigeria a travers ces elections donne la preuve de l éveil de son peuple.Je suis d autant plus heureux pour eux que c est mon pays prefere au plan culturel-je suis un mordu de la culture Yoruba.C est pourquoi tout ce qui se passe dans ce pays m interpelle au premier chef.Mes felicitations a mon ami Adejumo le chrétien sudiste Yoruba qui a fait campagne pour le musulman nordiste Buhari!

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