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Interview : Assane Guèye, ancien chauffeur de Me Wade : « Le Président a un mauvais entourage… »

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Assane Guèye fut le premier chauffeur du Président de la République. Leur compagnonnage date d’un samedi de l’année 1971, à 13 heures 45 minutes. 40 ans après, les souvenirs se bousculent dans sa tête. Mais le poids de l’âge n’impacte pas sur sa hargne à dire ce qu’il pense. Dans cet entretien, Vieux Assane, 72 ans, taille élancée, drapé d’un grand boubou basin vert, donne sa lecture sur la relation entre le Président de la République et les « anciens » de son parti. Il décrie aussi l’entourage de Wade et de son fils Karim, patron de la Génération du concret, sans complaisance. Parce que, dit-il, « son âge ne lui permet pas de verser dans l’hypocrisie ». Il déclare : « Wade est entouré de mauvaises personnes. Karim est dévié du bon chemin politique par ses proches ». Entretien.

L’office : Qu’est-ce qui vous a poussé à sortir de votre réserve pour parler de Wade et de son gouvernement ?

Assane Guèye : Non, attends, je l’ai toujours fait. Mais, je ne veux pas non plus me permettre de faire le maître-chanteur. Parce que j’ai constaté qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de personnes qui se disent « anciens » du Pds. Personne n’est plus ancien que moi dans le Parti démocratique sénégalais. Pour avoir été premier chauffeur du président de la République Abdoulaye Wade. Je l’ai connu le 4 juin 1971, à 13 heures 45 minute. Et depuis, nous sommes des compagnons. Il était à l’époque professeur à l’Université de Dakar. Et il a été ensuite nommé Doyen de la faculté des sciences économiques. Monsieur Seydou Madani Sy était à l’époque Recteur de l’université de Dakar.

Comment avez-vous fait la connaissance de Maître Wade ?

Personne ne nous a mis en rapport. Il avait appelé à la Place de l’indépendance (ex-Place Protêt). Wade avait besoin d’un jeune chauffeur qui sache conduire une voiture DS. Et je lui ai dit que moi, je suis un chauffeur, et je sais conduire une voiture DS. Je suis allé le trouver au Point-E. Nous devions aller à Saint-Louis aux obsèques de Gorgui Maguette Wade ; on devait l’enterrer à Kébémer à 17h. Après notre retour, il a dit à son secrétaire, un certain Ndoye que c’était la première fois qu’il voyait un chauffeur aussi professionnel et ponctuel. Et il m’a maintenu. Il était aussi expert à la Banque africaine de développement, (BAD). À l’époque, Abdoul Wahab Labédi était le président-directeur de la BAD. Wade voyageait beaucoup.

Ensuite… Par la suite, il a décidé de former un parti politique, « de contribution ». Il y avait Alou Gaye, Dame Kébé, Boubacar Sèye, Famara Mané, Aliou Kamar, l’ancien syndicaliste Lamine Diallo qui était très connu, et Baïla Wane (à ne pas confondre avec Baïla Wane ex-directeur de la Lonase) et Ahmeth Khalifa Niasse (Ndlr : secrétaire général du Front des alliances patriotiques). Mais Senghor avait exigé d’eux de trouver un courant politique. Ils en ont discuté pendant une semaine. Et sont tombés d’accord sur le libéralisme.

Est-ce que vous militiez à l’époque dans ce parti ?

Bien sûr. J’étais encore jeune. Pourtant, aujourd’hui, j’ai 72 ans. Notre compagnonnage a duré 28 ans. On allait à Kaolack et partout dans le pays. Il faut rectifier d’ailleurs. Ousmane D. Guissé (un grand commerçant décédé aujourd’hui) a instauré le parti à Kaolack, mais ce n’est pas vrai. C’est Matène Fall, ancien commerçant, père de Khadim Fall, politicien caricaturiste, qui a implanté le Pds à Kaolack. Après, on a tenu un congrès en 1976. Quand on a décidé de faire ce congrès, Yoro Kandé de Kolda a démissionné la veille. Il a été influencé par une proposition. Il était promu président d’une commission à l’Assemblée nationale.

Mais où s’est tenu le premier meeting du Pari démocratique sénégalais ? Au campement Nguékhokh, en 1975. Ce meeting a eu lieu grâce à Jean Collin. Il avait demandé à ce qu’on nous laisse faire le meeting. Nous en avions le droit. À l’époque, Senghor était comme un roi. Tout le monde était avec lui. Personne n’osait le contester. On ne pouvait même pas vendre l’arachide dans ce pays. Les rares personnes qui osaient transporter le produit dans un camion à destination de Dakar, une fois arrivées à Rufisque, étaient déférées au parquet. C’est pourquoi, personne ne voulait plus cultiver l’arachide. Aujourd’hui, la liberté existe dans ce pays. Tout ce qu’on dit dans la presse aujourd’hui, personne n’osait le faire du temps de Senghor. Il faut le reconnaître. J’ai une fois entendu Wade dire que beaucoup de pays ont connu des coups d’Etat, parce qu’il n’y a pas cette liberté d’expression. C’est important, c’est ça la force des Sénégalais. Tous ces bavards n’ont même pas cinq personnes dans leur parti.

Parlez-nous un peu de votre relation avec le Président ! Il faut dire que Wade est un homme très généreux. On le ne dit pas parce que nous avons travaillé avec lui. J’ai 72 ans, je ne vais pas mentir parce qu’il s’agit de Wade. Personne ne peut le remplacer. Quiconque serait à sa place serait sacrifié par la population ou par l’armée. C’est lui qui m’a emmené à la Mecque. Tout ce j’ai, c’est grâce à lui.

Votre dernière rencontre date de combien de temps ? Mais nous ne nous sommes jamais séparés. Mais cela fait longtemps que je ne l’ai pas rencontré. Quand j’allais au Magal, c’est lui qui m’a donné une voiture et un chauffeur. Quand j’allais à la Mecque en 2001, c’est lui qui m’a aidé.

Vous dites que vous n’avez pas rencontré Wade depuis longtemps, et …

(Il coupe). Je vais vous en dire plus. À la présidence, j’ai déposé une demande (d’audience). Je l’ai donné à Adama Sène, femme de Kader Sow. Après quelques jours, j’ai rencontré un gendarme. Il s’appelle comment ? Je ne vous le dirais pas. Je demandais une voiture au Président. Lui m’a demandé si je ne l’avais pas reçue. Mais je soupçonne beaucoup Madame Mbaye. Une secrétaire qui travaille à la présidence. J’ai des informations sur elles que je ne vais pas révéler dans la presse. Elle doit comprendre que nous sommes des anciens du parti. Mais je ne vais pas me laisser faire.

Qu’est-ce que vous comptez faire ?

Je connais ses méthodes de travail. Elle ne reçoit jamais les hommes de mon genre. Si tu n’es pas une grande personnalité, elle ne te reçoit pas. Et elle n’est pas la seule. Il y en a d’autres.

Voulez-vous dire par là que l’entourage de Wade est…

(Il coupe encore). Wade est entouré par de mauvaises personnes Sauf Pape Samba Mboup, qui fait partie des anciens, sinon tous les autres sont des transhumants. Ils mentent, quand ils disent qu’ils sont avec Wade depuis 74. Le Président est mal entouré. Madame Mbaye n’a même pas une carte de membre du parti. Il faut dire que sur les cent premiers membres du parti, les 90 sont morts. Je peux vous en citer quelques-uns. Il y a Albert Niang de Rufisque, Ngouye Thiam de Pikine Guinaw Rail, Thierno Ndiaye de Thiaroye Doro Ndiaye…

Pourtant, ces gens dont vous parlez occupent des postes stratégiques dans le gouvernement. Comment appréhendez-vous cet état de fait ?

Quand on est élu président de la République dans un pays. Il est de son devoir de travailler pour l’intérêt du ce pays. Et il y a certains qu’il a nommés comme Abdoulaye Mactar Diop, Mamadou Diop, qui ont toujours été des amis intimes de Wade, ils ne l’ont jamais tancé. Le Président lui-même dit souvent qu’un pays ne saurait être dirigé par une seule personne. Raison pour laquelle, il refuse de prendre seulement les membres de son parti. Ici, c’est la compétence qui importe.

Vous parlez comme si vous aviez mal au cœur. Réellement, qu’est-ce qui vous fait mal ?

Ce qui me fait mal, c’est le fait de doter de voitures des soi-disant anciens du Pds, qui ne valent rien du tout. D’ailleurs, j’ai réalisé un livre concernant les anciens. J’ai payé 150.000 F pour la saisie. En ces temps-là, le Sénégal comptait douze régions, douze gouverneurs et autant de préfets. J’ai fait le tour du pays pour réaliser cela, avec des informations concrètes. La reliure aux couleurs (jaune-bleu) du parti m’a coûté 30.000 f. C’est Idrissa Seck qui m’avait confié cette mission. Celui-ci l’avait donné au Président. Il était à l’époque ministre d’Etat à côté d’Abdoulaye Wade. Cette année-là, quand ils distribuaient les billets pour le pèlerinage à la Mecque, ils m’ont appelé. C’est moi qui leur indiquais ceux à qui il fallait donner un billet, parmi les anciens. Ce, grâce à Pape Samba Mboup.

Vous sentez-vous lésés, parce que vous n’avez pas de voiture ?

Ce n’est pas vrai. Non, je veux simplement rétablir la vérité.

Quelles sont vos relations avec Karim, le fils du Président ?

C’est moi qui l’emmenais au jardin. Au Point E, il y avait un jardin d’enfants qui s’appelait le Bambi. C’est là où il a débuté.

C’était en quelle année ?

En 1971. Il avait deux ans. Sa sœur Sindiély est née devant moi. Son vrai nom est Aïda Dabo. EIle a été baptisée par Moustapha Wade et Kéba Mbaye à Colobane. Karim, on l’a dévié de sa voie. De gens qui se réclament de la génération du concret l’entourent. Il doit rester Pds. Dans un parti, il ne peut y avoir deux chefs. Il devrait suivre les pas de son père. La génération du concret est constituée d’opportunistes. Ceux qui sont avec son père ne le détestent pas. Seulement, ils n’ont pas accès à lui. Il n’identifie même pas les anciens du Pds. Tu vois (il nous montre une photo de lui et de Karim). Il m’a invité à une « pose » parce que j’avais bousculé son garde du corps devant l’Assemblée nationale. C’était lors d’une séance plénière. Mais il est très difficile de voir Karim. Je me rappelle, un vieux du nom de Sène Djilakh. Il habitait au Campement Nguékhokh. Et qui, lors d’une réunion, avait demandé en 1977 à Abdoulaye Wade de se méfier des cadres, il faut être politique. Mais Karim lui est un cadre. Ce n’est pas bien. La preuve, Moustapha Niasse et Djibo Leyti Ka avaient un bon pourcentage lors des premières élections sous le règne de Wade. Moustapha avait 17%. Mais lors des dernières élections en 2007, il n’avait même pas 6%. Parce qu’il n’était entouré que par des cadres. Abdoulaye Wade est resté avec les cultivateurs, et les autres couches sociales les plus remarquables. Karim n’aurait pas dû créer ce mouvement. Il est leurré par ses proches, qui ne sont pas des Pds de souche. Karim doit suivre la voie de son père, s’il veut devenir Président. Politiquement, il ne suit pas la voie de son père. Je le dis franchement. Moi, je ne le reconnais pas politiquement. Je ne reconnais que son père. Génération ne veut rien dire. La génération de son père est plus concrète. Lui qui a fait 26 ans dans l’arène avant de devenir Président du Sénégal. Karim devrait avoir au moins cinq anciens dans son entourage, qui lui prodigueraient des conseils, lui indiqueraient la bonne voie à suivre.

Avez-vous des conseils à lui donner ?

Je ne lui donnerais pas des conseils dans la presse. J’ai tout ce je devais avoir dans ma vie. C’est lui qui a des problèmes, pas moi. (Il se marre).

Les coupures intempestives hantent aujourd’hui le sommeil des populations. Pendant que vous défendez le principal concerné, Abdoulaye Wade. N’est-ce pas là un paradoxe ?

L’énergie prend sa source à l’Opep. Le prix de l’essence s’achète en dollars. Le transport coûte cher. Cela vaut des milliards. Au Sénégal, seuls les départements avaient du courant. Aujourd’hui, beaucoup de villages sont électrifiés. Aujourd’hui, le courant est à la base de toutes les productions. Et le Sénégal n’a pas de matières premières. C’est une crise internationale.

Et vous le défendez comme si vous ne souffriez pas de la conjoncture, de la hausse des prix des denrées de première nécessité ?

Mais je ne dis que la vérité.

Ah bon !

Oui. J’ai 72 ans. Je vais mourir un jour. Abdoulaye ne peut pas me faire raconter des mensonges. C’est un homme très bien, mais il doit revoir son entourage. Il n’y a que de mauvaises personnes.

Mais la population souffre, vous-même, vous le savez en tant que retraité, n’est-ce pas ?

Que voulez-vous que je dise. Auparavant, il n’y avait rien à Dakar. Mais aujourd’hui, il n’y a que des buildings partout. Mais c’est la vie. Il y a avancement, il faut le reconnaître. On est fatigué, parce que nous vivons comme les blancs aujourd’hui. C’est la réalité.

Réalisé par Amadou Ahmeth Seck

loffice.sn

1 COMMENTAIRE

  1. « Mais Senghor avait exigé d’eux de trouver un courant politique. Ils en ont discuté pendant une semaine. Et sont tombés d’accord sur le libéralisme. »

    M. Gueye semble avoir une bonne mémoire, mais il prend ici un raccourci historique: Me Wade s’est battu pendant des années contre Senghor pour s’octroyer l’étiquette « socialiste travailliste » avant d’accepter le courant liberal.
    Stu

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