En prélude au Forum mondial de l’eau prévu du 21 au 26 mars 2022 à Dakar (Sénégal), ‘Financial Afrik’ a rencontré Abdoulaye Sène, le secrétaire de l’évènement qui est à sa 9e édition. Dénommée le « Forum des réponses », cette rencontre sera une première pour l’Afrique subsaharienne. Entretien !
Quels sont les enjeux du Forum mondial de l’eau ?
C’est une occasion unique pour mettre la problématique de l’eau au centre des priorités, des discussions et des échanges. C’est une occasion de sensibiliser, de mobiliser les acteurs et d’impulser des actions concrètes sur la problématique de l’eau et de l’accès à l’assainissement. Pour l’Afrique, c’est extrêmement important. Ce sera l’occasion de concentrer l’attention sur la problématique de l’eau et de voir comment consolider les progrès fragiles en la matière. Il s‘agit de voir comment l’accès à l’eau pourrait servir au développement agricole, énergétique et touristique, etc. Quatre axes majeurs ont été définis pour ce forum : la sécurité de l’eau et de l’assainissement en Afrique et dans le monde, en temps de paix et en temps de conflit ; la coopération entre les pays partageant les mêmes ressources pour réaliser des programmes communs, des infrastructures communes et en partager les retombées dans le dialogue, la solidarité et la paix; l’eau pour le développement rural ; et les outils et les moyens qui permettent d’atteindre les objectifs, le financement et la gouvernance.
Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté cet événement dans son organisation et ses thématiques ?
La Covid-19 a beaucoup impacté le processus préparatoire du forum (NDLR : finalement décalé en mars 2022). Nous n’étions plus en mesure d’organiser des ateliers et autres. Malgré ces contraintes, nous avons fait recours au digital qui nous a permis de tenir des rencontres et des consultations par visioconférence afin de mobiliser les acteurs dans la définition du contenu de l’événement. La Covid-19 sensibilise sur l’importance de l’eau, sur les conséquences du retard de l’accès à l’eau et permet de convaincre les acteurs que le forum est encore plus important aujourd’hui qu’hier, afin de replacer l’eau au cœur des priorités politiques, de saisir l’opportunité d’organiser des meeting virtuels. La pandémie a certes perturbé pas mal de choses, mais nous nous sommes adaptés et nous avons tiré des leçons.
Où en est aujourd’hui l’Afrique dans l’accès à l’eau et à l’assainissement, dix ans avant la réalisation prévue des Objectifs de développement durable ?
A l’échelle mondiale, si la tendance actuelle est maintenue, en 2030, l’accès à l’eau et à l’assainissement sera pire que la situation en 2015. Les progrès sont insuffisants, il y a nécessité d’engager une accélération. En dépit de la Covid-19 en 2020, nous avions déjà constaté que nous étions, nous africains, hors de la trajectoire. Si l’on ajoute les contraintes du coronavirus, les difficultés d’accès à l’eau et les contraintes économiques, on se rend compte que le défi est extrêmement important. L’Afrique doit renforcer sa mobilisation en termes de financement d’infrastructures d’accès à l’eau et à l’assainissement, de mécanismes de gouvernance et de coopération entre États. Aujourd’hui, la Covid-19 montre que nous sommes loin de la trajectoire qui aurait dû nous mener à l’atteinte des ODD liés à l’eau et l’assainissement. La piqûre de rappel que constitue la pandémie, l’initiative de l’Union africaine d’organiser en marge du forum un sommet spécial des chefs d’États afin qu’ils s’engagent à poser des actions concrètes, offre une lueur d’espoir. Ce sommet de haut niveau dans ce forum mondial permettra à l’Afrique de retrouver une trajectoire plus positive qui peut lui permettre d’atteindre les ODD liés à l’eau et à l’assainissement d’ici 2030.
Peut-on dire que le Sénégal est un bon élève en matière d’assainissement ?
Le Sénégal fait de gros efforts pour relever le défi lié à l’accès à l’assainissement. Le pays est en dessous de la moyenne mondiale, certes ; mais au-dessus de la moyenne africaine en matière d’accès à l’assainissement. Les chiffres le démontrent, nous sommes à 45% du taux d’accès à l’assainissement. Il y a des politiques et des programmes qui ont été engagés, notamment les travaux de réhabilitation de la baie de Hann dans la région de Dakar et des initiatives importantes en milieu rural pour l’accès à l’assainissement autonome. En outre, il y a lieu de noter l’organisation de l’assainissement semi collectif ou autonome avec le marché des boues de vidange ; en matière d’innovation technologique et avec l’appui des partenaires comme la Fondation Bill et Melinda Gates, on est en train d’offrir à l’Afrique un modèle. In fine, on peut dire que le Sénégal est un bon exemple en termes de progrès en matière d’accès à l’assainissement. Nous sommes un pionnier africain qui a conscience qu’en dépit de ce qui a été fait, il y a d’énormes efforts à fournir dans ce secteur pas souvent attractif pour les bailleurs de fonds et qui nécessite de gros investissements. Avec cette volonté de la part de l’État, je reste tout de même confiant dans l’atteinte des Objectifs de développement durable d’ici à 2030.
Comment s’organise la coopération interafricaine et les échanges d’expérience entre pays dans le cadre du Forum mondial de l’eau ?
Précisons que le Sénégal accueille le Forum mondial de l’eau pour le compte de l’Afrique. L’Union africaine a décidé d’accompagner le forum en organisant un sommet spécial des chefs d’État et de gouvernement en marge de l’événement. Ce sera l’occasion de faire le point sur la vision africaine sur la question de l’eau, l’agenda 2063… Nous avons également signé un protocole avec AMCOW (Conseil des ministres africains chargés de l’eau) pour la mobilisation des communautés économiques régionales (CEDEAO, CEMAC, SADEC…). Nous avons développé une stratégie d’implication de toutes les composantes en commençant par les politiques. Il y a également un accord de soutien qui a été signé avec l’Association africaine de l’eau qui regroupe tous les professionnels de l’eau, les sociétés d’eau d’Afrique, le réseau africain des organismes de bassins, la société civile, les universités, la jeunesse.
En outre, nous avons lancé l’initiative 1.000 jeunes pour les impliquer et en faire des pionniers du Forum. Nous sommes aussi en train de mobiliser des acteurs africains autour de l’initiative « Dakar 2021 » qui vise à labelliser les projets qui auront un impact concret sur le terrain en faveur des populations, de manière à solutionner les problèmes urgents comme l’agriculture précaire, l’urbanisation galopante…
Nous avons prévu, pour la première fois en marge du forum, « un village de l’assainissement ». Il permettra de montrer aux participants les réponses d’hier, d’aujourd’hui et de demain sur la problématique de l’assainissement. Nous avons conscience que l’Afrique est en retard en termes de réponse sur le terrain. Il est aussi prévu un village africain qui mettra en exergue les enjeux de l’eau et les réponses africaines. Cela permettra aux différentes communautés africaines (Masaï, Berbère, Peuhl, etc.) de montrer leur façon de maîtriser l’eau dans des conditions difficiles. Nous sommes en train de mobiliser et de faire participer l’Afrique afin qu’elle tire le meilleur de ce forum tout en gardant une tonalité mondiale.
Quels messages lancez-vous aux partenaires, aux décideurs et à la communauté de l’eau et de l’assainissement ?
L’eau reste une problématique essentielle pour le développement. Nous n’atteindrons pas les Objectifs de développement durable sans régler la question de l’eau et de l’assainissement. Nous devons tous nous mobiliser pour assurer un accès universel à l’eau, en particulier en Afrique où les problèmes d’eau sont les plus critiques. Le Forum mondial de l’eau que le Sénégal accueille pour le compte de toute l’Afrique doit rester un évènement mondial qui apporte des réponses concrètes aux populations africaines et du monde. Nous souhaitons une forte mobilisation pour avoir un Forum Dakar 2022 historique en terme d’efficacité pour le monde et l’Afrique.
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