Introduction des langues locales à l’école – Approche concrète (Par Dr Dalla Malé Fofana)

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Il est souligné dans le programme DiomayePrésident « l’intégration effective des langues nationales et des daaras dans le système éducatif » (de même que l’implantation de l’anglais plus tôt dans le processus scolaire).  Concrètement, une revitalisation de l’école Sénégalaise comporte, sur le plan des contenus, deux aspects. Nous avons certes d’une part le (1) recours aux langues nationales (forme/outil), mais d’autre part, il est question (2) d’enseigner, de parler et de réfléchir sur nos réalités (fond/contenu). Les idées ne manquent pas. Les propositions, non plus. Un grand nombre de pistes a pu être proposé. Pourquoi l’action tarde-t-elle alors que cette question a été soulevée depuis quelques années (Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia, Assises de l’Éducation …)? Est-ce la nature colossale du sujet qui décourage les tentatives? Face à une tâche colossale, la réussite repose sur le fait de commencer, par de petites tâches, afin d’enclencher le processus. 

Une introduction progressive  

L’introduction progressive commence par le fait de se débarrasser de la règle « du français, seule langue en classe », et l’introduction des langues locales dans les classes. Le symbole de la honte pour celui/celle qui ose parler sa langue maternelle, doit disparaitre. Selon les principes de la linguistique contrastive, la langue maternelle ne doit plus « être un tabou mais un atout ».  

Casser le monopole de la langue unique 

Concrètement, le premier petit pas (Étape 1) est de permettre à un élève de pouvoir demander qu’une consigne non comprise puisse lui être expliquée par son enseignant dans la langue locale comprise par tous les élèves de la classe. En effet, un élève peut ne pas réaliser une tâche demandée simplement parce que la consigne qui lui est fournie dans une langue étrangère lui est inaccessible. Il faut toutefois préciser dans ce cas-ci que cette approche devient inéquitable dans le cas où l’enseignant ne peut pas s’exprimer dans la langue locale comprise par tous les élèves de la classe. Si tel est le cas, la possibilité doit être donnée aux apprenants de pouvoir se parler entre eux afin que ceux qui comprennent mieux puissent expliquer les consignes à leur camarade dans la langue locale comprise par le camarade en difficulté. Il faut donc valoriser d’abord la langue maternelle mais aussi le recours à l’alternance codique ou code switching (passage d’une langue à une autre) ainsi que la création d’un milieu multilingue. 

Pour faciliter cette étape, la langue locale doit être mise à profit pour parler plus des réalités locales. Parler de réalités étrangères, ou de réalités originaires de l’étranger favorise un recours plus important aux langues étrangères concernées. Cependant, il faut faire la différence entre le fait d’utiliser des mots-outils, grammèmes, (comme donc, puisque, par exemple …), une habitude langagière qui peut se corriger de manière réaliste, et l’usage des mots de vocabulaire (lexèmes) qui désignent des réalités encyclopédiques (comme hydrogène, rectangle, satellite…) qui sont des emprunts normaux, en attendant que la langue locale développe des termes alternatifs. Les locuteurs natifs allophones (du français, de l’anglais …) disent bien balafon, kora, djembé … Ils ont pourtant des termes plus ou moins équivalents dans leur langue (xylophone, harpe, tambour…), mais de tels termes ne renvoient pas à la même réalité sémantique et socio-discursive.  

Introduire des séances de lecture /écriture en langues locales

La transcription du wolof (Étape 2), malgré les apparences n’est pas compliquée. Cette perception négative est due au manque d’habitude. Cet effet de difficulté qui mène à l’abandon est la raison pour laquelle la lecture du Coran, par exemple, en arabe est toujours aussi ardue. 

On pourrait se dire « pourquoi ne pas prendre l’orthographe français qui est déjà disponible ». Raisonner ainsi revient à oublier qu’une langue qui se présente toujours sous sa dimension d’outil comporte une puissante dimension civilisationnelle souvent non perçue. Il faut savoir qu’écrire et lire dans la langue maternelle, au-delà de la dimension fonctionnelle pratique, nourrit des valeurs symboliques inestimables. On pourrait donc se dire « pourquoi ne pas prendre le système français et écrire Magal et non Maggal (ou Magg’al)? Nos érudits, des familles religieuses, ont eu le même raisonnement en prenant le système graphique arabe déjà disponible pour écrire avec cet outil la langue wolof pour laquelle ils ne possèdent plus de système graphique (wolofal).   

L’alphabet phonétique  

En réalité, le système graphique officiel du wolof s’inspire et repose en majorité sur l’Alphabet Phonétique International (API). Or l’API a été créé pour remédier aux irrégularités des graphies de langues comme le français qui traînent dans leur graphie les traces de leur histoire. L’alphabet phonétique a pour but d’uniformiser le système d’écriture afin de permettre de transcrire uniformément (les sons d’) une langue peu importe la graphie de son pays d’origine. C’est un peu comme l’uniformisation des dimensions de certains outils en bâtiment ou encore, en géologie ou en botanique, les noms scientifiques des animaux et des plantes, qui sont universels. 

Le premier principe de la phonétique est d’écrire (ou plutôt transcrire) les sons des langues articulées humaines. L’API relève du principe d’harmoniser tous ces sons qui partagent la même origine. Tous ces sons proviennent du même appareil buccal, du même système phonatoire que nous partageons tous comme humain. Un principe similaire existe dans le domaine des mathématiques avec la réduction au dénominateur commun.

Le second principe de la phonétique est de faire que chaque son ne s’écrive que par une lettre ou symbole (1 son = une lettre). On ne verra plus « s » s’écrire « ss » (basse), « sc » (piscine), « c » (vice), « x » (dix),  »t » (diction), ni « s » se lire « z » comme dans « base ». L’API a justement été créé pour faciliter la compréhension et la production d’une langue dont les principes graphiques et orthographiques diffèrent. Par conséquence, la difficulté d’apprendre une partie de l’API, qui reprend d’ailleurs la majorité des symboles français, est un moindre mal. Par ailleurs, plus un élève l’apprend étant jeune et dans un contexte déterminé, moins il y aura de possibilités d’interférences avec d’autres systèmes graphiques et linguistiques.

Pour ce qui nous concerne, notons que c’est une chance pour le Sénégal d’avoir le wolof une langue comprise de la majorité (cf. Tiken Jah Fakoli). Par conséquent, même si selon chaque région, c’est la langue locale en cours qui doit y faire l’objet principal d’étude, il faut y laisser une place au wolof, notre dénominateur commun.

Lire, écrire la langue locale  

Introduire, en langues locales, des séances de lecture et d’écriture va rendre ces deux activités moins difficiles pour les élèves.  La lecture devient intuitive car reposant sur des réalités connues et des mots dont le sens est déjà établi. Cette méthode-ci, (Étape 2), est engageable immédiatement. Elle ne nécessite pas de formation particulière pour les enseignants qui, par le biais de capsules vidéo, peuvent se l’approprier au fur et à mesure.  L’alphabet phonétique est déjà connu et appris dès le secondaire, parfois, et à l’université. Donc certains enseignants le connaissent déjà. Les élèves aussi peuvent de manière autonome s’approprier les contenus à travers des plateformes numériques. La rupture ne sera pas totale mais progressive, car ces séances (lecture-écriture) se font avec les autres matières déjà présentes dans le circuit.  

Après cette étape de (la simple) transcription/lecture, nous passons à l’étape (Étape 3), celle de la production spontanée orale et écrite.  Ici, il faudra introduire la question du registre de langue: populaire, familier, standard/neutre, formel, littéraire. Une langue en effet se parle différemment selon le contexte. Dans le wolof, langue africaine, de société à tradition orale, en plus des niveaux classiques de langues, il est possible de parler de niveau ésotérique. 

Enseigner le fond

Pour faciliter le recours à nos langues locales (ÉTAPE 4), il nous faut bien sûr recourir à notre propre histoire et nos valeurs, car la langue au-delà de sa dimension fonctionnelle, a une dimension identitaire. En revanche, afin de mieux parler de nos réalités, nous devons disposer de plus de supports didactiques en langues locales. Ceci passe par une production de ressources littéraires plus importante en langues locales, ainsi que la traduction de certaines œuvres de base qui gravitent autour de notre culture.  

Il ne faudrait pas négliger la place de la construction identitaire dans la langue, le travail abattu par les colons pour modifier notre perception de nos langues devrait nous édifier sur cet aspect. La langue est le véhicule qui donne accès à la civilisation de l’autre. Si le domaine scientifique est plus développé en Occident, la philosophie et la rhétorique, relevant de la réflexion, sont le propre de tout humain, et sont suffisamment étoffées dans toute société fonctionnelle. Sur ce plan, nous n’avons pas à être envieux des penseurs étrangers. En nous amenant à minimiser nos langues, le colon nous fait minimiser tout ce qui est dit dans nos langues. Les maximes de Rabelais, Sartres ou Hegel sonnent plus profonds et élaborés que ceux de Kocc Barma, Ndiaga Mbaye ou Mame Yax’i Laalo, car celles-ci sont écrites en wolof. 

Malgré notre relative faiblesse en sciences, même les maths s’enseignent avec aisance en langue nationale. Cheikh Anta Diop, Mary Teuw Niane en sont des exemples. La logique est une valeur humaine. Il faudrait qu’on arrive à élaborer des raisonnements en science molle ou dure. Nous devons être en mesure d’argumenter en littérature ou en philosophie autour des proverbes de citations des grands chefs spirituels du Sénégal, de l’Afrique.  Ainsi pourra-t-on remettre sur la table certaines réflexions relevant de wolof Njaay dont font partie les propos de Kocc Barma (l’inverse n’étant pas vrai: les propos de wolof njaay ne sont pas nécessairement ceux de Kocc Barma).

Formatés à l’occidental, nous pouvons écrire un essai sur une affirmation de La Fontaine, et rejeter d’un revers de main les propos de nos penseurs uniquement parce que leur réflexion est en wolof, et proviennent d’un des nôtres. Par exemple « ñaan gu nangu coono borrom » (un vœu exaucé est un fardeau pour le demandeur) est une expression qui pourrait faire l’objet d’une réflexion d’autant plus profonde que la réalité actuelle du Sénégal et de ses dirigeants actuels l’illustre aisément. Pourquoi pas ne pas voir une citation comme cela, en français ou en philosophie au BEFM ou au Baccalauréat?

Dr Dalla Malé Fofana PhD

Linguistique, didactique et communication

U. de Sherbrooke/Bishop’s University

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