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Kolle Gning, ecrivaine: «Des Africaines se prostituent pour leurs maris blancs»

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Kollé Gning est l’auteur du livre «Les naufragés de l’immigration». Une nouvelle dans laquelle l’ex-journaliste retrace la vie d’une Sénégalaise en France. La galère des Africaines en Occident. Elle a accepté de revenir sur le livre, les motivations, mais aussi les réalités en France.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis Sénégalaise, j’ai été journaliste à la radio Sud banlieue, Energie Fm assez rapidement. Je suis restée plus longtemps à la 7Fm. J’ai animé l’émission sur les droits des enfants de concert avec Plan international.

Quel est le genre littéraire de votre livre ?

C’est une nouvelle qui relate l’histoire d’une émigrée en particulier, mais on peut dire l’histoire des émigrés en général. Etant une émigrée, la question m’a intéressée dès le début. J’ai eu la chance d’être en contact avec pas mal d’Africains quand je suis arrivée en France.

C’est votre vie que vous retracez ?

Beaucoup de personnes me posent la même question. Mais il ne faut pas faire de l’amalgame. C’est l’histoire de Syra. Et Syra n’est pas forcément Kollé. Naturellement, c’est parti d’une expérience que j’ai vécue. Des contacts que j’ai eus. La plupart des histoires sont réelles. Même si j’ai eu à modifier les prénoms et les noms pour préserver l’intimité de ces personnes.

Comment se fait-il qu’il y ait autant d’éléments réels ?

L’histoire de Syra, de manière globale, est une fiction. Mais quand vous lisez l’œuvre, il y a d’autres histoires qui viennent corroborer celle-ci, la façon dont certaines émigrées vivent en France. Ce sont des histoires réelles de personnes qui se sont confiées à moi. Et ce sont ces personnes qui m’ont humainement touchée. Qui m’ont tellement touchée qu’au bout du compte, je me suis dit : pourquoi ne pas raconter cette histoire-là pour que les Sénégalais aient une idée de ce qu’est l’Europe, l’Occident. Pour qu’ils puissent se préparer psychologiquement avant de franchir le cap et de vouloir voyager.

Pourquoi ce livre ?

J’ai voulu être objective. Je suis partie, pourquoi pas d’autres ? Mais l’intérêt n’est pas de dire faites ceci ou faites cela, je ne veux pas donner l’impression de quelqu’un qui donne des directives. J’ai voulu montrer que certaines personnes sont dans la galère comme il y a d’autres qui réussissent, mais cela ne m’intéresse pas. Je me suis dit : du moment qu’il y a des gens qui vivent très mal, pourquoi vouloir toujours montrer le côté positif ? On a l’impression que, quand les émigrés rentrent en Afrique, ils donnent l’impression que tout va super bien, ils n’ont pas de soucis, que tout est rose en France. Alors que ce n’est pas forcément le cas. Et c’est ce qu’on leur fait croire aussi. Il y a un côté caché de l’émigration. Il y a des personnes qui ne rentreront jamais et d’autres qui vivent très difficilement. À travers cette œuvre, je veux dire aux jeunes : attention c’est bien de vouloir partir, de vouloir faire quelque chose dans la vie, mais il faut savoir aussi ce qui se passe réellement.

Pourquoi avoir choisi de parler d’une femme ?

Tout simplement parce que je suis une femme. C’est une femme, parce que je pars d’un salon de coiffure qui est un lieu très fréquenté. Et j’ai côtoyé beaucoup de femmes d’âge mûr qui ont une certaine expérience. Qui ont connu l’Occident bien avant nous. Parce que les jeunes sont aussi venus après. C’est une autre forme d’émigration. J’ai voulu diversifier. Syra est très jeune, elle a la trentaine, mais est entourée de personnes de toutes les tranches d’âge. Elles ont cinquante ans, quarante ans… Ce sont des générations d’émigrées qui connaissent la même galère. Et c’est pour dire que ça ne change pas. Ça ne va pas changer parce que l’émigration devient de plus en plus réglementée et donc plus dure. Ce n’est pas maintenant que ça va changer. Cette information sur cette réalité, cette sensibilisation, moi je ne le ressens pas. Je suis en Occident, mais je suis très ancrée dans mes valeurs sénégalaises. J’ai 90% de ma personne au Sénégal. Quand je me réveille le matin, la première des choses que je fais, c’est aller sur le Net pour voir ce qui se passe au Sénégal.

Faites-vous allusion à l’émigration clandestine ?

J’ai comme l’impression que ce phénomène de société est très dur. Quand j’entends que des milliers de jeunes sont morts, cela me choque. Et je pense que cela me choque plus que les personnes qui sont là. Parce que je me dis : quand un jeune qui a entre vingt et trente ans dit qu’il veut partir et que ce sera «Barça ou Barsakh» (Ndlr : Barcelone ou la mort), c’est parce qu’il n’a pas du tout compris. Qu’est-ce qu’on a de plus important qu’une mère, qu’un père, que son pays ? Quand un jeune préfère mourir que de rester, c’est parce qu’il y a un problème. Et j’ai comme l’impression que tout le monde est aveugle et personne ne le voit. Et ça me touche énormément.

«J’ai été choquée de découvrir une Africaine se prostituer pour son mari blanc.» Est-ce une réalité ?
Ça vous a choqué, mais pour moi, c’était terrible. En plus, c’est une histoire vraie. Ce jour-là, j’ai raté mon bus parce que j’étais obnubilée par l’histoire. Pourtant c’est une jeune fille très belle, qui a une beauté extérieure exceptionnelle, mais le reste, je n’en juge pas. Je me rappelle ce jour et je ne suis pas près de l’oublier. Elle n’est pas la seule dans cette situation-là. Il y a beaucoup de filles qui se donnent, soit pour elles-mêmes, soit pour des hommes. Ça existe. C’est dommage, mais c’est comme ça. Il y a des gens qui se suffisent à aller en Occident sans que cela soit réfléchi, bien coordonné et sur des bases très claires. Sans cela, on emprunte de fausses routes.

Etes-vous en train de dire que les femmes ne doivent pas émigrer ?

Je ne parle pas qu’aux femmes. Et je ne demande pas aux gens de rester. Parce que je suis partie. Personne ne sait où va briller son étoile. Et je ne suis pas celle qui va dire : ne partez pas. Je ne peux pas me permettre de décider à la place des gens. Dans l’œuvre, j’essaie de donner le côté positif, mais aussi le côté négatif. Tout ce que je veux, c’est qu’une jeune fille qui veut aller en Occident ait le bagage intellectuel qu’il faut. Quand on ne se démène pas au Sénégal, ce n’est pas en France qu’on le fera. Il faut avoir la base à partir d’ici. C’est un monde totalement différent. Tout émigré, homme ou femme, s’est, une fois dans sa vie, enfermé pour pleurer. J’ai tellement pleuré que je me suis dit : autant rentrer. Pourtant, j’avais une stabilité avec le boulot. Mais c’est l’affection qui me manquait, mais aussi le fait d’être en famille et de rigoler. Imaginez quand il n’y a pas le minimum ! Quand on n’a pas de boulot, quand on n’a pas de sous et qu’on n’a rien. Il y a un homme qui m’a beaucoup émue. Il est jeune. Il y avait les soldes et il y avait une robe que je voulais. Je me suis réveillée à 7 heures pour y aller. Je l’ai vu tourner en rond, il avait l’impression d’avoir mal dormi et il me regardait. À un moment, je me suis rapproché de lui pour voir à quoi ça rimait. Mais il est venu vers moi pour me dire : vous n’avez pas cinq euros pour que je mange ? Je lui ai donné un ticket restau et je lui ai dit : va manger au Mac Do. Je me disais dans ma tête que c’est un jeune qui avait beaucoup d’espoir en venant en France et qui voulait tout juste réussir. Qui se disait que c’était possible, mais qui ne s’était pas préparé comme il fallait. Et certainement, il a mobilisé beaucoup de fonds pour venir en France et aujourd’hui, il ne peut même pas rentrer. Les gens vont se dire qu’il se fout d’eux, il pouvait réussir. Alors que ce n’est pas le cas. Quand on n’a pas de papiers en France, on est pire qu’un animal. Un chien a un carnet de santé, alors que toi tu n’as rien.

Comment finit Syra ?

Syra est une femme très courageuse et optimiste. Dans la vie, il faut savoir faire des choix, mais il faut les assumer. Quand on fait des choix, il n’est pas dit qu’on va réussir. Car les choses peuvent changer à la minute qui suit. Je peux mourir en cours de route, ça peut arriver. Je suis partie en Occident et ça peut mal finir. Mais il faut savoir revenir à ses sources. Je voulais que ça se termine ainsi, car je veux dire qu’il y a des gens qui réussissent au Sénégal. Quand je rentre au Sénégal, j’ai l’impression que je perds mon temps en France. Et pourtant, je peux dire que ça se passe bien pour moi en France. Mais il faut savoir revenir. Je suis Sénégalaise, j’ai autant de droits que n’importe quel Sénégalais au Sénégal. Et demain, si ça se passait mal en Occident, je reviendrais sans honte me refaire ici.

Avec ta famille ?

Pas avec mon mari. Je n’ai pas à choisir à sa place. Il a sa vie, j’ai la mienne. On a décidé de faire nos chemins ensemble «Al Hamdoulilla», tout va bien.

Pourquoi vous avez choisi d’écrire de façon très accessible ?

Je ne suis ni Senghor, ni Maryse Condé, ni l’une de ces femmes très littéraires, même si j’ai eu un Bac littéraire, même si j’ai fait des études en littérature. Cet aspect ne m’intéresse pas. J’ai une information à donner. Je l’avais écrite, à la base, pour moi depuis 2006. Il a fallu la pression de mon mari pour que je puisse la partager. Si celle-là est intéressante, pourquoi pas d’autres ? L’aspect pécuniaire ne m’intéresse pas. Je veux que chaque personne qui le désire puisse en tirer quelque chose. Ce sera ma façon de participer, d’une façon ou d’une autre, à un Sénégal meilleur.

À quand la parution ?

L’éditeur prendra les dispositions nécessaires, on est en train de voir avec le ministre de la Culture. Ma fierté, c’est que tous les Sénégalais le lisent avant de partir. Pour que chacun puisse préparer son départ. Mon oncle m’a dit : «Ce n’est pas parce que tu as écrit ce livre que nous n’allons pas partir.» Je lui ai dit : au moins lisez «Syra», ça vous permet de savoir où vous mettez les pieds.

lobs.sn

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