A un peu plus d’un mois du premier tour des élections présidentielles, l’incertitude plane sur le Sénégal.
Le pays est suspendu à la décision de la Cour Constitutionnelle sur la validité des candidatures, surtout celle du sortant Me Abdoulaye WADE, qui doit intervenir le 29 janvier prochain. La capitale Dakar bruisse des rumeurs les plus abracadabrantesques faisant craindre le pire ; en même temps que certains observateurs, plus rationnels et comme pour se rassurer eux-mêmes, soutiennent que leur pays trouvera in extremis, dans son génie et dans ses valeurs intrinsèques, les formules pour franchir le cap.
C’est incontestablement la candidature de Me Abdoulaye Wade (la 7è depuis son entrée dans l’arène politique) qui tend l’atmosphère préélectorale. Malgré la constitution, en dépit de son âge (85 ans) et au mépris de son propre engagement, le vieux leader du SOPI veut briguer un nouveau mandat. Il ne semble pas avoir tiré lui-même les enseignements de sa leçon à Laurent GBAGBO, ni de sa position ultra-minoritaire en Afrique contre Mouammar KHADAFI dans la crise libyenne, consistant à célébrer le peuple souverain, la vox populi : « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais »
Ses compatriotes sont cependant déterminés à lui barrer la route, à tout prix. Le M23, (Mouvement du 23 juin, baptisé ainsi d’après la grande manifestation du 23 juin 2011, qui avait contraint le président Abdoulaye Wade à retirer un projet de loi de modification de la constitution, par voie parlementaire, pour instaurer un ticket vice-président et président de la République, et ce dernier serait éligible avec 25% des suffrages exprimés) un groupement très actif de l’opposition et des organisations de la société civile, envisage diverses actions dans la banlieue de Dakar et à l’intérieur du pays, à partir du 23 janvier prochain, en vue d’ « un retrait définitif de la candidature du président Abdoulaye Wade. »
Tandis que Alioune Tine, le coordonateur du mouvement n’hésite pas à utiliser des termes guerriers, parlant de « combat » qui doit continuer jusqu’au bout ou encore d’ »assaut final », Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre de Wade et candidat déclaré, appelle quant lui à ce qu’ »un million de Sénégalais » soient dans la rue le jour de la décision de la Cour Constitutionnelle. C’est dire la détermination des opposants au président sénégalais. Toute l’inquiétude de la région réside donc là et dans les autres pays, on n’hésite pas à parler d’élections à risques ; une première pour le Sénégal.
COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
Qu’est-ce qui pousse le président du PDS (Parti démocratique sénégalais) dans cette aventure suicidaire pour lui et pour sa sortie politique, qui risque de se faire par la fenêtre, (pour reprendre les mots d’un de ses opposants) mais plus grave, pour son pays considéré jusqu’alors comme un modèle de démocratie et d’alternance pacifique ? La peur. Celle la même qui motive la plupart des dirigeants africains à se maintenir au pouvoir, envers et contre tout, y compris la raison : peur de perdre les privilèges et les prébendes ; mais surtout peur de devoir rendre des comptes. Pour le cas de Me Wade, il semble que le risque est grand que son départ du Keur Gu Mag (littéralement la Grande maison) équivaille probablement à sa candidature à une place de choix dans un autre palais, mais de justice cette fois.
Son entourage n’est pas celui sur lequel plane le moins cette épée de Damoclès de poursuites judiciaires, essentiellement en raison de forts soupçons de crimes économiques. C’est donc sa famille, épouse et fils, ainsi quelques apparatchiks et autres affidés du « clan », qui l’inciteraient à ce jusqu’au-boutisme. S’ils sont décidés à ne pas fléchir, les opposants regroupés essentiellement dans trois coalitions ( Rewmi, Alliance Pour la République ou APR, Alliance des Forces du Progrès ou AFP … ) le sont encore plus. « Wade est un sanguin jusqu’au- boutiste qui aime jouer avec les nerfs de ses adversaires tout en comptant sur leur sens de la mesure. Il se plaît à les conduire au bord du précipice, soutenant être prêt à sauter et convaincu qu’eux, reculeraient alors. Sauf que cette fois-ci, il a tout faux : les autres sont prêts à sauter avec lui, s’il le faut », nous a confié un confrère sénégalais.
LES DIFFERENTS SCENARII :
Le report du scrutin, le temps de faire appel « aux ressources internes du pays » pour éviter le pire, fait partie des hypothèses évoquées ici. Mais peu y croient, estimant que les arguments pour y arriver devront être cousus de fils blancs ; donc se verraient. L’idée serait qu’à la dernière minute, la majorité des membres de la Cour Constitutionnelle démissionnent, paralysant cette institution qui doit jouer un rôle majeur lors des élections, en validant les candidatures et en proclamant les résultats définitifs. La variante, encore plus improbable de ce scénario est l’annulation des élections, pour le même objectif et avec les mêmes raisons.
Par expérience et pour connaître la psychologie arrogante et souvent déconnectée de la réalité de beaucoup de dirigeants africains, l’hypothèse la plus probable reste celle de la candidature de Me Abdoulaye Wade, validée par la Cour Constitutionnelle, aux ordres et tournant le dos à sa dignité, ratant ainsi le rendez-vous avec l’histoire. Pour beaucoup de Sénégalais, ce serait un coup de force constitutionnel. Et pour eux, peu importe qu’il soit constitutionnel ; il est avant tout un coup d’Etat. On tomberait alors dans l’inconnu, avec des conséquences que nul ne peut imaginer, ou plutôt que l’on imagine très bien. Mais cela, après la Côte d’Ivoire, personne dans la sous-région n’est prête à l’accepter.