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L’argent ne circule pas (Par Abdoul Aly Kane)

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Ce refrain entamé dès l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall voulait souligner en réalité la différence d’approche de celui-ci d’avec son prédécesseur, le président Abdoulaye Wade, qui avait le souci de la redistribution avec des moyens et des stratégies dont lui seul détient le secret. Même au sein de son parti, le président WADE s’assurait que les moyens financiers et matériels de campagne parvenaient bien à la base, en envoyant ses propres émissaires vers les responsables locaux.

Loin de nous l’intention de faire un jugement de valeur, ou trancher sur les politiques suivies, ce qui nous intéresse ici étant essentiellement la question de la redistribution et ses formes dans une société marquée par l’inégalité sociale. Le président du Bénin, Patrice Talon, dit que « l’argent qui ne circule pas, c’est de l’argent volé ; il faut nuancer ; c’est peut-être de l’argent volé aussi. En tout cas, cet argent est sorti du circuit ».

Dans son message à la nation du 31 décembre 2012, le président de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara disait que ‘‘l’argent ne circule pas mais l’argent travaille’’. Et que c’est grâce à cet argent (FMI, BM emprunté et affecté aux projets) que « la Côte d’Ivoire est au travail, que le pays est aujourd’hui un vaste chantier avec des routes, des autoroutes, des ponts, des hôpitaux, des écoles, des infrastructures diverses. Cela est visible voire palpable. L’on n’a pas besoin d’un microscope polarisant pour le voir ».

Poursuivant, il estime que les populations ivoiriennes doivent se réjouir de voir que « Chaque jour, la construction d’un pont progresse, un grand axe routier voit le jour, pour la première fois depuis notre indépendance, une ville comme Doropo, dans le Zanzan, a de l’eau courante, Bouna a de l’électricité 24h/24. C’est encore grâce à cet argent qui travaille que 1900 kilomètres de routes ont été reprofilées, que des milliers d’enfants, avec des kits scolaires gratuits, étudient sur des bancs neufs, que nos universités ont été entièrement rénovées et équipées de technologies de pointe, aux standards internationaux, que les dialysés sont désormais pris en charge avec moins de 2000 FCFA, qu’un fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire a été mis en place pour le financement de microcrédits pour nos soeurs et nos filles, que nos villes sont plus propres car débarrassées des dépôts d’ordures sauvages, etc. ».

D’une manière générale, pourtant, dans notre pays en particulier, il n’est pas rare d’entendre les citoyens parler de l’inopportunité voire l’inutilité de certaines infrastructures de transport par rapport à la satisfaction de leurs besoins vitaux immédiats. A l’adresse du président Macky Sall, on a souvent entendu dire que « les infrastructures ne se mangent pas ». On aurait l’impression que la question posée par le citoyen lambda est : « où est passé l’argent?». Nous croyons, pour notre part, que leur question est plutôt : « où est notre part ? ».

La réponse donnée par les dirigeants interpellés est la réalisation d’infrastructures visibles, et des promesses d’emplois dans la fonction publique ou d’auto-emploi. Le salaire est un vecteur essentiel de cette circulation monétaire en ce qu’il permet de nourrir l’ensemble d’une famille, de pourvoir à ses besoins de nourriture, de logement, d’éducation, de santé, et de redistributions du reliquat aux socialement « moins lotis ».

Ce salaire relève du secteur public et privé. L’effectif de la fonction publique nationale était de 158 074 agents au mois de septembre 2021, soit un stock de travailleurs inférieur de moitié au flux de demandeurs d’emploi qui arrivent annuellement sur le marché du travail. Ce stock équivaut à environ 6 % de la population en âge de travailler, dont les salaires engrangent près du cinquième des ressources nationales du pays.

La solution de revalorisation des salaires de la Fonction publique serait elle-même insignifiante par rapport à la masse, en ce qu’elle ne toucherait qu’une faible portion de la population (6 % de la population adulte). Pour ce qui concerne le secteur « formel », il occupe environ 9 % de cette population, soient 237 000 personnes.

La création d’emplois dans ce secteur se heurte à l’étroitesse d’un marché peu évolutif, et à la tendance à la sophistication des techniques de production faisant de moins en moins appel à la main d’œuvre. Les solutions sont, à notre sens, à chercher du côté du secteur formel par la promotion de PME à vocation exportatrice, et du secteur informel qui concentre près de 90 % des emplois du pays.

Cette politique de promotion de PME formelles et de modernisation du secteur informel devrait se faire en lien avec des pays ayant le même historique de développement que nous, soient les pays d’Asie comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Turquie, qui ont le savoir-faire en la matière.

Les Sénégalais de la classe moyenne : Des institutions de sécurité sociale ambulantes !

La situation économique précaire du pays participe également de la précarité sociale. Après une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 5,3 % en 2019, le Sénégal a été durement touché par les conséquences de la pandémie de Covid-19, la croissance étant estimée à 1,1 % pour 2020. Les mesures de soutien mises en place par le gouvernement et la Banque centrale des États d’Afrique de l’ouest (BCEAO) ont permis de limiter ce ralentissement économique.

La gestion de la pandémie au niveau mondial a, jusque-là, figé les activités touristiques depuis 2020, et entraîné des fermetures d’hôtels et des mesures de déflation d’effectifs sans compter la dette intérieure qui obère la trésorerie des entreprises avec un encours total de l’ordre de 9 790,7 milliards de francs CFA en 2021 ; cette dette est composée pour trois quarts de dette extérieure, et pour ¼ d’une dette intérieure qui avoisine 2400 milliards de francs CFA, soit en FCFA. Outre ce qui est dû aux entreprises privées, elle comprend les arriérés de versements aux organismes sociaux, en particulier aux bourses de sécurité familiale.

Le ralentissement de l’activité économique rend plus difficile l’accès du secteur informel aux marchés d’entreprises (bureautique, produits d’impression divers), aux services portuaires de transit et autres services générateurs de flux de trésorerie pour d’autres entreprises, des courtiers et divers intermédiaires. Ces difficultés diverses ont accru le poids des charges déjà lourdes d’une classe moyenne solidaire, participant pleinement à la cohésion sociale.

Le partage des revenus de cette classe prend diverses formes telles que l’aide pour le mouton de la Tabaski, la prise en charge de soins de santé, d’électricité, d’eau, la participation aux frais de scolarité, entre autres, en faveur des plus défavorisés. N’eut été l’apport des émigrés la précarité sociale serait plus forte.

Perspectives et rôle de l’Etat

En conclusion, il s’agit de créer de l’emploi par la promotion d’un secteur privé national, auquel on fournirait les leviers essentiels tenant au financement et à l’accès aux marchés extérieurs. Dans cette perspective, il faudrait miser d’emblée sur la formation et la mise à jour des connaissances. Les nouvelles technologies évoluent très vite, et leur appréhension n’est pas hors de portée.

Les niveaux de compétence exigés par les employeurs sont en perpétuelle évolution, au regard des besoins du marché international. Avec une population africaine qui va se situer autour de 2 milliards d’individus en 2050, le secteur salarié formel (urbain) ne créera pas suffisamment d’emplois pour absorber tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail et ceux qui migrent des zones rurales vers les villes.

La réalité de l’économie du Sénégal, c’est aujourd’hui le secteur informel. Il représente 41,6 % du PIB et emploie environ 48,8 % de la population active, et est concentré dans des domaines d’activité tels que la pêche, le petit commerce, l’artisanat. Les travailleurs de ce secteur ne bénéficient ni de retraite, ni de protection sociale.

Aussi, l’Etat devrait encourager la création de structures de protection sociale pour ce secteur, et y apporter une quotepart. La création de richesses supplémentaires attendue de l’exploitation des revenus du pétrole et du gaz, devrait permettre de démultiplier les options de redistribution sociale.

La responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) devrait être encouragée, via des mesures d’ordre fiscal en faveur des entreprises évoluant dans des secteurs d’activité à haute valeur ajoutée comme l’or, les mines en général, les télécommunications.

La logique « assistantielle » du modèle français, reconnue comme étant l’une des plus protectrices au monde, serait un exemple à suivre, contrairement au modèle américain qui miserait plutôt sur l’aptitude de l’individu à saisir les chances qui s’offrent à lui. Au Sénégal, l’Etat a mis en place divers instruments, tels la Bourse de sécurité familiale, qui est une sorte de prestation de protection sociale sous forme d’un versement d’argent effectué par un organisme public à un ménage pour couvrir des dépenses sociales essentielles.

Il se traduit par une injection monétaire de 7,5 milliards de francs CFA chaque trimestre en faveur des ménages les plus démunis, soient 30 milliards par an pour environ 300 000 bénéficiaires choisis à partir d’un Registre national unique, dont la transparence de l’élaboration est souvent remise en question, avec l’argument de la préférence partisane.

En toutes hypothèses, cette bourse est notoirement insuffisante, bien qu’elle réponde au souci de réduire la pauvreté. Elle est de 25 000 FCFA par trimestre, soit 8000 FCFA par mois, montant ne couvrant même pas le prix d’un sac de riz de la vallée de 25 kg.

En l’absence d’une assurance chômage qui ferait davantage « circuler l’argent », la plupart des jeunes Sénégalais se débrouillent pour subvenir à leurs besoins en montant de petites affaires ou en travaillant de façon informelle. Pour sa nouvelle politique d’emploi, le Président a annoncé « une réorientation des allocations budgétaires à hauteur de 450 milliards de FCFA au moins, sur trois ans, dont 150 milliards pour cette année », et l’allocation, dès le mois de mai, de « 80 milliards de FCFA au recrutement de 65 000 jeunes, sur l’ensemble du territoire national, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes, entre autres ».

Ce type de mesure en faveur de l’emploi public devrait également être étendu au secteur informel qui, désormais, doit recueillir toute l’attention des autorités parce que constituant la vraie source d’emplois dans notre pays. Et devant, par conséquent, bénéficier des mêmes mesures de protection que le secteur privé formel.

Ceci devrait être l’objet d’un débat avec les représentants de ce secteur totalement déprotégé.

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