L’art de faire de Karim Wade un héros Par Madiambal Diagne

Le gars se fait forger une étoffe de super-héros. Il se pavane en prison, joue au grand duc en recevant ses visiteurs et s’efforce d’afficher un large sourire. L’homme se découvre avenant et cherche par tous les moyens à montrer à son monde qu’il ne subit pas les rigueurs de l’emprisonnement. Il voudrait se tailler un sarcophage et montrer qu’il est un roc. Il en rajoute une couche en taquinant : «Papa m’a déjà bien préparé à tout ça !» Pour autant, il ne trompe pas grand monde car en prison, on peut bien cacher ses états d’âme à ses visiteurs ponctuels, mais il arrive des moments de faiblesse dans l’intimité d’un cachot. A la prison de Rebeuss, les détenus appellent cet état de «blues» ou de faiblesse psychologique, «dafa cachot». Ils déploient alors des trésors de subterfuges pour redonner le moral à leur codétenu. Karim Wade n’échappe pas à la règle. Le héros fait sourire les mâtons quand il se rend à la rencontre de ses visiteurs avec, sous le bras, un gros dossier, une chemise grisâtre remplie de paperasses qu’il n’ouvre jamais. Il a la voix haute. Il clame urbi et orbi que son dossier d’accusation est vide et qu’il a avec lui toutes les preuves de son innocence. Un de ses visiteurs de dire : «Avec son aplomb, soit il feint de ne pas prendre la mesure de ce qui lui arrive ou bien il n’a pas encore grandi.»
Karim Wade se taille une étoffe de héros en prison. Seulement, son attitude peut paraître prémonitoire. En effet, ses adversaires travaillent inconsciemment à le faire passer du statut d’ennemi public numéro 1 à celui de héros national. Tant ils multiplient les erreurs, les bévues et les maladresses dans la conduite de la procédure judiciaire. Le dossier judiciaire est en passe d’être totalement décrédibilisé.
Quatre mois après son incarcération par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Karim Wade attend encore d’être entendu sur le fond des faits qui lui sont reprochés, encore plus d’être confronté à un quelconque témoin ou coinculpé. L’urgence semble avoir juste été de le jeter en prison et de vaquer à d’autres occupations. Cette longue attente pour diligenter des actes de procédure pour une information judiciaire, qui était présentée ne devoir durer que six mois, laisse croire à des atermoiements ou une  carence de preuves à lui opposer. «Il ne perdrait rien pour attendre», souffle-t-on du côté des magistrats. Seulement, ces derniers, comme pris par un démon, donnent à Karim Wade, par leurs derniers actes dans cette procédure, des moyens de défense inespérés. Dans ces mêmes colonnes, nous avions révélé les péripéties de la désignation de Papa Alboury Ndao du cabinet Rma comme administrateur provisoire de la société Dp World. L’accusation avait présenté Dp World comme faisant partie du patrimoine de Karim Wade. Mais l’administrateur provisoire aura fait montre de maladresses et de cupidité au point de se décrédibiliser et pousser les autorités judiciaires à le révoquer suite à la clameur suscitée par les publications du Quotidien. Exit donc Papa Alboury Ndao ! Mais quels dégâts n’aura-t-il pas causé en deux mois de présence à Dp World, à la crédibilité de la procédure judiciaire et surtout à celle des magistrats en charge de l’enquête ? Les supputations vont bon train quant à la destination de la bagatelle de 150 millions de francs retirés des caisses de Dp World par l’administrateur provisoire au motif de «frais d’investigations». On ne nous dira quand même pas que c’est Dp World qui financerait les  frais d’enquête de la Commission d’instruction ou du Parquet spécial de la Crei ? Le cas échéant, forfaiture ne pourrait être plus grande et les magistrats en seraient discrédités. Le ministre de la Justice ne saurait laisser persister la suspicion qui entoure cette affaire et devrait en saisir l’Inspection générale de l’administration de la justice (Igaj).
A peine cette polémique lancée qu’une autre turpitude, aux forts relents de micmacs et de combines, surgit pour encore être en passe de vider l’enquête judiciaire de toute la crédibilité qui lui restait. La Commission d’instruction n’a pas la main heureuse en matière de choix des administrateurs provisoires désignés à la tête des entreprises dont la propriété est imputée à Karim Wade. Dans notre présente édition (voir en pages 2, 3 et 4), nous révélons le mauvais choix porté sur le cabinet Add -Value Finance pour diriger la société Ahs. La Crei n’a rien trouvé de mieux que d’aller chercher une filiale d’une société offshore basée aux Iles vierges britanniques pour gérer Ahs. Que le destin de la société de Bibo Bourgi et Karim Wade (?) est lié aux Iles vierges britanniques ! Plus grave, en saisissant la Commission d‘instruction d’une requête de révocation de l’administrateur provisoire, les avocats de Bibo Bourgi portent l’accusation têtue de connexions troublantes entre certains magistrats de la Crei avec l’administrateur provisoire. Cette affaire va fatalement décrédibiliser l’enquête sur le volet Ahs. Que resterait-il alors du dossier Karim Wade si on passerait à pertes et profits les sociétés Dp World et Ahs ?
L’Etat du Sénégal ne mérite pas une telle déconvenue et force est de dire que le ministre de la Justice, Aminata Touré, et le Président Macky Sall, qui se sont personnellement engagés dans la traque des biens mal acquis, ne mériteraient pas non plus que Karim Wade passe entre les mailles des filets de la justice à cause de turpitudes et de la cupidité de certaines autorités judiciaires. Ils ne méritent pas d’être les dindons de la farce. Les offres de collaboration de certains services de l’Etat comme le fisc et les douanes ont été ignorées par les magistrats de la Crei. C’est leur droit, mais la tournure des choses semble leur donner tort. Ce scénario est inacceptable et l’Etat devra prendre ses responsabilités. Il serait en effet trop facile que de tels errements restent impunis.