CHRONIQUE DE L’IMPROVISTE
La vie de Maître est un feuilleton dont il est le héros. Et ce feuilleton permanent ne peut se passer d’héroïnes. Notre président est un homme qui s’est fait le chantre de la promotion des femmes. Plus encore que n’importe lequel de ses prédécesseurs. De la nomination de Mame Madior Boye (dont il a dit qu’il ne la craignait pas parce qu’elle ne lorgnait pas son fauteuil) à la loi pour la parité absolue (qu’il n’a pas pu/su respecté en nommant son nouveau gouvernement), en passant par la création du poste de Vice-présidente de la République (qui devait être occupé par une femme et qu’on attend depuis deux ans) dans le jardin fertile qui est l’imagination de Maitre, a poussé un navet.
Dans ce film « au féminin » qu’il nous projette, rien de bien folichon à l’image. Sauf des trucages qui font mal à l’œil, style « effet œil de bœuf », une pellicule qui ressemble à de la vidéo, un artificiel épouse l’effet théâtral voulu. Les scènes regorgent de figurants et le doublage rend les dialogues irréalistes (ou surréalistes) au possible. Le poste de Vice premier ministre en est le dernier exemple. Il y a toujours des mots d’hier pour contredire ceux d’aujourd’hui. Forts, vrombissants mais sans impact autre que leur vacarme contradictoire.
Depuis le 1er mai 2009, Maître n’a pas fini de composer un gouvernement et a fait chou blanc. Il rêvait de faire la parité. Il ne l’a pas fait ! Des mois à affoler quelques femmes à qui il avait promis un poste ministériel. A l’arrivée, le Chef de l’Etat a récupéré celles qui avaient adopté la stratégie de la bouderie, en étant presque certaines qu’une voiture officielle avec chauffeur viendra les chercher, tandis que l’une des toute nouvellement nommées vient de démissionner. En 2000, Marie Lucienne Tissa Mbengue, nommée ministre de l’Education nationale démissionnait au bout d’une semaine pour cause d’erreur de casting. Dix ans après, la semaine dernière une ministre démissionne parce qu’on venait de se rendre compte qu’on l’a nommée alors qu’elle était en situation de demande de stage. Toutes ces erreurs de casting relèvent-elles d’une incompétence, d’un cynisme ou d’une légèreté de Maître . D’où cette impression de ne rien discerner de ce qui se joue dans la vie publique, à travers d’opaques négociations où rougeoient des braises de conflits mal éteints. En cette arithmétique aux allures alternées de poker menteur et de maquignonnage se marchandent des postes et des postures. A l’heure de sa contrariété distinguée, on lit d’un sourcil morne, la déclaration de Madame Marie Thérèse Diédhiou, pleurnicher qu’une part du gâteau lui avait été promise, mais implore ses inconditionnels ne pas faire pétition sur la voie publique.
Le casting est presque parfait. Maître, mieux qu’un cinéaste a choisi ses femmes plus chatoyantes les unes que les autres. Elles accrochent la lumière et le spectateur, et occupent la scène de leur féminité démonstrative, dans cette société masculine, en perte de « re-pères », tout en revendiquant une compétence qu’on leur a trop longtemps déniée. Leur Père étant Maître, bien sûr
Maître n’est pas peu fier de sa palette et de son générique. Abdoulaye Wade se sent grandi lui, le premier chef de l’Etat sénégalais à avoir – presque – réussi la parité et la diversité au gouvernement. Un prodige en ce monde machiste de la politique. 12 ministres du sexe féminin sur les 41 que compte la dernière fournée gouvernementale, sans compter les ambassadrices, les consul(e)s, la Secrétaire générale de la présidence de la République, la futur vice-premier ministre. Il faut toutefois lui reconnaître qu’il marque ainsi, contre ses prédécesseurs, les Socialistes, en l’occurrence, censément plus féministes et incapables en leur temps, de propulser au sommet des personnalités du sexe dit faible en nombre, en variété et en responsabilités. Pour lui, le reste ne compte pas. Il faut respecter son scénario. Un point c’est tout. Du moment où il l’a fait, pourquoi donc s’interroger sur les critères où la télégénie importe parfois davantage que la compétence politique, sur la connaissance des dossiers, l’expérience des inexpérimentées ? La représentation politique, du moins son apparence, rejoint enfin la fiction qui s’impose comme réalité.
Mais cette féminisation n’est-elle pas un miroir trompeur ? Une féminisation, pour Narcisse, parce qu’il a compris qu’il n’est pas de médiatisation moderne de la politique sans femme. Ce n’est pas seulement lui qui fait le spectacle. Il doit aussi compter avec elles, tout en étant l’indispensable animateur, le guide des scènes à jouer.
Dès lors qu’on lui rappelle ses contradictions, comme sur le nombre pléthorique de ministres, Maître, vérificateur des poids, des mesures, et des nombres, chausse ses grosses lunettes (pour montrer qu’il a bien compté le nombre de ministres ghanéens) et tente de faire oublier ses gros sabots. Ceux qui l’écoutent peuvent être certains qu’il va énoncer une épaisse. Çà n’a pas raté. Au Ghana, le président ne peut pas nommer plus de 19 ministres. Le reste du gouvernement est constitué de 10 ministres régionaux, 2 ministres membres de son Cabinet et 4 qui ne le sont pas, tous secondés par des ministres-assistants. De sa bouche, sous les coups de trique d’une langue de bois aux faux chiffres, les « preuves » qu’il tente d’administrer, s’échappent comme elles peuvent, suscitant étonnement, rage ou franche rigolade. L’omniprésident a perdu cette omnipotence, celle des mots qu’il maniait en jongleur, en artiste, en avocat qui faisait croire à ses causes, la meilleure étant la sienne. C’est le nombre de ministre du gouvernement ghanéen qu’il appelle au secours d’un présent de confusion, d’une situation contradictoire. Hargneux dans une légèreté doublée d’une posture de matamore, il donna une réponse qui n’est pas une faute de goût, mais une faute professionnelle.
Cela ne l’empêche pas de continuer à dérouler un mauvais film, à compte d’auteur et d’acteur principal, chaque jour et à chaque occasion. Certains font la pause entre deux claps. Pas lui.
Le film de Maître a connu, avant sa version « féminin », une avant-première, version empire romain. Dans cet empire et en ces temps-là, pour assurer une paix sociale, en le maintenant hors du jeu politique, les empereurs offraient à leur peuple, les spectacles de l’arène. A cette époque, les jeux étaient d’une rare violence et le sort des gladiateurs laissé en partie au peuple, qui par ses hurlements, pouce en haut ou pouce en bas, tentait d’influencer l’empereur qui décidait de la vie du vaincu. Juvénal résuma ce que le peuple de Rome demandait à ses dirigeants en deux mots : « du pain et des jeux » (panem et circenses).
« Du pain et des jeux » et le peuple sera content. En décidant de consacrer un budget de 21 milliards de F Fcfa et en déclarant urbi et orbi qu’il n’y aura pas de délestages durant tout le temps de la Coupe du Monde, Maître et ses hommes par cette nouvelle ruse, ont pensé opérer un décervelage des Sénégalais, en leur offrant, des jeux à satiété. Au bout de quatre jours, même pas, la Sénélec est revenue à la situation « d’avant 21 milliards ». Des quartiers sont restés et journées et des nuits entières sans courant. Et c’était la faute …du vent. Comme les discours, comme les 21 milliards. Des jeux et des divertissements, ils en offrent peut-être. Mais le pain, quant à lui n’est pas ce qu’il devrait être. Il est rassis, souillé à chaque fournée, recouvert de mensonges, immangeable et par conséquent n’assure plus ses fonctions. En cuisine que fait-on du pain rassis ? Eh bien, soit il est transformé en chapelure, soit il est utilisé dans les farces ! Comme la Sénélec, comme le dernier remaniement ministériel qui a commencé depuis le 1er mai 2009 ! Sous forme de chapelure, elle est utilisée pour donner du croquant aux consommateurs à qui il est promis un mois de fourniture de courant sans discontinuer. Sous forme de farce, on nous annonce qu’il a fallu dépenser 21 milliards. Sans appel d’offre ? Autre farce en prime ? Samuel Ahmed Sarr est lesté du titre de ministre d’Etat, ministre de l’Energie, pour record de délestages….C’est pas courant !
Mais cette dernière farce de la société d’électricité est devenue une obscénité. Pour peu qu’on cherche à examiner objectivement le bilan « électrique » de Maître par rapport aux sommes astronomiques dont on nous dit qu’elles ont été investies depuis dix ans d’Alternance sans alterner le courant, on est bien obligé de reconnaître qu’au milieu de cette déglingue, il y a beaucoup de déclarations contradictoires, de coups de menton, de commissions, de mécontentements et d’aigreurs, un parfum de crise, de désastre.
L’humeur populaire est à la déprime pour cause d’hivernage avec les inondations, de manque d’électricité, de campagne agricole ratée, de projet de « dégraissement » de la fonction publique, de cdd presque institutionnalisé, de pauvreté de plus en visible…
La banlieue continue de susciter un intérêt que d’aucuns qualifient de suspect, eu égard à ce projet de recasement de 2500 familles à Sangalkam, en l’espace de 15 jours. La raison de l’inquiétude est aussi simple qu’évidente. Dakar n’a plus guère de surfaces non bâties ou en friche, et nos autorités dans leur boulimie foncière, ont les yeux rivés sur le patrimoine foncier non bâti ou non du pays. Or, la banlieue peut être une réserve de terrains propices à d’importantes opérations immobilières, soutenues, nous commençons à en avoir l’habitude, par une flibusterie financière.
Et si ce (mauvais) coup s’inscrivait dans la perspective wadienne de faire main basse sur les terrains desquels ils chasseront jusqu’au dernier, les Sénégalais qui ont eu le « mauvais » goût de s’installer là, pour les exiler dans de lointaines réserves, qui risquent de devenir des zones de relégation sociale… Ce qui est sûr, c’est que sur ces terrains « dégagés », des logements sociaux n’y seront pas construits.
Les dieux des jeux et du cinéma ne sont pas, ne sont plus avec Maître. Pourtant, il les a longtemps entraînés comme la foudre à la pointe de son épée. Aujourd’hui, l’illusion se dissipe. On ne regarde désormais que les trucs du prestidigitateur qu’on a déjà tant vus, et lui se rend compte qu’ils ne fonctionnent plus. Il nous a tant fait le coup du chapeau et du lapin nain qu’on voyait immense, quand la magie était là ! Les résistances se sont affirmées. Auparavant, cet ultrarapide courait devant l’événement, il le provoquait, maintenant il lui arrive, et de plus en plus souvent, de le subir. L’épisode du sondage publié par l’Institut Emergence est plein d’enseignements. L’effet fut saisissant, révélateur des états d’âme d’un pouvoir rongé par le doute et qui n’est plus proactif, mais réactif, chacun s’autoproclamant une forteresse pour « protéger » Maître et traversé par « l’amertume du pouvoir », ce sentiment trouble que le peuple ne le mérite pas à la limite, rageusement désabusé par l’ ingratitude (supposée) des peuples. Iba Der Thiam, s’est ému en déclarant « ce n’est pas possible ! », tandis que les autres de son clan se régalent de la zizanie semée le camp adversaire. Pourquoi ne serait-il pas possible que Maître soit battu (sous certaines conditions).
Certes, les sondages ne tricotent pas une opinion, mais ils peuvent aider, surtout quand le pouvoir fonctionne avec la communication pour pivot. En tous les cas, les « résultats » ont fait que çà coule à gros bouillons. Le pouvoir a été « soufflé » de découvrir un concurrent à Maître. Un concurrent aux semelles au vent qui court sans effort apparent. En tout cas, Macky Sall a marqué un coup, du moins dans les sondages. . Pour Maître, qui il y a dix ans, avait conquis tous les pouvoirs, y compris celui de faire croire qu’il en détenait davantage que tous ceux qu’il avait en main, une majorité absolue à l’Assemblée nationale, des députés à sa dévotion, des gouvernements à sa botte et des Premiers ministres sous les talons, une opposition au tapis et des médias en pâmoison, c’est vrai que le réveil peut être brutal. C’est ce qui arrive quand un « souverain » est déchu des têtes.
Quand une aussi grosse tuile vous tombe sur la tête, c’est que le toit est mal fichu, que l’architecture de la maison est de guingois, que les murs sont de travers, et les fondations à revoir. Pour l’instant, Maître tente de repeindre les murs et s’accroche, après que la presse se soit interrogée sur un « trou » de 20 milliards, au téléphone portable 3G+ de Expresso en qualité de premier Vrp de Sudatel. Bientôt, tout le gouvernement en sera doté dit-il, et ce sera pour lui, l’occasion de parler et de voir en même temps, ses ministres quand il leur parlera. Pauvres d’eux ! Déjà hypnotisés et scotchés par le tourbillon que donnent les idées et projets de Maître, ils auront la tête à l’envers. Quand ils en ont encore une. Les Sénégalais eux, sont vite passés du bleu au noir, tellement les valeurs de l’Alternance ont valsé dans le tableau : d’un grand élan démocratique à la téléphonie mobile ! C’est ce qu’on appelle une « démocrassouille ».
Les courbures d’échine ont-elles empêché de voir cette privatisation de la République, cet accaparement au profit d’une frange des intimes, et ce projet de « démocratie héréditaire » ? défendu par quelques uns qui enfoncent chaque jour un peu plus le fruit si béni des entrailles de Maître ? Népotisme, vision monarchique du pouvoir. Les critiques tombent comme la grêle. Mais les yeux rivés sur le guidon de ses propres intrigues, par le spectacle de sa propre vie, le Palais vit en dehors du monde.
Le peuple qui l’observe le perçoit comme la patrie d’une multitude de parasites cupides, un lieu où s’épanouissent toutes les turpitudes, un gouffre des finances publiques. Les citoyens sont enserrés par un pouvoir omnipotent, qui, comme les tentacules d’une pieuvre géante, l’étouffe. Les adjectifs et les qualificatifs importent peu aujourd’hui parce que tous les signes d’un sombre avenir de la population sont hélas, bien présents : précarité, chômage, inondations, que Maître survole dans son hélicoptère dans ses déplacements, surlignés par d’indécentes symétries d’en haut, où l’ostentation d’une richesse incivique insulte tous les jours la République.
Obligés de renoncer brutalement aux sentiments d’exception qu’ils nourrissaient, ils sont saisis d’un haut-le-coeur devant l’avenir qui s’offrait à eux, devant, es synthèses souvent médiocrement opérées entre les proclamations initiales et la politique à la petite semaine, entre l’Etat irréprochable et la République discutable, entre un humanisme international vanté (on attend encore les Haïtiens) et les tristes pantalonnades.
Tout en ayant l’impression d’assister à ses propres funérailles, alors qu’il ne veut pas mourir le peuple exige de plus en plus leur place dans le débat public et s’impose ses marques pour que l’Etat démocratique, celui qui porte les intérêts généraux, existe. Pour y arriver, il s’organise, se regroupe, débat, et s’engage. Pour qu’à terme les bandits soient empêchés de perpétrer leurs forfaits et soient arrêtés quand ils le font. C’est exigeant ? Oui ! Mais c’est le prix.
sudonline.sn