Manifestation à Tunis vendredi 15 janvier
Le 14 janvier 2011, le Maghreb a connu un moment historique : le départ d’un dictateur pour le Tunisien et d’un Président respectable pour les pays occidentaux, dont la France, car le Président Ben Ali était le rempart idéal contre l’islam fondamentaliste. Ben Ali était perçu comme respectable par les occidentaux car il y avait émergence d’une classe moyenne, un tourisme florissant, une gouvernance autoritaire.
L’Occident avait oublié une chose : le pays était cadenassé par le clan Ben Ali, sa belle-famille et tous les obligés du parti politique unique qui vivaient sur le dos et le labeur des Tunisiens. Le problème des dictatures est qu’elles ne savent pas d’où peut venir l’incendie qui peut renverser ceux qui les dirigent. En Tunisie, c’est le sous-emploi des diplômés, c’est la pauvreté des diplômés tunisiens, c’est le ras-le-bol de la population tunisienne pour une société soumise aux ordres d’un seul homme et de son clan.
L’Occident avait oublié une chose : le pays était cadenassé par le clan Ben Ali, sa belle-famille et tous les obligés du parti politique unique qui vivaient sur le dos et le labeur des Tunisiens
Lucien Pambou
La faute supplémentaire de Ben Ali a été d’interdire à un diplômé Bouazizi d’essayer de vendre à la criée pour nourrir sa famille. Le résultat ne s’est pas fait attendre : Bouazizi s’est immolé par le feu le 17 décembre criant sa haine à un gouvernement qui ne reconnait pas ses diplômés. Voilà la faute suprême de ben Ali qui a imputé cet acte à l’opposition et à l’intégrisme musulman.
Fouad Mebazaa, président du parlement assure désormais le pouvoir par intérim
Ben Ali a accumulé les erreurs en termes de communication (prestation télévisée sur la baisse des prix, promesse de ne pas se représenter en 2014, limogeage du Ministre de l’Intérieur, couvre-feu), autant d’actions désordonnées pour un Président qui voulait reprendre la main. La Tunisie ne pleurera pas son départ. Paris fait de Ben Ali l’ami traditionnel une « personna non grata » (tous les dictateurs d’Afrique noire doivent s’en souvenir), la France ne défend que ses intérêts du moment et en fonction de la conjoncture politique.
La conjoncture politique actuelle est celle du peuple tunisien et la France demande des élections libres et démocratiques. Le Président du Sénat Foued Mebazaa assume le pouvoir par interim après que le Premier Ministre Ghannouchi ait voulu prendre de vitesse les institutions. En venant en France, Ben Ali aurait posé des problèmes juridico-politiques au gouvernement français, ce qui a obligé l’Elysée à ne pas l’accepter sur le sol français.
A quoi est due la révolte tunisienne ? A la mobilisation d’un peuple qui est d’abord fier de son appartenance tunisienne, qui a un niveau d’éducation élevé et qui est mobilisé par les principes coraniques et de l’Islam du vivre-ensemble. L’Islam en tant que religion unit et favorise la mobilisation en permettant aux individus de dépasser la peur. Il y a des Tunisiens natifs de Souss, de Hammamet et d’autres contrées, mais ils sont d’abord tunisiens, car il faut se souvenir qu’avant que la Tunisie soit sous protectorat et colonisation française, les principes républicains étaient déjà à l’œuvre dans ce pays.
De nouvelles élections peuvent-elles signifier la fin de la dictature, sachant que pendant une vingtaine d’années Ben Ali a mis en place une dictature, écartant les partis de l’opposition qui restent en exil, soit cachés ou clandestins dans leur propre pays, soit à l’étranger. Faire des élections démocratiques en Tunisie est une bonne chose, à condition qu’on laisse la possibilité aux partis exilés de revenir d’y participer. A défaut, le départ de Ben Ali n’aura servi à rien.
La révolution tunisienne est-elle possible en Afrique noire francophone ?
Tous les éléments de corruption, comme en Tunisie, sont présents dans l’actualité africaine. On parle de certains Présidents qui auraient acquis des biens de façon frauduleuse. Certains de leurs enfants ou neveux utilisent l’argent du pétrole pour occuper des suites à l’année dans la capitale française avec Porsche et Mercedes Classe S, pendant que les populations d’Afrique noire francophone, mais surtout centrale, ne mangent pas à leur faim, sont déscolarisées et vivent dans un dénuement total.
Une telle révolution est-elle possible en Afrique noire francophone ? La réponse est ambigüe car, sur le plan sociologique, l' »ethnicisation » des rapports, la corruption, la recherche de l’argent facile, la déscolarisation et la régression de l’enseignement, l’acceptation de la fatalité par les populations noires, la faible mobilisation sur le plan religieux du fait de la diversité des religions, alors qu’en Tunisie la religion dominante est l’Islam, la mascarade d’élections démocratiques pilotées depuis Paris ou depuis Bruxelles, sont des éléments de non-mobilisation pour décider le départ des dictateurs que seule la mort peut arracher à leur fauteuil présidentiel.
Sur le plan politique, on a assisté à des contestations au Mali (contre Moussa Traore), en Guinée (contre Camara Dadis), au Niger une révolution de palais tout comme en Mauritanie, mais les régimes politiques qui ont succédé de manière entropique reprennent les comportements des gouvernements que l’on a mis à la porte en laissant toujours les populations dans un dénuement extraordinaire.
La révolution tunisienne n’aura de valeur que si la fin de la dictature de Ben Ali n’est pas remplacée par une autre dictature « démocratique ». Les peuples d’Afrique noire francophone qui souffrent, car spoliés par leurs propres dirigeants, dont les familles, les clans ethniques proches, les neveux et fils vivent comme des nababs dans les capitales occidentales (Paris, Londres, New-York, Genève, …), sauront-ils méditer la révolution tunisienne et réagir ? Les peuples tous seuls ou ensemble avec des dirigeants non corrompus ?
Autant d’éléments de réflexion pour une éventuelle importation de la révolution tunisienne en Afrique noire francophone.
Lucien Pambou
grioo.com