Le petit pays qui voit grand (2). 2019 a été décrétée « année du retour » par le président Akufo-Addo : une invitation aux descendants d’esclaves à rejoindre la terre de leurs ancêtres.
« Lorsque j’ai posé le pied pour la première fois au Ghana, je me suis dit que j’étais de retour à la maison. » Britannico-Jamaïcain de 62 ans, Trevor Watson a décidé en 2016 de quitter Londres – une « ville de fous » – pour aller vivre au Ghana.
« Mon frère a toujours été impliqué dans le mouvement panafricaniste. Il lisait beaucoup Marcus Garvey [militant noir du XX? siècle, précurseur du panafricanisme], et il m’a souvent parlé du retour sur le continent des descendants d’esclaves », précise ce retraité de la fonction publique hospitalière. « Au Royaume-Uni, j’étais victime de racisme. On me fouillait souvent lorsque je sortais des magasins. Cela a motivé ma décision de partir », avance-t-il, avant de préciser dans un grand éclat de rire qu’au Ghana, au moins, il se « fond dans le décor ».
Trevor Watson n’est pas un cas isolé. Il n’est pas le seul à avoir entendu l’appel du président ghanéen, Nana Akufo-Addo, qui a décrété 2019 « année du retour ». Une façon d’inviter les membres de la diaspora, qui vivent outre-Atlantique ou en Europe à venir visiter le pays, voire à s’y installer. D’autant que cette terre qui borde l’océan n’a pas oublié son histoire et la met en valeur aujourd’hui.
« J’ai su que je ne pourrais pas repartir »
Le Ghana, petit pays d’Afrique de l’Ouest, a été durant plusieurs siècles la plaque tournante du commerce d’esclaves à destination du nouveau monde. Selon les estimations, entre 12 et 15 millions de femmes et d’hommes ont été embastillés entre les XVe et XVIIIe siècles dans des forts le long de l’océan Atlantique, avant d’être conduits vers les Amériques ou dans les Caraïbes. En 1957, le Ghana est le premier pays d’Afrique subsaharienne à obtenir son indépendance avec à sa tête Kwame Nkrumah, un fervent panafricaniste.
« Le chef de l’Etat était à la recherche de personnes qualifiées pour construire le pays et il s’est tourné vers la diaspora », précise Jamila Hamidu, enseignante à Science Po Bordeaux et spécialiste des diasporas africaines. La pratique est donc bien ancrée dans l’histoire.
A l’époque, des personnalités, à l’image de Mohamed Ali ou de Martin Luther King, font le déplacement. Mais également des chercheurs, comme la famille de Nayaa Lacy. « Mes parents, tous deux historiens et proches des Black Panthers, ont répondu à cet appel », souligne-t-elle. Sa famille est contrainte de quitter le pays en 1966, à la suite du coup d’Etat contre le président Nkrumah. Nayaa Lacy grandit alors à Oakland, sur la côte ouest des Etats-Unis. Mais les violences policières envers la communauté afro-américaine et la mort par balles de son beau-fils de 14 ans poussent la quinquagénaire au départ.
« Je suis née à Accra en 1965 et je me suis toujours dit que j’y retournerais. Dès qu’il y avait plus de deux personnes à la maison, mes parents ressortaient les diapositives de leur séjour au Ghana et ils en gardaient une grande nostalgie », précise-t-elle, des boucles à l’effigie du continent africain accrochées aux oreilles. Elle aura cette opportunité en 2013. « J’avais prévu de rester trois mois mais, dès que je suis arrivée, j’ai su que je ne pourrais pas repartir. J’ai été submergée par une telle émotion que j’ai su avoir pris la bonne décision »,témoigne-t-elle.
Une intégration difficile
Avec quelques économies, elle s’est installée à East Legon, un quartier couru de la capitale. Trevor Watson a de son côté fait le choix des grands espaces d’Oyibi, une ville située à environ une centaine de kilomètres au nord d’Accra. Tous deux se sont rendus à Cape Coast, une ville qui borde l’océan, où se trouve un fort classé au patrimoine de l’humanité qui a servi de lieu de transport des esclaves vers les Amériques. C’est ici que se trouve la Porte du non-retour, symbolisant le dernier moment où les esclaves ont foulé le continent africain. En 2009, lors de sa visite dans le pays, le président américain Barack Obama avait évoqué un lieu de « tristesse profonde ». « J’ai été malade durant cette visite. Je pouvais physiquement ressentir ce qu’ont vécu mes ancêtres », déclare Nayaa Narcy, les larmes aux yeux à cette évocation.
Au Ghana, le mouvement de rapatriement des « returnees » a pris son essor au début des années 2000. Le pays connaît alors une forte croissance économique et une stabilité politique. « Certains sont venus pour faire du tourisme ou des affaires. Chez une partie de cette diaspora, il y a aussi une quête des racines », précise Jamila Hamidu. Mais pour ceux qui décident de s’installer définitivement, l’intégration peut se révéler difficile. « Les Ghanéens ne comprennent pas que l’on quitte un pays riche pour venir vivre au Ghana, l’un des plus pauvres de la planète. De nombreux habitants voudraient tellement faire le chemin inverse. Dans la rue, les gens m’appellent souvent “obroni” [terme twi utilisé pour désigner les étrangers]. Il n’est pas facile de se sentir pleinement intégré dans la société »,souligne Nayaa Lacy.
Les « retournées » se heurtent aussi inévitablement à la lourdeur de l’administration ghanéenne, même si, depuis 2000, une loi leur permet d’obtenir plus facilement titres de séjour et passeports. Mais dans les faits, cela reste difficile. « Il faut pouvoir justifier cinq ans de résidence continue dans le pays et débourser 6 000 cedis [environ 1 000 euros] et l’on se heurte le plus souvent à la bureaucratie »,témoigne Trevor Watson. « Mais je n’ai pas besoin de ce papier, c’est cela mon passeport », souligne-t-il dans un grand rire en pointant la couleur de sa peau.
Le monde
Le Ghana lance un appel aux membres de sa diaspora
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