Le monstre est vivant ! par Bacary Domingo Mane

Notre capacité d’indignation s’est émoussée face aux agressions multiples dont Me Wade, chef d’Etat d’alors, était l’auteur. Celui qui avait fini par transformer le palais de la République en une Permanence pour son parti. Il avait malmené la République dans ce qu’elle a de sacrée. Iconoclaste, il éprouvait un malin plaisir à détruire tous les symboles et du coup, à lever le voile sur ce qui fait le charme du pouvoir : son côté mystère. Et cela avait fait mal à tous ceux qui sont attachés aux valeurs républicaines. La sanction n’a pas tardé : Wade a été balayé du palais. L’arrivée au pouvoir de Macky Sall, le 25 mars 2012, a suscité tous les espoirs, avec cette demande, forte, de rupture.

Mais le méga meeting organisé hier, au palais de la République prouve que le «monstre est vivant». Macky Sall plagie… maladroitement Wade. Ce dernier se contentait tout au plus de la seule salle des banquets pour organiser ses rencontres politiques. L’actuel président de la République lui, occupe l’esplanade du palais, en se mettant dans la peau du père noël qui reçoit des remerciements après le «cadeau» fait aux femmes qui ont désormais la possibilité de donner la nationalité à leur conjoint ou enfants. La maîtresse d’œuvre de cette manifestation, Mariama Sarr, ministre de la femme, par ailleurs responsable de l’Alliance pour la République (Apr), parle de «manifestation improvisée» qui a pu être organisée, dit-elle, grâce à la «complicité» de Souleymane Jules Diop. Elle semblait savourer son «exploit» de réussir une telle manifestation sans aucune préparation. N’importe quoi !

Nous pensions, naïvement, que ces pratiques n’étaient qu’un mauvais souvenir. Que non. D’ailleurs, il y a quelque chose qui dérange dans ce geste des femmes venues «remercier» le Chef de l’Etat pour le vote de la loi leur permettant désormais de donner la nationalité à leur conjoint ou enfants. Cela rappelle le mauvais souvenir d’un pouvoir législatif au pas et au service d’un président de la République. Dans une démocratie qui ne marche pas sur la tête, ces femmes auraient pris la direction de l’Assemblée nationale pour remercier les députés. Elles n’auraient même pas besoin de le faire, parce que cela entre dans l’ordre normal des choses. Cette attitude des femmes nous fait penser à certains clichés que l’on croyait définitivement effacés avec l’avènement de la réalité genre et l’application de la parité. Des femmes «s’agenouillant » devant le «chef», cette image renvoie, à bien des égards, à celle du roi héréditaire devant ses sujets. Non, on ne rêve pas. Ca se passe, en direct, svp, au palais de la République, 48h après le départ du Président américain, Obama.

Mariama Sarr est libre de faire sa promotion politique pour plaire au Prince, mais de grâce, épargnez la République qui est au-dessus des contingences et des calculs d’épiciers. Le Président Macky Sall a fort à faire face à une opinion de plus en plus exigeante, pour se laisser entraîner dans cette farce de mauvais goût. Vous avez la lourde et délicate mission de relever la République que Wade a fini par mettre à terre. L’on ne vous pardonnera pas de l’enfoncer dans les eaux bouilleuses de l’insouciance. Malheureusement, il y a des signes qui ne trompent guère.

Hier, les images d’un gouvernement qui danse ont fait irruption dans nos lugubres salons de «gorgorlou» peinant à assurer la dépense quotidienne, aujourd’hui c’est l’esplanade du palais qui abrite une manifestation aux allures d’un méga meeting, et demain.. Il y a tellement de choses à faire pour ce pays, que des secondes, voire des heures, consacrées au futile, est un crime.

Stop.