La guerre des chiffres relative à la « campagne de collecte de signatures », dans le cadre du parrainage citoyen doit inciter nos concitoyens à la plus grande prudence. Au prime abord, il convient de ne pas dénaturer le sens du parrainage citoyen, en évitant de lui donner une signification qu’elle n’a point.
1. Le parrainage citoyen n’est pas un suffrage exprimé en faveur d’un candidat
Le parrainage citoyen est un mécanisme de présentation d’une candidature à une élection, fondé sur le principe de représentativité. Depuis la loi constitutionnelle n°2018-14, adoptée par l’Assemblée nationale le 19 avril 2018 et promulguée le 11 mai 2018 instituant le parrainage intégral au Sénégal ; tout candidat aux présidentielles doit être présenté par les citoyens électeurs, dans une fourchette comprise entre 0,8% et 1% du fichier électoral. Juridiquement, la présentation n’est pas un soutien, mais un acte démocratique destiné à filtrer les candidatures. Au Sénégal, le vote n’est pas obligatoire. L’article 3 de la Charte suprême ne souffre d’aucune ambiguïté : « Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi ». En clair, chaque citoyen sénégalais majeur dispose du Droit de Vote et de la faculté d’user ou de ne pas user de ce Droit fondamental (un choix personnel). Parce que le vote n’est pas obligatoire au Sénégal, un citoyen électeur peut parfaitement estimer qu’un candidat X remplit les critères (moralité, charisme, leadership…) pour briguer la magistrature suprême, et se contenter de le parrainer. Primo, il n’y a aucune obligation légale pour le parrain de voter le 24 février 2019, et deuxio, aucun dispositif juridique n’oblige le parrain à voter pour celui qu’il a parrainé. En effet, un électeur peut parrainer un candidat X, pour des raisons diverses (pression politique ou familiale, contrainte alimentaire (bourses familiales), achat de signatures, etc…) et voter pour un autre candidat Y, le jour du scrutin. Il n’y a aucun lien entre le parrainage et le vote, dans la mesure où le parrainage n’est pas un suffrage en faveur d’un candidat. Par conséquent, Il convient de relativiser la portée des chiffres fournis au titre du parrainage citoyen. Surtout dans un pays comme le Sénégal, où une bonne partie de la population vit sous le seuil de la pauvreté, et où une campagne de collecte de signatures peut très vite se muer en une campagne de corruption (la preuve a été donnée par le Maire de Touba, pris en flagrant délit de corruption active, qui proposait un montant de 50 000 F CFA pour chaque signature collectée).
2. Le parrainage ne détermine ni l’ordre d’arrivée, ni le rapport de forces entre candidats
L’élection présidentielle de 2017, qui s’est déroulée en France démontre, si besoin en était, que le parrainage ne préjuge pas du vote des électeurs. Lors de ce scrutin, le Conseil Constitutionnel a validé la candidature de 11 candidats, parmi lesquels figurent les 5 candidats suivants : François Fillon : 3625 parrainages, Benoit Hamon : 2639 parrainages, Emmanuel Macron : 1829 parrainages, Jean Luc Mélenchon : 809 parrainages, Marine Le Pen : 627 parrainages. Les 2 candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de parrainages (François Fillon « LR » et Benoit Hamon « PS ») ont été, pour des raisons diverses, éliminés dès le 1er tour ; les français ayant jeté leur dévolu sur un candidat qui incarne la nouveauté (Emmanuel Macron) et la candidate populiste du Front National. Pour la petite histoire, la candidate communiste, Nathalie Arthaud qui a obtenu le piètre score de 0,6% au 1er tour, disposait de 637 parrainages, alors que Marine Le Pen qualifiée au second tour de la présidentielle n’a obtenu que 627 parrainages. Cherchez l’erreur ! Quittons maintenant la France pour la République Tchèque qui réalise un parrainage mixte (parrainage des élus et parrainage citoyen), et où pour se présenter au scrutin présidentiel, tout candidat doit recueillir le parrainage d’au moins 20 députés, ou 10 sénateurs, ou les signatures de 50 000 électeurs. Lors de l’élection présidentielle de 2018, le candidat Jiri Drahos, qui a bénéficié du plus grand nombre de signatures d’électeurs (141 234) a été battu à plate couture par le candidat Milos Zeman. Il faut donc savoir raison garder, et dissocier le parrainage du Vote. En matière d’élection, la seule réalité tangible, avérée, est celle des urnes, le Jour J. Or, depuis quelques temps, les partisans du régime tentent de transformer la campagne de collecte des signatures en une campagne « plébiscitaire » pour le futur candidat, Macky SALL. Certains s’épanchent dans les médias, et signalent avoir déjà obtenu X milliers de signatures, dans telle ou telle localité. L’étalage de chiffres entre dans le cadre d’une campagne de communication et de manipulation de l’opinion, car d’une part ces chiffres n’ont fait l’objet d’aucune vérification par une instance impartiale et indépendante (le parti présidentiel diffuse ses propres chiffres) ; et d’autre part les médias n’ont pas reçu le fichier correspondant, avec l’identité complète des signataires, permettant de confirmer la véracité desdits chiffres. A ce stade, les chiffres fournis par le pouvoir en place relèvent du « DECLARATIF ».
Le parrainage n’est ni un concours de beauté, ni une course à l’échalote. Personne (ni même le Conseil Constitutionnel) n’est en mesure de prouver que les centaines de milliers de parrains annoncés par le régime sont réels. Qui sait si les millions de signatures publiées à l’issue de la campagne de collecte pour Macky SALL ne sont qu’une simple extraction du fichier électoral détenu par le Ministre de l’Intérieur qui déclare publiquement agir pour la réélection de son candidat ? En réalité, ce qui importe pour les candidats et particulièrement ceux de l’opposition, c’est de disposer du nombre requis, tout en disposant d’une marge suffisante (au minimum + de 50% du taux exigé), en cas d’invalidation de signatures pour des motifs fallacieux. Pour des raisons stratégiques, les candidats de l’opposition doivent, à l’issue de la campagne de collecte, se contenter de déclarer que l’objectif est atteint ou largement atteint. Fournir des chiffres est à la fois dangereux et contreproductif, car c’est donner l’opportunité au régime de « situer le niveau de chaque candidat, et de pouvoir planifier au mieux le nombre de signatures à invalider ». Il y a donc lieu de ne pas tomber dans le piège de la guerre des chiffres qui fait le jeu du pouvoir.
3. Sensibiliser les parrains sur la portée civique (et non électorale) de leur acte
La compétition aux présidentielles est un moment démocratique majeur qui ne doit laisser place à aucune forme de désinformation. Pour éviter que le parrainage citoyen soit détourné de sa finalité, une campagne de sensibilisation doit être menée par tous les acteurs (partis politiques, société civile, et médias) sur la portée de cet acte, en lui ôtant toute dimension électorale. De nombreux collecteurs (principalement du camp présidentiel) en quête de signatures profitent de la détresse d’une catégorie de nos concitoyens, et versent dans la manipulation, en établissant un lien entre le parrainage et l’obligation de voter pour le parrainé. De telles informations sont totalement fausses, et dénuées de tout fondement juridique.
4. De nombreuses questions en suspens
En orientant volontairement le débat sur la campagne de collecte des signatures pour préfigurer un rapport de forces artificiel lors du scrutin du 24 février 2019, le régime esquive les questions de fond non résolues dans le cadre de la mise en œuvre du parrainage, telle que prévue par la Loi n° 2018-22 du 04 juillet 2018 portant révision du Code électoral :
– L’incapacité technique de l’administration d’authentifier les signatures des parrains,
– La lancinante question des doublons : dans le cas où un électeur parraine plus d’une candidature, seul le parrainage sur la première fiche contrôlée, selon l’ordre de dépôt est valide. Or, dans un scrutin, lorsqu’un électeur glisse dans l’urne une enveloppe contenant 2 bulletins, avec des candidats différents, le vote est déclaré nul,
– Le contrôle du parrainage est exercé dans les faits, par le Ministère de l’intérieur dont la neutralité est mise en doute suite aux propos scandaleux et partisans du Ministre de l’Intérieur, militant de l’APR,
– Les mandataires disposent d’un délai extrêmement court (48 heures) pour régulariser les parrains invalidés, suivant l’article L.121 du code électoral,
– Le Conseil Constitutionnel est dépouillé d’une partie de ses prérogatives et réduit à une simple boîte à lettres, au détriment de la commission nationale de validation provisoire des dossiers de candidature et de recensement des votes,
– Les 7 Sages doivent statuer sur les recours portant sur les fiches de parrainage invalidées, alors qu’ils ne disposent d’aucune expertise technique pour authentifier les signatures. Plus grave, le Conseil Constitutionnel est contraint de saisir les services du Ministère de l’Intérieur qui ont invalidé les fiches sur lesquelles portent le recours !
En définitive, le parrainage citoyen n’est ni une caution, ni un engagement à voter pour un candidat. Le citoyen électeur jouit d’une liberté totale et dispose de 3 options : 1- voter pour le candidat qu’il a parrainé ; 2- s’abstenir de voter le 24 février 2019 ; 3 – Voter pour un candidat différent de celui qu’il a parrainé. Obtenir des centaines de milliers, voire des millions de signatures ne prémunit pas un candidat d’une débâcle. Au Sénégal, une date a été retenue pour l’élection présidentielle : le 24 février 2019. Seul le résultat issu des urnes, ce jour-là, fera foi, à condition que le scrutin soit libre, transparent, sincère et démocratique. Tout le reste n’est que conjectures, propagande et vils calculs politiciens.
Seybani SOUGOU – E-mail : [email protected]
Le nombre de parrains ne determine pas l’ordre d’arrivee aux presidentielles de 2019
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