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Le partenariat UE-ACP a-t-il encore un avenir?  

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Il y a quelques mois, alors que je me préparais pour un voyage sur Bruxelles où je devais donner une communication sur le « Futur du Partenariat UE-ACP », un ami qui souvent a le don de tourner en dérision les choses les plus sérieuses, m’a demandé si je n’avais pas mieux à faire que de réfléchir sur une « coopération dont l’avenir est peut-être déjà dans le passé ». Son interpellation m’a passablement retourné. J’avoue cependant que même si je ne partage pas la radicalité de son pessimisme, je suis bien obligé de reconnaitre, dans le fond, que le partenariat UE-ACP n’a pas atteint la plupart des objectifs que les parties s’étaient assignées: la majorité des pays ACP est encore dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA), avec plus de la moitié de leur population en dessous du seuil de pauvreté, en dépit de l’aide financière  » massive » donnée par l’Europe;  leurs économies  n’ont connu ni la croissance ni la diversification attendues; les parts de marché des ACP en Europe ont chuté alors que les parts de l’Europe sur les marchés ACP ont fondu comme beurre au soleil.  

Si ceux qui s’intéressent à ce partenariat veulent encore lui donner des chances de se renouveler et d’être plus efficace qu’avant, il leur faudra se poser les bonnes questions et s’évertuer à y répondre sans faux-fuyants politico-diplomatiques. Pour ma part, la question que je leur pose est la suivante: « Dans un monde ouvert, complexe et qui change rapidement, qu’est ce qui peut encore relier une Europe transformée et agrandie à un groupe ACP dont les membres ne partagent presque rien à part le fait d’avoir eu le même colonisateur? »

La réflexion que je suggère ici peut sembler un brin provocateur. Mais je cherche seulement à sortir les décideurs et certains intellectuels du confort de leurs certitudes et leurs convenances, qu’ils aiment à se rappeler à l’occasion des conseils et assemblées conjoints et paritaires courus par des diplomates ayant fini de constituer des clubs d’amis par la force des choses.

La vérité est que le partenariat UE-ACP est prisonnier de son passé. S’il n’en brise pas les chaines, il n’aura pas d’avenir.

Le poids du passé.

En parlant du passé de la coopération UE-ACP, on doit en vérité reconnaitre que ces relations ont tellement été déterminées par l’UE que le terme même de coopération peut paraitre inapproprié. Peut-on en effet parler de coopération dans une relation fondamentalement unidirectionnelle et déséquilibré?

Un grand diplomate ACP m’a déjà répondu une fois que les pays ACP ont toujours été à l’initiative des conventions et partenariats établis dans le passé. Bien difficile à croire quand on sait que la plupart des privilèges obtenus par les pays ACP ont été octroyés par l’Europe dans le cadre de ses politiques préétablies et des négociations dont certaines n’ont servi qu’a déterminer les modalités pratiques de la mise en œuvre des programmes. Certes des circonstances historiques particulières sont à la base de la création du groupe ACP à Georgetown. Ces circonstances, bonnes ou mauvaises, ont forgé l’identité de ce groupe et déterminé la forme et le fond de la coopération qu’elle entretient avec l’Europe, avec elle-même et avec le reste du monde.

A tort ou à raison, de nombreux acteurs, y compris des ACP pensent que ce groupe n’existe que par et pour l’Europe. Qu’il n’a ni projet politique, ni projet économique, en dehors des avantages et préférences que l’UE lui accorde. Aujourd’hui, si on se pose des questions sur son futur, c’est en partie parce qu’il est communément admis que les rêves que l’UE avait conçus et mis en œuvre pour ce groupe n’ont pas pour l’essentiel atteint leurs objectifs. Jugez-en vous-mêmes:  

  • Les préférences commerciales non réciproques accordées au titre des conventions successives de Lomé n’ont permis ni d’accroitre les capacités productives des ACP, ni leur part de marché en Europe, ni leur part du commerce mondial, ni de diversifier les produits d’exportation. Bien au contraire, les pays ACP sont restés tributaires de quelques produits de base et confinés dans les niveaux primaires des chaines de valeurs;
  • L’accord de Cotonou a suscité aussi beaucoup d’espoir. Mais il a fini par donner l’impression que les pays ACP n’étaient intéressés que par l’accès aux ressources du FED, sans aucune volonté d’appliquer les principes liés à la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme et la démocratie. De son coté, l’Europe l’a aussi utilisé, bon an mal an, comme moyen de pression ou de chantage politique;
  • La fragmentation du groupe en régions pour les besoins de la négociation des APE a montré que le groupe ACP ne tient plus qu’à un fil, que représente son secrétariat à Bruxelles;
  • Enfin les difficultés liées à la négociation de l’APE et son rejet pendant plus de dix par la plupart des régions ACP montrent que ces pays s’évertuent à s’émanciper progressivement de la tutelle économique de l’Europe. On se souvient de la célèbre déclaration du Président Abdoulaye Wade en 2007 lorsqu’il disait  » si l’Europe n’a plus que la camisole de force des APE à nous proposer, on peut se demander si l’imagination n’est pas en panne à Bruxelles? »

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’échec relatif du partenariat EU-ACP. A partir de 1975, l’Europe a eu une stratégie pour les pays ACP, qu’elle a conçue peut-être sans eux. Elle a octroyé ce qu’elle a bien voulu donner et exiger les conditions qu’elle souhaitait. En 2000, elle s’est donné une  stratégie sur les pays ACP, conçue en réaction aux changements intervenus en son sein, dans le groupe ACP et dans le monde. Les exemples qui sous-tendent l’analyse que je fais ici concernent plus l’Afrique mais les commentaires peuvent être étendus au groupe ACP. En 2007, lors du Sommet UE-Afrique à Lisbonne, José Manuel Barroso avait reconnu:  » Nous avons toujours eu une politique pour l’Afrique« . Nous ferons maintenant une « Politique avec l’Afrique« . C’était malheureusement un peu trop tard car au moment où il le disait, les APE avaient fini d’ébranler en profondeur la confiance des peuples africains vis-à-vis de l’Europe. Cette plaie est loin d’être cicatrisée, même si certains leaders africains tentent de faire croire le contraire à leurs citoyens, souvent avec des arguments d’une grande faiblesse. Après plus de 12 années de négociation de l’APE, seuls les Etats des Caraïbes ont signé un APE complet. Aucune autre région ne l’a fait en tant que bloc, même si en leur sein, certains ont signé et ratifié. D’autres pays, et non des moindres, continuent de rejeter l’accord, avec des arguments souvent imbattables, arguant que les conséquences de l’APE sur leurs économies pourraient être relativement importantes. C’est le cas du Nigeria en Afrique de l’Ouest. Qui peut en vouloir à la première économie de l’Afrique de défendre ses intérêts stratégiques et son espace d’expansion naturel qu’est le marché ouest-africain?

Mais comprenons-nous bien. Je ne pense pas un seul instant que l’Europe est la seule responsable de cet échec. Je n’ai d’ailleurs jamais apprécié chez certains africains la posture consistant rejeter la plupart des leurs échecs sur les autres. La plupart des pays ACP ont été incapables d’opérer les réformes et ruptures nécessaires pour mettre en place une véritable dynamique de transformation. Le manque de leadership et de vision pour leur propre développement, la faiblesse des institutions et des mécanismes de la gouvernance, la corruption et bien d’autres fléaux ont aussi empêché toute possibilité de progrès dans de nombreux pays. Je dois cependant salué aussi, pour être équilibré, les progrès remarquables faits par certains pays dans les Caraïbes, le Pacifique comme en Afrique, qui ont montré que la bonne gouvernance peut être favorablement corrélée avec le progrès économique et social.

Il y a t-il un avenir pour le groupe ACP?  

Le groupe ACP est figé, sans ressources propres et prisonnier de son histoire, une histoire à tout point de vue orientée par la dépendance à l’aide multiforme de l’Europe. S’il ne change pas son ADN, qui est celui que l’Europe lui a donné, il aura aucune chance car l’Europe elle-même ne peut plus ou ne veut plus le porter indéfiniment à coup de milliards d’euros qui se perdent dans la mal gouvernance et l’enrichissement d’une élite politique.   

Le groupe ACP devra apprendre, sans délais, à vivre et à entreprendre selon ses propres visions.

  • Apprendre à vivre  sans les préférences commerciales.

Il est resté tributaire des rentes préférentielles octroyées par l’Europe. Or ces préférences commerciales du fait des accords bilatéraux européens mais aussi des méga-ACR disparaissent d’année en année ou s’érodent grandement. Il faudra donc conquérir des leviers de compétitivité qui ne soient plus seulement les accès au marché sans droits et sans contingents. Les pays ACP n’ont d’autre choix que de sortir de l’attentisme pour se reconstruire en investissant massivement dans la formation professionnelle pour se doter d’une main d’œuvre qualifiée,  l’énergie, les infrastructures ; etc.), préalable à leur industrialisation.

  • Apprendre à s’émanciper  de la tutelle économique et politique européenne et bâtir un partenariat ouvert et multipolaire.

Le premier acte de cette émancipation est de prouver que le groupe n’est pas un ensemble épars relié artificiellement par l’UE. Il doit démontrer la pertinence du projet Afrique-Caraïbe et Pacifique dans le monde actuel. Il lui faudra une stratégie intra-ACP dans laquelle les leaders du groupe montreront à leurs peuples qu’il ya du sens et de l’intérêt à être ensemble, à apprendre à mieux se connaitre, etc. Une fois son projet établi, le groupe ACP reconstruira son partenariat avec l’Europe en maximisant tout le potentiel de la coopération avec l’UE dans la cadre d’un partenariat fondé sur l’égalité et le respect des intérêts de chaque partie. Dans une seconde étape, il s’ouvrira à toutes les autres possibilités de partenariat économique pour tirer profit de l’ouverture et de la diversification des pôles de coopération dans l’espace économique mondial: ACP-BRICS, ACP-USA, etc.

Pour réussir cette mue, le secrétariat ACP devrait se donner les moyens financiers de porter au moins une partie des besoins institutionnels de ce projet par les ressources propres du groupe.  Elle devra aussi accroitre sa coopération avec les institutions d’intégration des Communautés économiques régionales pour suivre la marche de l’intégration dans ces régions et appuyer les efforts de co-apprentissage et de transferts d’expériences entres régions ACP. Avec un peu plus de courage, le secrétariat ACP pourrait même être délocalisé à Addis-Abeba, capitale de l’Union Africaine.

Dans l’espace ACP, certains pays ont développé des expériences et des modèles qui pourraient être d’une grande utilité à d’autres. Dans le cadre de la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire, les pays ACP pourraient développer des projets et programmes en profitant de leur grande diversité géographique, linguistique, sociale et culturelle. Un des domaines où tous « les 80 pays ACP pourraient trouver un intérêt commun, c’est celui de l’économie bleue, qui connaît actuellement une expansion spectaculaire. Evalué à près de 1.500 milliards, c’est le second secteur économique global, après celui de l’alimentation et de l’agriculture ». Un autre pourrait être le tourisme, les énergies renouvelables, etc. L’Europe, j’en suis sûr, gagnerait alors plus à supporter ces changements indispensables qu’à s’y opposer.

 

Au total, l’horizon qui s’ouvre vers 2020, date de l’expiration de l’Accord de Cotonou parait dégagé et offre des opportunités plus ou moins diffuses. L’actualisation de ces opportunités dépend de la sincérité du diagnostic de la coopération. Les Déclarations issues des sommets des Chefs d’Etat et de Gouvernement, des Conseils Ministériels et d’autres espaces de rencontre ACP sont truffées de termes du genre « intérêts partagés », « solidarité » et « partenariat unique ». Que signifient-ils pour les peuples ACP sinon des slogans creux destinés à se donner bonne conscience?

 

Cheikh Tidiane DIEYE, PhD

Docteur en Etudes du Développement

Directeur du Centre Africain pour le Commerce,

L’Intégration et le Développement (CACID)

Réseau Enda Tiers Monde

[email protected]

 

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