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Le plan Sénégal emergent, l’emergence et le role des intellectuels: Le temps de nous défaire de nos défauts !

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Sacré Sénégal où une espèce politique se révèle par une incrustation dans l’atavisme du désaccord.

Des hommes politiques préfèrent enfoncer la tête dans la lessive pour refuser la pureté des yeux qui scrutent objectivement et lucidement des questions vitales liées au devenir et à l’avenir de 14 millions d’âmes ! Après la réussite que le Plan Sénégal Emergent a enregistrée, au Groupe consultatif de Paris, cette catégorie a décidé d’habiter dans la chaumière autarcique du criticisme- me fascine, du reste, la vertu de la vraie critique – ou est en quête phobique de la petite bête.

Pourquoi donc se détruisent-ils à noyer et à noyauter les voix enthousiasmées, peut-être exagérément euphoriques, face à la victoire, non pas seulement du Président Macky Sall, mais du Sénégal et son image à Paris ?

Après un rapide détour à «la muraille aujourd’hui sacralisée de la Chine», le «nouveau temple de l’économie mondiale» qui se redessine, se refaçonne dans un contexte de (re)frémissement d’une ruée des puissances occidentales vers les richesses de l’Afrique, le président Macky Sall, chef de file de la délégation du Sénégal, a obtenu 3759 milliards FCFA d’engagements financiers des bailleurs pour son Plan dédié à l’émergence de notre pays.

Un coffre-fort à milliards ne s’est pas miraculeusement ouvert à Paris pour atterrir à Dakar et servir en un tournemain à régler les difficultés dans tous les secteurs. Des contempteurs du PSE s’abîment à inoculer cette idée empoisonnée à l’opinion en espérant jouer sur les impatiences de Sénégalais. Pour une fois, voilà un Plan qui porte l’ambition de faire émerger le Sénégal en extrayant les populations d’un long cycle de chienlits que plusieurs stratégies successives, dictées par l’urgence de crises, sur fond d’impératifs catégoriques imposés par les bailleurs, n’ont pu réussir.

Cela mérite d’être rappelé et martelé aux censeurs et maîtres-chanteurs qui, alléchés par l’odeur du «trop de frics», tenteront de capturer l’Etat via des lobbys constitués en dictatures d’opinions, quand bien même «l’opinion ne pense pas, l’opinion pense mal», comme le disait Bachelard.

Le banquet sur les bords de la Seine n’a pas été platonique, au regard de ses résultats escomptés et des engagements pris par des partenaires qui, pas philanthropes pour un sou, ne sont pas moins avisés. Le plat «parisien» a été d’une succulence…financière que n’avaient pas prévu les «croque-mort» qui avaient préparé un linceul, un cercueil et des clous pour le Plan Sénégal Emergent.

Pourtant, le succès au Groupe consultatif de Paris a exhalé une mélodie autre que les crépitements inhibiteurs d’une indolence sociale. Il a fait émerger d’autres paramètres enchanteurs que les lignes d’un «destin forclos» auquel s’étaient résignés à s’abonner et à s’abandonner les apôtres d’une atonie économique dont le Sénégal, pensent-ils, ne pourrait jamais s’arracher.

Certains, évidemment, préfèrent la culture de la fadeur aux graines de sel de la rupture. Dès qu’un acte de rupture est posé, ils s’étranglent de rage en nous plongeant dans la nostalgie du passé, mais quand une once du passé s’invite dans la marche actuelle, comme des toros, à la vue d’un chiffon rouge, ils s’écrient : «il n’y a pas de rupture ! ». Avec eux, on ne sait décidément pas sur quelle danser applaudir.

Paris valait bien donc une messe ! Pourvu que l’éclatante réussite du PSE engendre dans nos mémoires portées vers des ruptures salvatrices, une meilleure idée de notre futur qui postule le refus de continuer à subir, comme un fardeau défaitiste, l’enlisement cancéreux dans les petites querelles bordées d’intérêts strictement personnels, partisans, partiels et parcellaires. Pourvu aussi que nous mettions fin au jeu avec les allumettes.

Le PSE et les intellectuels

Et là, les intellectuels sénégalais sont vivement interpellés, eux dont le devoir historique, pour reprendre Jean-Paul Sartre, est de se «mêler de ce qui ne (les) regarde pas». Encore qu’en la matière, l’émergence du Sénégal précisément, les regarde fortement, en tant qu’avant-gardes des transformations sociales.

C’est avec la conjugaison de toutes les forces intellectuelles et vitales, de la majorité, de l’opposition, de la société civile et ceux en dehors de cercles organiques, que le Sénégal pourra affronter les nouvelles tempêtes d’un monde rudement néolibéral et ainsi parvenir à être sur la rampe de lancement de l’émergence.

Atteindre l’émergence économique, pour une fois à partir d’un Plan structurant né du volontarisme déterminé d’un président de la République, articulé autour et par des énergies conjuguées d’expertises nationales dans le contexte d’un nouvel enjeu continental dont le Sénégal peut devenir un des moteurs et des motifs, c’est savoir saisir cette chance historique pour transformer des engagements financiers en un enjeu national bien perçu.

Oui, il a été beaucoup question -à juste titre d’ailleurs- dans les débats sur le PSE, de croissance économique pour un taux de 7% jugé comme réaliste par les uns, jaugé comme peu ambitieux par d’autres. Au-delà du fétichisme des chiffres, il paraît important aujourd’hui de poser la dimension d’accompagnement intellectuel, celui des élites de tous bords de notre pays.

En effet, ainsi que le faisait remarquer Victor Hugo dans son fabuleux roman «Les misérables», «la croissance intellectuelle et morale n’est pas moins indispensable que l’amélioration matérielle. Savoir est un viatique ; penser est de première nécessité; la vérité est nourriture comme le froment».

Certains se demanderont peut-être la pertinence de convoquer la pensée, concernant le Plan Sénégal Emergent, alors qu’il s’agit d’émergence… économique au Sénégal. Les nouveaux pays émergents de l’Orient que nous citons aujourd’hui en exemple ne se sont pas exemptés de réfléchir sur leur modèle de développement. Ils n’ont pas émergé par une simple accumulation de richesses ou sous l’effet d’un simple miracle divin ou d’une baguette de fée.

Des réflexions, des pensées sérieuses, dans leur lente construction, ont sous-tendu, accompagné leur marche vers l’émergence. Aujourd’hui, pourquoi donc de grandes firmes internationales, des entreprises huppées sont peuplées de philosophes, de psychologues, et autres penseurs ? Parce qu’elles ont compris le capital, même immatériel, que constitue la réflexion prospective.

Dans une chronique, Gilles Prod’homme, philosophe, consultant en management au Cabinet Hermès, analyse l’entreprise, comme le «nouveau territoire des philosophes», qui n’hésitent plus, «aujourd’hui, à jouer le rôle de consultants en management, voire de formateurs». Après avoir «originé» une telle démarche chez Zola, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, il souligne : «la «philo» n’est pas une discipline incapable de franchir les portes de l’université.

Au contraire, sa finalité est de se confronter au réel (…) Ici et là, donc, les philosophes conseillent, ouvertement ou avec discrétion, nos responsables politiques. Rien de nouveau sous le soleil (…)»

Hier, nous vivions la passion des affrontements d’idées ou des polémiques idéologiques qui portaient somme toute la vertu de leurs contradictions constructives, aujourd’hui, nous nous soliloquons de plus en plus sur le mode pauvre des invectives, de désespérantes postures et positions emberlificotées dans les négationnismes entêtés, parfois enlisés dans des dogmes radicalement partisans à la camomille égotiste et égoïste.

On ne peut pas continuer encore et encore, toujours et toujours, à réduire la réflexion sur la marche du Sénégal en une dualité de pensées uniques ; l’une géométriquement centrée sur la négation de tout, l’autre résolument toute tournée vers l’exaltation béate. Réduire le champ politique à une confrontation entre ces deux pensées uniques, univoques et forcément donc unilatérales, n’est point producteur d’avancées nécessaires.

Or, la quête de l’émergence ne se pense pas en pensée unique, en pensée binaire engoncée dans le rigorisme qui ne «boussole», de façon manichéenne, que l’axe du mal ou celui du bien. Rien que ce bosquet factice à ériger ! Rien mur infranchissable à dresser ! Il faut nous débarrasser de l’aiguille de cette boussole mentale qui ne coud la vertu que pour soi et ne pique le vice que chez l’autre.

Allons-nous continuer à nous détruire à écouter la vacuité des discours fonctionnant sur le mode pauvre des critiques faciles ? Allons-nous assister en spectateurs aux sarabandes politico-médiatiques, alors même que notre pays a besoin, vraiment besoin aujourd’hui, que tambourinent le saxophone audible des réflexions profondes qui décillent les yeux de nos populations ?

Réhabiliter le champ de la pensée

Allons-nous nous infliger le spectacle des foyers désertés de la pensée, laisser le champ des vrais débats qui participent à éclairer, par des critiques et expertes, le Plan Sénégal Emergent, en tant que projet de société, rempli de pépites indéniablement novatrices, dans lequel scintillent qu’on le veuille ou non de bonnes perspectives pour un autre Sénégal possible à propos duquel doivent se construire des consensus forts ?

Que l’on se comprenne bien : évoquer, convoquer voire invoquer ici la nécessité de construire des consensus forts, ce n’est point faire l’apologie d’un unanimisme moutonnier ou d’un accord hennissant. Or, ce n’est pas l’accord, mais la gestion civilisée du désaccord, autrement dit la confrontation de pensées qui pensent trouver des vérités, qui définit la démocratie.

Après la rencontre avec le Groupe consultatif de Paris, le plus grand défi qui interpelle nos intellectuels, nos élites politiques notamment, c’est de penser profondément notre nouvel être-dans-le monde. Une bien-pensance veut nous faire avaler que l’avenir de l’humanité s’écrit désormais en l’Orient, après la crise de l’Occident, alors même que se tissent de subtils enjeux stratégiques en Afrique, nouveau centre des convoitises à cause des immenses richesses de son sol et de son sous-sol.

Interpeller donc nos intellectuels et penseurs, c’est les inviter à comprendre le «nouveau jeu des puissances scientifiques». C’est également interpeller nos élites politiques, dans nos démocraties prises par le vertige de fécondation trop rapide de partis politiques, alors que nos espaces publics souffrent d’une stérilité désopilante de cercles de pensées, genre clubs de de philo, permettant d’accéder à «la chair du réel».

Sous ce rapport, nous pouvons rallier l’appel de Serge Halimi, dans Le Monde diplomatique paru en septembre 2013, «afin que l’audace change de camp» dans le cadre d’une «stratégie de reconquête» qui libère de l’asservissement d’une idée selon laquelle il n’y a d’alternative que le néolibéralisme.

C’est dire qu’il ne faut, en construisant notre émergence, nous arracher des plaies du mimétisme et avoir l’audace d’inventer notre voie, non sans oublier toutes les difficultés que tout Etat actuel éprouve à s’ajuster à «la montée des impatiences des opinions», «amplifiée par la pression médiatique» et qui «vit au rythme des échéances démocratiques qui se succèdent avec rapidité». Nous avons convoqué ici la voix autorisée de Louis Gallois, commissaire général à l’investissement.

Le Sénégal, l’Afrique en général, est un nouvel enjeu du monde, mais qui doit se penser pas comme enjeu dans son devenir dans le monde. Le relever, c’est même énoncer une évidence, autrement dit une «qualité de surface», pour dévaliser un personnage de L’Aventure ambiguë, ce chef d’œuvre romanesque, inoxydable, de Cheikh Hamidou Kane.

Au moment où sur leurs propres terres se jouent un jeu et un enjeu d’influences entre de nouvelles impuissances européennes et les pays émergents d’Asie et de l’Amérique Latine, les élites politiques et intellectuelles africaines doivent repeupler le champ de la pensée, de la réflexion et refuser ainsi de donner l’impression que, sur ce terrain-là, leurs anciens étaient des géants et eux des nains.

Le temps est venu de nous défaire de nos défauts. Qui mieux est placé pour le faire que les producteurs de pensées sur lesquelles s’ouvrent les boulevards de l’émergence !

Soro DIOP

Conseiller Technique, Ministère de la Justice

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