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Le prix à payer Par Abou Latif COULIBALY

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Le gouvernement du Sénégal s’apprête à dépénaliser partiellement toutes les infractions de presse. Disons que c’est une demande des journalistes qui est sur sa table, depuis au moins la fin des années 90. En effet, depuis plus d’une décennie, les professionnels, d’ici et d’ailleurs, émus par la facilité dont font montre certains juges, pour envoyer des journalistes en prison, soutenus également par plusieurs organisations internationales, ont fait de la dépénalisation une bataille sans concession.

Pour notre part, nous avons toujours considéré que la voie dans laquelle la bataille a été engagée, n’était sûrement pas la meilleure, car elle pouvait conduire à une situation dangereuse et non souhaitable, pour tous ceux qui considèrent que la presse est un instrument essentiel à la conduite et à la consolidation du projet démocratique national. Dès lors que le projet annoncé avait clairement affiché l’option qu’aucun délit de presse, quelle que soit la gravité de l’infraction commise, ne pourrait plus désormais envoyer son auteur en prison, les professionnels des médias ont jubilé en considérant à tort, pour la plupart d’entre eux, que les gouvernants seraient de bonne foi et qu’ils travailleraient dans un esprit et dans une perspective de progrès qui mettraient au centre des préoccupations du législateur le souci de construire, désormais, un système de presse débarrassé des entraves majeures qui empêchent son épanouissement.

Des entraves naturelles qui s’expliquent dans un contexte de construction démocratique qui impose la nécessité de maintenir un équilibre intelligent entre plusieurs forces contradictoires qui n’en concourent pas moins toutes à la bonne marche de la société. Nous avons parcouru le nouveau projet de Code de la presse tel que certains députés en ont discuté récemment réunis en séminaire à Saly Portudal. Nous avons lu et analysé les résultats des travaux du fameux comité scientifique qui l’a élaboré et l’a présenté aux autorités. Ce projet marque dans son essence un recul de plus de 40 ans, en décidant de donner une place prépondérante et essentielle à l’autorité administrative, dans les procédures de poursuites et de sanctions des délits de presse. Si ce projet de code est voté par le législateur sénégalais, plusieurs journaux pourraient disparaître de la scène médiatique nationale. Ils disparaitraient avec une facilité désarmante. Il suffit à cet effet que le gouvernement le veuille, pour que les organes administratifs de régulation des médias, en l’espèce, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA)-il aura désormais la haute main sur les médias et audiovisuel pour surveiller leur travail et leurs comportements-, décident de suspendre un journal, une radio ou une chaîne de télévision ou d’ordonner sa fermeture. Les actes de suspension décidés par l’autorité administrative sont certes susceptibles d’être déférés devant le juge, mais cette procédure n’est pas suspensive des effets de l’interdiction de paraître ou de diffusion qui frappe l’organe fautif.

Dans ces conditions, il est inutile d’expliquer que dans un contexte économique où les médias ont déjà beaucoup de mal à exister, une décision de suspension, même très limitée dans le temps, décide de la vie ou de la mort certaine de l’organe concerné. Le comité scientifique qui prétend avoir travaillé dans un esprit d’ouverture s’est enfermé dans un archaïsme de très mauvais aloi qui pense que la protection du citoyen face aux agissements de la presse professionnelle, réside dans la sanction extrême et s’inscrit dans une volonté répressive qui plus est, s’attaque à la vie des journaux, en épargnant la liberté d’aller et de venir des acteurs des médias. C’est une erreur historique monumentale que de penser ainsi. Cet esprit s’inscrit en droite ligne dans la pensée de certains législateurs du 19ème et du 18ème siècle qui ont pensé que la presse n’était qu’un luxe superfétatoire dans le contexte de l’époque.

Ils en avaient alors oublié ou ne savaient pas que la protection des citoyens, face à la presse résidait dans le progrès et dans l’intelligence que les acteurs d’une démocratie mettaient à construire un espace et un environnement qui assuraient aux médias une existence légale et à leur fournir les conditions d’un développement harmonieux et intégré. Le comité scientifique propose ainsi que l’on détruise un puissant principe qui, depuis l’arrêt de principe élaboré par la Cour suprême du Sénégal dans l’affaire Abdourahmane Cissé (Lettre fermée), dans les années 70, a enlevé toute possibilité à l’administration sénégalaise de décider, par une simple mesure administrative du sort d’un organe de presse. Si le prix à payer pour qu’un délit de presse ne conduise plus un journaliste en prison, s’appuie dans la volonté de détruire le socle et le régime juridique cohérent qui est le nôtre actuellement, tous les professionnels de ce pays, sans exception, disons-nous, opteraient pour la prison, en vue de mettre les organes de presse, c’est-à-dire leur outil de travail, en dehors des griffes d’une administration souvent frileuse et conservatrice, plus préoccupée par un souci de répression, que par une quelconque volonté de faire suite au droit légitime du citoyen à l’information juste et honnête. La question que nous posons, ici, n’est pas banale. Elle est extrêmement grave. Elle est masquée par la propagande du gouvernement qui fonctionne depuis des mois sur un registre de dissimulation et de mensonges plus ou moins habiles.

Tout est orchestré pour cacher les desseins inavoués qui accompagnent la mise en route d’un nouveau Code de la presse au Sénégal. Nous sommes désolés de constater que des organismes de coopération, connus pour leur dévouement pour la cause de la presse, se laissent berner par la propagande gouvernementale et adhèrent au projet, tel que le fameux comité scientifique, plus motivé par un souci de réprimer les journalistes que par une volonté de leur préparer un espace de travail plus favorable, l’a préparé et proposé au vote de l’Assemblée nationale. Même débarrassées des peines de prison, les lois en préparation dans le pays se présenteront à terme comme les plus rétrogrades et comme les plus contraignantes pour l’exercice de la profession de journaliste en Afrique.

Même des pays venus très récemment à la démocratie seraient mieux dotés que nous, en termes de progrès et de promotion de leurs médias. N’en déplaise aux acteurs qui prennent aujourd’hui la responsabilité de faire reculer notre pays de quarante ans sur le chemin de la démocratie, le nouveau Code de la presse qu’ils veulent mettre en place, est le reflet type de la méfiance, voire de l’aversion, pour dire le moins, que les autorités actuelles, en particulier le chef de l’Etat, a toujours manifestée à l’égard de la presse de son pays. Le nouveau projet de Code est l’aboutissement logique et cohérent d’un aveuglement et d’une volonté de réduire au silence une presse qui, en dépit de toutes les tares qu’elle peut encore recéler, n’en assure pas moins un rôle et une fonction essentielle dans la conduite de notre projet démocratique national.

Abou Latif COULIBALY
lagazette.sn

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