Le respect des personnes âgées : un apport des personnes immigrantes originaires de l’Afrique subsaharienne, du Maghreb et d’Haïti par Doudou SOW
Venant d’une culture qui accorde une importance capitale à ces temples du savoir et de la sagesse, nous ne pouvons que nous indigner du sort qui leur est réservé. Nous nous souvenons toujours d’une publicité à la radio et télévision sénégalaise [RTS] où une personne âgée se faisait aider par un jeune pour traverser la rue et où, à la fin de la publicité, on lançait le message suivant : « Le respect des personnes âgées, une vertu purement sénégalaise».
L’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ avait raison de dire qu’ « en Afrique, un vieillard qui meurt c’est comme une bibliothèque qui brûle».
Nous nous rappelons d’une discussion qu’un jour nous avions eue avec une personne d’une soixantaine d’années dans le métro montréalais. Nous lui démontrions comment, dans la culture africaine, les jeunes accordaient un immense respect aux personnes de son âge. Nous lui demandions si ses enfants venaient lui rendre visite souvent. Il nous avait répondu : « C’est moi qui vais chez eux. J’ai des fils qui me demandent de garder leurs enfants et non de venir souper à la maison ». Ces propos m’avaient alors bouleversé sur la situation de ces personnes qui sont laissées à elles-mêmes. Quel genre de société voudrait-on vivre? Préfère-t-on vivre dans une société d’exclusion ou d’inclusion? Une société solidaire ou égoïste? Les consultations publiques sur les conditions de vie des aînés montraient à quel point ces derniers sont isolés (stressés, craintifs et fragiles au niveau de leur santé…).
Les immigrants sont très sensibles à la question de la maltraitance des aînés qui est une réalité inquiétante au Canada, comme le reconnaissait l’ancienne ministre responsable des aînés, Marguerite Blais. « Au Canada, on estime qu’environ 4 % à 7 % des personnes âgées vivant à leur domicile sont violentées ou négligées par leurs proches, et ces chiffres ne sont que la pointe de l’iceberg. Il ne faut plus fermer les yeux et prétendre que la maltraitance n’existe pas.»
La journaliste Sarah-Maude Lefebvre du quotidien gratuit le plus lu, Métro, renchérit : « En 2009-2010, plus de la moitié des plaintes (52 %) reçues par la commissaire régionale des plaintes de l’Agence concernaient les résidences pour personnes âgées. »
Le sort réservé aux personnes âgées dans les sociétés occidentales et nord-américaines est plus que bouleversant. En Afrique, les personnes âgées constituent une richesse et une sagesse qui inspirent toute une génération, tout un peuple. Quand nous voyons la manière dont elles sont traitées dans les sociétés occidentales et nord-américaines, nous sommes vraiment choqués.
Dans un article que Vérène Ndekezi écrivait sur Hommage aux aînés du Québec, elle reprenait les idées que nous avions développées dans le cadre de la session sur l’histoire du Québec animée par l’historien Pierre Ramet. Nous saluions alors le génie des personnes âgées. « C’est en guise de commentaire et en référence aux infrastructures hydroélectriques de Shawinigan, que Doudou a lancé la déclaration ci-haut, lors de l’atelier organisé par l’organisme Promotion Intégration Société Nouvelle (PROMIS) en octobre 2007 et animé par l’historien Pierre Ramet. Et Doudou de renchérir : « Lorsque tu vois l’immensité de ces ouvrages et le génie derrière, tu ne peux que rendre hommage aux aînés du Québec!…Les aînés du Québec se sont sacrifiés : ils ont bravé des conditions extrêmement difficiles pour ériger ces ouvrages. Nous leur devons respect, comme celui réservé aux aînés en Afrique.»
Les immigrants sont très sensibles à cette question, comme le mentionnait d’ailleurs l’article de Vérène Ndekezi : « L’intervention de Doudou, qui retient la plus grande attention des participants à l’atelier, a suscité en moi une réflexion nourrie sur l’hommage dû aux aînés du Québec. J’ai d’abord regardé de près le respect réservé aux aînés en Afrique et me suis ensuite intéressée aux réalités des aînés au Québec. De quel genre d’hommage jouissent les aînés en Afrique et pourquoi? Que faudrait-il pour rendre plein hommage aux aînés du Québec?»
L’auteure de l’article poursuit son analyse en évoquant que :
« Les sociétés africaines, bien qu’en mutation, demeurent traditionnelles pour la plupart. Très hiérarchisées, ces sociétés placent les aînés au sommet, d’où ces derniers exercent une influence prépondérante sur la famille et la communauté en général. Vieillir n’est-il pas synonyme de sagesse? De plus, avancer en âge, loin d’être une préoccupation, devient objet de fierté, et pour cause. Une personne âgée, même encore en pleine possession de ses moyens, se voit entourée de ses membres de famille, et à défaut, des membres de la communauté qui se relaient pour lui éviter l’isolement. Et lorsque la personne âgée est en perte d’autonomie, il n’est pas rare qu’elle ait droit à un «détachement de grands enfants» chargés de résider avec lui pour lui procurer la chaleur humaine et pourvoir à d’autres besoins essentiels. Un tel hommage tient à la reconnaissance des réalisations des aînés qui, pour l’essentiel, tournent autour de l’édification d’une famille et à la croyance selon laquelle aider les personnes âgées est porteur de bénédictions. Ainsi, avec l’entraide et la solidarité au cœur des valeurs qui soutiennent le tissu social des communautés, prendre soin des personnes âgées est une responsabilité familiale et collective fondamentale en Afrique.»
Voilà, comme le soulignait Vérène, « un terrain propice pour un rapprochement interculturel et intergénérationnel ». Il faut protéger les personnes aînées vulnérables. Ceci se fera sans doute par un lien de confiance avec elles. La journée des grands-parents célébrée depuis 1985 à la date du 13 septembre constitue une occasion de lutter contre l’isolement et la crainte des personnes qui ont beaucoup donné à la société québécoise. Les préjugés sur les personnes âgées sont nombreux : des personnes fermées, la cause des accidents sur la route, un fardeau pour la société (des jugements teintés d’âgisme). Pourtant, quand on regarde bien, elles sont un pilier pour l’économie.
Quand nous avions posté cet ancien article de Vérène Ndekezi (2008) sur Linkedin, le 18 octobre 2013, deux Québécoises qui sont membres de notre groupe Mentorat ont réagi de manière pertinente aux idées développées : « Je suis tout à fait d’accord avec toi, j’aimerais tellement qu’au Québec, que [les] gens puissent apprécier et surtout respecter nos aînés. Ils nous apportent tellement. Je crois que le Québec devrait prendre exemple de vos belles valeurs. Il y a un peu de progrès mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Merci Doudou », mentionnait l’une.
Un autre point de vue intéressant a été également développé par une autre Québécoise : « Les valeurs sont les mêmes. Les structures familiales et sociétales ont changé très vite dans certaines régions du Québec ce qui nous laisse bien peu d’enfants d’une même famille pour prendre soin des parents. Sans parler des personnes sans enfant. Merci à tous ceux qui nous aident. »
Un Québécois d’origine sénégalaise de renchérir de fort belle manière : « Cet […] article me rappelle une histoire que j’ai vécue à mes débuts au Québec, j’étais dans le bus, assis côte à côte avec un vieil homme, à un moment pendant le trajet, le bus prend un virage assez serré, assez pour que le vieil homme [s’] agrippe à mon bras pour ne pas tomber. A la fin du mouvement, il s’est tourné vers moi pour s’excuser.
Je lui ai répondu : ?Monsieur, vous n’avez pas à vous excuser, vous avez tous les droits, là d’où je viens, on honore les gens de votre âge, si j’ai pu vous servir en quoi que ce soit, ce fut un honneur?. Il m’a souri et fait un clin d’œil, je lui ai rendu son sourire, on ne s’est pas parlé davantage, mais j’ai eu l’impression que nous avions échangé plus que des mots… ».
L’attachement à l’autre, autrement dit la chaleur humaine, est une valeur africaine. Les personnes immigrantes originaires de l’Afrique pourraient utiliser cette valeur pour aller à la rencontre des Québécois.
Dans l’imaginaire populaire africain, l’entraide constitue le ciment même de la société, d’une importance croissante en raison de la tendance actuelle à l’individualisme suscité par la crise économique, à la mondialisation de certaines valeurs européennes et à bien d’autres facteurs.
Il faut parfois laisser place à la célébration des différences culturelles. Cette approche donnerait un message fort aux personnes immigrantes qui ne penseraient pas que la société cherche à les assimiler. De cette façon, elles adhéreraient plus facilement aux valeurs de la société québécoise tout en ne reniant pas certaines des leurs. Nous nous souvenons avoir défendu, durant la période des accommodements raisonnables en 2007, l’idée selon laquelle les immigrants apportent une valeur ajoutée à la société québécoise, tout en rappelant à nos collègues l’importance du respect des personnes âgées : une manière d’améliorer les relations interculturelles.
Le rapprochement interculturel pourrait être fait entre les nouveaux arrivants et les personnes âgées. Les immigrants surtout d’origine africaine ont un respect immense pour celles-ci. Cette initiative laisse tomber les préjugés des deux côtés.
Même, si les personnes âgées souhaitent s’adonner de temps en temps à des activités artistiques et de divertissement, on pourrait utiliser ces ressources dans un contexte de transmission de savoirs ou de relève sous forme de mentorat pour des personnes à la retraite depuis un an ou cinq ans (ce qui se fait déjà) ou développer des liens sous forme d’activités avec les jeunes évoluant surtout dans le milieu culturel pour la danse ou autres.
Le Centre Africa (centre culturel africain) existe depuis plus de 25 ans. Il accueille les Africains et toute personne intéressée au monde africain. Le coordonnateur de ce centre, Jean-François Bégin, disait dans une émission de RCI que l’Afrique lui faisait redécouvrir les valeurs familiales et qu’il considérait « la rencontre avec l’autre » comme une valeur ajoutée. Et à son tour, il leur montre l’esprit d’initiative, d’entrepreneuriat et la dimension réseautage dans un contexte québécois. Ce centre, qui a fêté la cinquième édition de la journée africaine, établit des relations avec la culture de la société d’accueil et offre différents services (activités socio-culturelles, activités spirituelles et religieuses, service d’accueil et d’orientation, d’animations extérieures, de diffusion et de communication et réservation de salles).
Les immigrants originaires de l’Afrique subsaharienne ont été socialisés sur la base d’un « nous » collectif et se retrouvent dans une société où l’individu est plus important que le groupe. Les immigrants qui sont sensibles à la question des aînés ont aussi leur mot à dire sur leur traitement ou leurs conditions de vie. Les personnes âgées méritent leur place dans la société québécoise.
Doudou SOW
1-On peut aussi noter que, parfois au Québec, les personnes immigrantes peuvent obtenir une fin de non-recevoir quand elles veulent aider des personnes âgées en leur cédant la place dans des transports en commun ou lieux publics.
2- Sarah-Maude Lefebvre, « Québec dévoile un plan quinquennal, 20 M$ pour contrer la maltraitance envers les aînés », 24 H Montréal, 15 juin 2010, p.3.
3- Sarah-Maude Lefebvre, « Agence de la santé et des services sociaux de Montréal: Les personnes âgées se plaignent davantage », 24 h Montréal, 25 octobre 2010, p.5.
4- Au début de notre arrivée au Québec, nous vivions deux chocs culturels : la question des salutations et l’isolement des personnes âgées.
5-«Lorsque tu vois l’immensité de ces ouvrages et le génie derrière, tu ne peux que rendre hommage aux aînés du Québec! » Telle est la déclaration spontanée d’un immigrant à l’occasion d’un atelier sur l’histoire du Québec. » (Hommage aux aînés du Québec! Par Verene Ndekezi, Tiré du bulletin d’information trimestriel no. 1 de ACR ©2008, Association Amitiés Canada Rwanda.)
6- Hommage aux aînés du Québec! Par Verene Ndekezi, Tiré du bulletin d’information trimestriel no. 1 de ACR ©2008, Association Amitiés Canada Rwanda.
7-Ibid.
8-Ibid.
9-Pour aller plus loin sur les activités du centre culturel africain écouter l’émission Radio-Canada International du 27 mai 2009 et visiter le site web www.centreafrika.net.