L’écharpe et le turban

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Elu au soir du 1er juillet, l’imam Mbaye Niang, sera-t-il encore drapé dans sa solitude à l’Assemblée nationale ? L’offre d’une représentation nationale plus forte à la Chambre basse du parlement sénégalais, de citoyens déterminés à faire entendre la voix de l’islam, entrainera t-elle l’adhésion de l’électorat ? Ces questions taraudent les esprits dans un contexte marqué par la crise du politique sous sa forme clientéliste et la montée, dans le monde, du courant islamiste en ses diverses tendances, jihadiste, modérée, confrérique…

L’épouvantail de la laïcité ou ce qui pourrait lui ressembler dans le fond et non dans les formes (les apparences font jouer l’effet de masque) est là pour éloigner des institutions de la République tout oripeau religieux. La parade pour contourner l’obstacle ? Personne ne pouvant leur dénier la qualité de citoyen, ils iront à la conquête des suffrages avec ce statut et sur des listes marquées du sceau de la parité. Qui gagne à ce jeu ? Certainement pas ceux qui ont choisi d’enlever le turban pour espérer porter l’écharpe Vert Jaune Rouge frappée de l’étoile verte en son centre.

Le caractère laïc de l’Etat, les règles du jeu définies et arrêtées par ses pères fondateurs, la souveraineté du peuple sur tout autre pouvoir reconnu sont acceptés par les «religieux – citoyens», candidats à la députation. Cela vaut adhésion au fait que le peuple reste la suprême référence. Il est au-dessus de tout, décide de tout puisqu’il lui appartient – et exclusivement – de choisir un président de la République et des représentants à l’Assemblée nationale.

Comment concilier cette soumission absolue à la volonté humaine et l’observance des lois édictées par Dieu, comme si ces deux pouvoirs avaient le même poids sur les masses ? Aucune réponse convaincante n’a été fournie jusqu’ici. Majoritaires ou même fortement représentés à l’Assemblée nationale, auront-ils, pour autant, la latitude de changer fondamentalement les institutions du pays ? Puisqu’ils ne se risquent même pas à le promettre, de peur d’effrayer et de braquer le camp des laïcs, tout dépendra alors de l’onction populaire pour déconstruire ce que plus de trois cent ans de domination coloniale et près de soixante années d’exercice de la souveraineté nationale ont sédimenté dans la conscience collective. La politique aux hommes politiques, le tapis de prière et le chapelet aux religieux.

Une démocratie mature ne peut prospérer dans ce schéma réducteur conduisant à préférer l’écharpe au turban. Il continuera d’en être ainsi, aussi longtemps que les porteurs de projets politiques choisiront, le temps des invectives révolu, la collaboration avec la vieille (par ses méthodes) classe politique qui ne voit d’horizon pour la démocratie sénégalaise, que l’arrimage au modèle occidental.

L’islam, le champ politique et la démocratie ne sont pas incompatibles. La dernière religion révélée est bien « Din» (religion) et «Dawla» (communauté). Autant dire qu’elle a ses procédés d’écoute et de délibération pour la gestion de la communauté. Dans la cité-Etat de Médine, les musulmans cohabitaient avec d’autres groupes religieux, notamment juifs dont les droits étaient préservés et les devoirs assumés.

La diabolisation entreprise par de nouveaux croisés pour tenter de briser l’élan de l’islam ne conduit- elle pas à désespérer des « enturbannés »? Non, mais à la condition qu’ils refusent d’occuper sagement la place aménagée par les laïcs, quittent le champ des incantations pour tenter d’apporter ce que l’islam propose comme modèle de réalisation de l’homme sur terre dans le rituel, le rapport à soi et aux autres, le vivre ensemble dans une communauté soucieuse de respecter les différences et de forger les solidarités indispensables dans la quête d’un développement.

Cette perspective suppose une reconnaissance de ceux qui veulent exprimer leur différence en proposant, comme tout citoyen doit pouvoir normalement le faire dans une démocratie, un projet fondé sur l’Islam. Pourquoi des Sénégalais sont-ils interdits de créer et d’animer des partis politiques d’orientation religieuse alors que des minorités invisibles sont tolérées dans leurs activités ? L’instauration du pluralisme démocratique pour lequel des combats ont été menés après l’adoption des quatre courants autorisés (socialisme démocratique, libéralisme, communisme, conservatisme) est-elle plus importante que l’acceptation de partis religieux ?

Si la démocratie chrétienne trouve un cadre d’expression dans des pays dits de démocratie consolidée, comment accepter que les musulmans de notre pays soient interdits d’affirmer leur différence face à des laics. Seraient-ils des citoyens de seconde zone ? L’épouvantail de l’intégrisme agité comme repoussoir pour écarter des citoyens de la compétition électorale, ne saurait servir de barrage au désir profond d’accepter que d’autres voix s’expriment.
L’islam sunnite et confrérique, prépondérant au Sénégal, est parfaitement compatible avec la démocratie. Des parlementaires élus sur des listes de formations politiques d’obédience islamique siègent dans les chambres d’Etat dits laïcs. Pourquoi pas au Sénégal ?

En se réfugiant dans des listes citoyennes, ceux qui sont étiquetés « islamistes » refusent de s’assumer, de mener le combat pour la reconnaissance du courant religieux tout en acceptant de se fondre dans le moule d’un laïcisme débridé. Dès lors, on peut bien se demander comment, dans la posture de «tolérés» non de «respectés», ils pourront, dans l’hémicycle, peser sur les choix qui seront opérés dans le vote des lois.

1 COMMENTAIRE

  1. Une tres bonne article,logique,pertinente et veridique.
    Mais Je pense que les religieux doivent etre tres intelligents, prudents qui mettent des jallons bien precises, but gradually, ils doivent pas se laisser animer par des sentiments au detrimant de l’intelligence.
    A mon avis, pour le moment l’objective est d’avoir des gens qui incarnent les valeurs de la religions,eveilles et aptent au parlement et s’ils arriveront a faire un bon boulot et convincrent la population ils seront reconpenses par ce dernier.

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