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L’enfant effraie la mort (Par Pr Mary Teuw Niane)

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La mort poursuit inlassablement les adultes qui, la peur au ventre, la fuit de toutes leurs forces.

Les enfants, chaque jour, défient la mort.

Ils narguent constamment l’ange de la mort qui, amusé par leur témérité, s’en va rechercher des victimes qui sont plus conformes à son statut.

Je me souviens toujours en frissonnant de nos salutations du mercredi au serpent.

Au daara de Serigne Babacar Guèye, chaque mercredi, petits galopins téméraires, nous allions au barrage de Dakar Bango, saluer le serpent.

En effet, avant le début de chaque hivernage, un gros camion bruyant déversait de l’argile sur la digue juste avant le barrage. Les ouvriers armés de leurs pelles rassemblaient toute l’argile qui constituait une grande butte sur laquelle nous aimions courir.

La butte était aussi notre observatoire.

En effet, juchés sur elle, nous pouvions apercevoir les troupeaux de phacochères et les nuées de poules noires sauvages qui peuplaient toute une partie des espaces couverts de roseaux et de typha entre Dakar Bango et MBoubène.

C’était l’époque où la nature, encore luxuriante, n’était pas détruite par les besoins démesurés des êtres humains.

C’était aussi le temps où, durant l’hivernage, il était possible de trouver des poissons frétillants qui, malencontreusement, après un saut périlleux se retrouvaient sur la digue.

Le mercredi était jour de la récitation générale du Coran.

Certains talibés accompagnaient Serigne Babacar Guèye dans sa promenade matinale sur la digue de Dakar Bango. Ils le suivaient en récitant toute la partie du Coran qu’ils avaient apprise.

Ils étaient attentifs car ils savaient que Serigne Babacar avait une mémoire d’éléphant. Il retenait toutes les fautes commises par le malheureux talibé qui, au retour au daara, recevait le nombre correspondant de coups de cravache.

Les autres talibés récitaient surplace le Coran en présence de tout le daara. Ils recevaient instantanément un coup de cravache à chaque faute commise.

Après la récitation générale du Coran, il y avait toujours quelque chose à manger et à boire.

Les familles apportaient des offrandes, sarakh, sadak, au darra. Nous nous délections des lakh, ñiiri, bien sucrés avec du lait délicieux, des thiakri noyés dans du lait pur crémeux.

Il arrivait qu’un mercredi soit vraiment providentiel.

Des femmes d’officiers du camp militaire ou du Prytanée nous apportaient des plats de viande de mouton ou de poulet garnis de pommes de terre et avec de gros morceaux de pains.

Nous mangions, silencieux, avec beaucoup de détermination, ces plats abondants, succulents, généreusement offerts.

Malheureusement, petit à petit, la générosité s’est émoussée au fur et à mesure que l’abondance disparaissait.

À la fin du repas, rassasiés, nos mains dégoulinant d’huile, nous allions à la rivière les laver.

Les petits poissons venaient presque nous nettoyer les mains tellement ils étaient nombreux.

Les mains propres, les ventres pleins, nous nous dirigions vers la grande butte d’argile.

Celui qui nous observait, pouvait distinguer nos colliers de nombreux gris-gris, nos coiffures tribales et le bracelet d’argent sur notre poignet droit.

Arrivés à la butte, il y avait un trou profond dans l’argile. Nous disions qu’il y avait un serpent dedans.

À tour de rôle, gaillardement, sans un frisson de frayeur, nous introduisions nos petites mains jusqu’au bras pour saluer le serpent.

À la fin de notre rituel de salutations, nous nous déshabillions, enlevions nos gris-gris que nous posions sur nos habits, pour plonger dans la rivière d’eau douce. Nous nous baignions et jouions dans l’eau tiède. Et, lorsque nous étions fatigués, chacun rentrait heureux chez lui.

À la fin de l’hivernage, à la baisse des eaux, il fallait refermer le barrage pour empêcher l’eau douce de se mélanger à l’eau salée de la Rivière salée. Les ouvriers revenaient avec leurs pelles, prendre l’argile, pour obstruer les différentes portes ouvertes du barrage.

Chaque année les ouvriers poussaient un énorme cri d’effroi lorsqu’ils voyaient une grosse vipère venimeuse menaçante sortir de terre. Ils se précipitaient pour la tuer.

C’était la vipère que les enfants venaient saluer. C’était une soow, sohre, particulièrement venimeuse et agressive.

Il est miraculeux de constater qu’aucun serpent n’a mordu un enfant jusqu’à la disparition de la butte d’argile lorsque le barrage fut construit en béton.

Je vous souhaite une excellente journée du mercredi sous la protection divine.

Dakar, mercredi 6 décembre 2023
Prof Mary Teuw Niane

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