De l’analyse critique du discours du Premier ministre Aminata Touré, je retiens comme un certain de compatriotes cette visible rupture dans la pratique d’une déclaration de politique générale. Elle a le mérite de présenter dans un temps relativement acceptable un texte simple, bien écrit, bien articulé donc facile à lire et à comprendre.
Elle a un agenda clairement fixé avec un but précis « la consolidation de l’Etat de droit avec le renforcement de la bonne gouvernance et le développement local», des moyens pour sa mise en œuvre bien identifiés avec « la relance de l’économie pour une croissance génératrice d’emplois » et une méthode basée sur « la prise en charges des urgences sociales et la correction des inégalités ».
Les mots « consolidation, relance et renforcement » traduisent une certaine humilité et un respect de la continuité de l’Etat chez madame le Premier ministre.
Si dans la forme, le chef du gouvernement semble bien caler son discours qui « s’inscrit dans le programme du Yoonu Yokkuté », ce n’est pas le cas de ces nombreux députés souvent pris de court par leur temps de parole. La pratique du discours s’apprend. Je suis d’avis avec ceux qui prônent une rupture à l’hémicycle avec des représentants de qualité à tout point de vue.
Dans le fond, les grandes lignes de l’argumentaire du Premier ministre renvoient à « l’équité », une valeur qu’elle considère comme une préoccupation active de son gouvernement. D’ailleurs, elle dit d’emblée que son administration va s’atteler à « la prise en charges des urgences sociales et la correction des inégalités ». Pour cela, elle expose des arguments pratiques avec un résumé de ce que sera sa future politique sociale en passant de « la couverture médicale universelle », « la carte d’égalité des chances », « l’accès aux soins de santé de qualité, à la propriété et à l’eau potable » au « soutien du pouvoir d’achat des ménages, des femmes et des jeunes ».
Sa démarche semble cohérente car elle permet d’évaluer le poids de ses arguments à la lumière des possibilités d’effectuer ces changements susceptibles d’améliorer notre société et les obstacles qui s’y opposent. Elle traduit son optimisme par cet argument d’autorité : « au sein de l’UEMOA, la croissance devrait atteindre 6,5 % ».
Cheval de bataille ou subtilité d’un discours de début de mandat, le Premier ministre manifeste sa détermination à faire de cette valeur publiquement partagée qu’est l’équité une revendication légitime de son parti et de son gouvernement. Ainsi pour introduire et appuyer son principe d’équité, elle fait allusion au débat sur l’austérité au tout début de son discours avec la nécessité « de réformes courageuses pour lutter contre le gaspillage ».
La subtilité de son discours apparait également dans sa stratégie avec la visée d’un objectif à long terme « la consolidation de l’Etat de droit avec le renforcement de la bonne gouvernance et le développement local » en passant par une série d’objectifs à court terme « prise en charge des urgences sociales et la correction des inégalités » lesquels sont tributaires des moyens dont « la relance de l’économie pour une croissance génératrice d’emplois ».
Plus spécifiquement, madame le Premier ministre veut dans un proche avenir relancer l’économie à partir de l’amélioration de la productivité et de l’environnement des affaires pour avoir une croissance lui permettant de faire face à la demande sociale et espérer à longue échéance consolider l’Etat de droit avec le renforcement de la bonne gouvernance et le développement local.
Ce regard me parait acceptable car il n’examine pas seulement les moyens proposés pour atteindre les buts visés, mais également les objectifs eux-mêmes, les valeurs qui les sous-tendent, et la définition du contexte des actions à entreprendre.
Seulement, si son discours met habilement en avant la valeur d’équité, il est difficile de voir dans un pays pauvre comme le nôtre comment cette valeur peut être compatible avec l’avènement de « nouveaux riches » dont le nombre ne cesse d’augmenter après les deux alternances.
Dans son discours, le Premier ministre se focalise uniquement sur le sens du mot « équité » ayant trait à la protection des pauvres, c’est-à-dire l’équité selon le juste mérite. Cette exigence d’équité serait plus plausible si elle avait invoqué avec conviction et parallèlement à cette valeur incontestablement rationnelle, la traque des biens supposés mal acquis. Une telle omission peut vraisemblablement amener les populations à avoir une perception contraire qui risque de remettre en cause les prétentions d’équité de son gouvernement.
Pareillement, son fervent appel à l’équité selon le mérite passerait mieux si elle avait réaffirmé, du haut de cette tribune et devant les représentants élus du peuple, son engagement solennel qu’il ne devrait plus être possible pour ceux qui choisissent de ne pas travailler de s’en tirer mieux que ceux qui travaillent, et que l’idée de « la famille, le clan, le parti avant le peuple » est une illusion.
Sa déclaration de politique générale présente aussi « l’équité »de manière particulière qui peut être interprétée comme le fait pour les personnes démunies de recevoir leur part de cette croissance envisagée avec son programme de «bourse de sécurité familiale » etde « carte d’égalité des chances ». Cependant, elle n’a pas fait allusion à l’autre dimension conflictuelle de cette valeur qui consiste à faire supporter aux populations, bien entendu à travers la cherté de la vie, les coûts de la crise actuelle dont elles ne sont pas responsables.
J’ose espérer que la bonne articulation du discours de madame le Premier ministre traduit un vrai désir de changement dans la politique sénégalaise même si on peut penser que cette subtilité dont je parle est le plus souvent synonyme du style bien connu de la « page blanche » ou « blank slate »qui consiste à ne pas dire grand-chose sur le fond mais en le faisant d’une manière si séduisante qu’elle permet à ceux qui l’écoutent de lire sur la page ce qu’ils veulent entendre.
Je pense également que pour « booster » la matérialisation de la vision politique du Président Maky Sall comme elle le prétend dès sa nomination, madame le Premier ministre doit implicitement avoir intériorisé son discours pour pouvoir agir et atteindre « l’équité ».Cette valeur est gage d’une certaine démocratie en faveur de laquelle son gouvernement doit d’abord passer le test de légitimité pour prétendre consolider l’Etat de droit avec ses particularités, le renforcement de la bonne gouvernance et le développement local.
Mouhamed Mboup
Indianapolis (USA)