Les défaillances de l’organisation du système judiciaire selon l’avis de l’avocat Pape Ndiogou Mbaye

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XALIMANEWS: « Aussi surprenant que cela puisse paraitre, il demeure constant l’existence de dérives constatées- systématiquement lors des manifestations- et imputables à des violences des forces de maintien de l’ordre. Plus surprenant, rarement des sanctions sont prises, ce qui illustre les défaillances dans l’organisation de notre système judiciaire. Il n’est également pas rare de voir des plaideurs devant des juridictions pénales pour des dettes civiles ou pire, des mandats de dépôt décernés pour des durées exceptionnellement longues, de même que des instructions qui débouchent soit sur un non-lieu, soit sur des mises en liberté sans aucune suite judiciaire.
La présomption d’innocence comme la proclamation « du faire confiance à la justice » ânonnées comme des mantras constituent un leitmotiv qui ne change rien à la réalité indigne d’une procédure pénale juste.


Contre toute attente, la transposition artificielle des institutions politiques et judiciaires de la France en Afrique et particulièrement au Sénégal n’a pas été suivie de l’évolution inhérente à toute activité judiciaire. C’est une des raisons pour lesquelles la procédure pénale sénégalaise se révèle archaïque eu égard à l’évolution des sociétés humaines et nécessairement des mécanismes de régulation des libertés publiques.
L’action pénale du système judiciaire sénégalais n’offre pas de garanties satisfaisantes aussi bien sur le plan théorique que pratique.
L’article 94 du code de procédure pénale est ainsi libellé :« Toute personne nommément visée par une plainte peut refuser d’être entendue comme témoin. Le juge d’instruction l’en avertit, après lui avoir donné connaissance de la plainte. Mention en est faite au procès-verbal. En cas de refus, il ne peut l’entendre que comme inculpée. »
En réalité cette disposition sibylline renferme une complexité, qui pose une difficulté dès lors que la personne faisant l’objet d’une plainte peut être convoquée par le magistrat instructeur, il est prévu à ce stade de la procédure soit une inculpation soit le placement sous le statut de témoin. Le statut de témoin assisté n’existe pas en droit pénal sénégalais.


La personne poursuivie se trouve devant un choix impossible dès lors qu’elle doit choisir entre le statut de témoin (non assisté) ou celui d’inculpé.
En choisissant le statut de témoin il peut être entendu, sans avocat, ce qui pose un véritable problème de respect des droits de la défense et subséquemment d’un procès équitable.
S’il choisit le statut d’inculpé, l’affaire est renvoyée dans un délai de 24 heures, là également se pose un problème de respect des droits de la défense, puisque ses avocats n’ont nullement le temps de disposer du dossier de la procédure. Dans le système originel- c’est-à-dire de la France-, une convocation devant le magistrat instructeur ne peut se faire qu’après que le dossier ait été mis à la disposition de l’avocat du justiciable au moins 4 jours avant la date de l’audition.
Pourtant l’article 7-1 C de Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples stipule que :« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix »
La place de l’avocat dès le début de toute mesure soit de poursuite ou de privation de liberté est un des critères essentiels d’un état de droit, ce dernier que Léon Duguit, juriste français spécialiste de droit public définit ainsi :
« L’État est subordonné à une règle de droit supérieure à lui-même qu’il ne crée pas et qu’il ne peut pas violer ».
D’une manière tout à fait surprenante, c’est la prééminence du droit sur le pouvoir politique, alors que c’est l’inverse qui est constaté généralement en Afrique, le Sénégal ne faisant pas exception. La justice doit nécessairement obéir aux gouvernants qui ne conçoivent nullement une égalité de traitement avec tous les citoyens n’exerçant pas de charges publiques. La volonté politique occasionne ainsi une sédimentation de l’ensemble de l’activité judiciaire à telle enseigne que c’est le président de la république en personne qui dit- publiquement- lors de son entretien du 31 décembre 2020, qu’il doit veiller à ce qu’une décision de placement sous mandat de dépôt ne puisse déboucher sur des morts d’hommes, et de ce fait, il empêche de telles détentions ; un tel aveu peut paraitre choquant mais n’est que l’expression de la stricte vérité, car si une telle influence était suspectée c’est la première fois que la preuve est ainsi administrée à travers une déclaration du président de la république. La question est donc de quelle influence dispose l’exécutif sur le judiciaire pour empêcher ce dernier de disposer de liberté lui permettant d’accomplir sa fonction première qui est d’assurer l’égalité des citoyens devant la loi par une instruction à charge et à décharge, selon la formule de Montesquieu « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
L’utilisation de la justice pour régler un différend politique n’est donc pas quelque chose de rare en Afrique, le cas de l’ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar SALL et plus récemment du député Ousmane SONKO illustrent cette affirmation.
Les opposants sont généralement traités de sorte à les écarter du champ politique par des procédures judiciaires. Ce procédé est appelé Lawfare, définie comme une « guerre juridique, guerre du droit ou les usages stratégiques du droit est l’utilisation du système judiciaire pour combattre un ennemi… »
Pendant ce temps des rapports des corps de contrôle comme l’inspection générale d’état (IGE) ou la cour des comptes ne sont suivis d’aucune procédure, même si leur contenu sont accablants sur la dilapidation des ressources publiques.
Qui n’a pas constaté que les procédures pénales sont suspendues dès lors que les opposants rejoignent le pouvoir et réactivées s’ils reprennent leur liberté de mouvement et d’opposition.
Cette pratique au-delà de la morale est plus que choquante. On aurait pu comprendre qu’une personne en fonction de son éducation et sa morale souhaite poursuivre sur le terrain judiciaire un opposant,. En revanche ce qui ne peut se concevoir ou être toléré, c’est lorsque le pouvoir trouve dans le système une quelconque entité capable d’arriver à impliquer, arrêter, parfois violer les droits des opposants ou toute autre personne en conflit avec le pouvoir.
En un mot qui choque parce que illégal c’est le soutien obtenu dans le système judiciaire.
Pourtant la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ratifiée par le Sénégal par une loi no 82-04 du 15 juin 1982 constitue un des référentiels en matière de justice qui prohibe de telles pratiques en son article 60.
Cette Charte a établi la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. La Commission inaugurée le 2 Novembre 1987 à Addis Abeba, en Ethiopie dit en son article 4 : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne: Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. »
Et l’article 5 énonce : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites. »

Le droit à la santé est également prévu par l’article 16 de la même charte alors que tout le monde sait qu’un tel droit est inexistant.

Quel dirigeant peut sérieusement soutenir la simple tentative d’application de ces dispositions alors que la violation de ces droits est légion puisque le système juridique lui-même n’offre ni la neutralité, ni les conditions de l’exercice de ces droits.
Ce comportement et l’écoute qu’il trouve auprès des instances judiciaires est la conséquence de l’état de dégradation de la situation actuelle du système carcéral du Sénégal.
Pour une population de 16 millions d’habitants, (Selon Amnesty international à la date du 25 juin 2020) il y avait 11 547 personnes incarcérées dans 37 prisons, d’une capacité totale de 4 224 détenus.
Les détentions se déroulent donc dans des conditions indignes et cela est connu de tous.
Il apparait ainsi clairement une distorsion entre d’une part les affirmations péremptoires, la proclamation des valeurs de justice, d’équité et de respect des droits humains, et d’autre part la réalité quant à une ségrégation dans le traitement des dossiers selon la situation et les fonctions des justiciables.
La cause de tous ces dysfonctionnements est la transposition artificielle des institutions héritées, ce qui a pour conséquence de graves préjudices pour les justiciables.
L’illustration est actée ainsi :
1° La pension des anciens combattants africains des 2 guerres voient leur pension cristallisées nonobstant un arrêt de 2010 du Conseil d’état français
Le Conseil Constitutionnel français a dans le cadre de QPC annulé des dispositions concernant la cristallisation des pensions des pensions applicables aux ressortissants des pays et territoires autrefois sous souveraineté française en jugeant que ces dispositions constituaient une rupture du principe d’égalité
Le Conseil d’Etat a jugé que toute différenciation fondée sur la nationalité était discriminatoire, alors que nous savons que la cristallisation des pensions de guerre trouve sa justification dans le critère de nationalité.
2° La restitution des œuvres d’art pillées en Afrique que leurs détenteurs ne souhaitent pas rendre ces refus sont motivés par l’existence de loi prétendument interdisant leur restitution alors que rien ne peut juridiquement étayer la non-restitution d’œuvres obtenues par le vol, le pillage et le meurtre, ce qui était le cas en l’espèce.
3°Le massacre de Thiaroye
Le 1er décembre 1944 quand des troupes coloniales et des gendarmes français ont tiré sur des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de la Seconde Guerre mondiale récemment rapatriés, qui manifestaient pour le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur étaient dus, aucune suite juridique n’a été apportée à ces ayants-droits.
Les associations de défense des familles des tirailleurs attendent de la France l’autorisation de procéder aux fouilles du site à la recherche de trace de ce massacre sans que des dispositions juridiques locales n’encadrent cette affaire.
4° La nationalité des anciens combattants et descendants a suivi l’évolution des discussions politiques sur les étrangers de sorte que aussi bien le Conseil d’Etat que la Cour de Cassation prennent des décisions en accord avec les nouvelles politiques publiques c’est pourquoi le contentieux de la nationalité est très impacté, ainsi plusieurs personnes se voient contester ou retirer leur nationalité française sans aucun autre fondement que les décisions d’ordre politique.
Outre ces difficultés ayant pour fondement une certaine inertie il existe un archaïsme dans les dispositions de procédure pénale sénégalaise à titre d’exemple les chefs de poursuite que sont : le détournement de deniers publics et l’attente à la sureté de l’état.
Pour le détournement de deniers publics, sauf remboursement le mandat de dépôt est de droit. Pour l’attente de la sureté de l’état également le mandat de dépôt est également de droit.
Comment de telles dispositions peuvent-elles persister, survivre, des cas ou des mandats de dépôt son systématiques ne devraient jamais exister dans aucune démocratie dés lorsque ce procédé exclut de facto non seulement toute présomption d’innocence, mais également et surtout toute souveraineté de juge dans l’appréciation qu’il peut être amené à faire ».

Pape Ndiogou MBAYE
Avocat au Barreau de Paris

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