Aïssata Tall Sall a arpenté, le 21 février 2013, Les Marches du Quotidien, la démarche altière, le port mettant en valeur ce raffinement naturel propre aux femmes de son Fouta natal et affichant un visage rayonnant qui défie l’érosion du temps. Mme Sall a répondu sans détour et sans langue de bois à des questions qui pleuvaient de toutes parts.
Me Aïssata Tall Sall dit tout avec un bagout qui ne suscite aucune lassitude, avec une précision surprenante, même quand elle est conviée à revenir sur des événements passés. Elle débobine le film de sa vie politique, ses péripéties, ses séquences pénibles et enchantées, mais aussi ses rêves et les horizons de son destin dans cette arène à la fois féroce et exaltante en termes de défis à affronter et à relever. L’homme politique qu’est cette femme qui a mordu à l’hameçon de l’engagement militant aborde, les questions avec un flegme presque britannique.
Première question apparemment simple, mais excessivement difficile. Qui êtes-vous ?
Même pour moi, cette question peut se révéler complexe parce qu’on ne se connaît jamais totalement. On se découvre tous les jours et on se dit que ce sont les circonstances qui guident le parcours et c’est le parcours qui peut faire la personne. Très simplement, je dirais que je suis une citoyenne sénégalaise, née dans une région très éloignée de Dakar où, a priori, rien, absolument rien, n’aurait permis que je puisse un jour faire de la politique, entrer dans ce qu’on appelle la sphère publique et, finalement, me retrouver dans ce grand débat national de maniement des idées à partir de nos ambitions personnelles. En définitive, je suis Aïssata Tall et, parfois, je ne suis pas très éloignée de la fille qui vit à Podor parce que je suis trop attachée à ce terroir. Mais aussi, je me vois Aïssata Tall, une avocate qui plaide ici, au Sénégal, et à l’étranger. Je me rends compte que je ne suis plus tout à fait, finalement, celle que j’ai été il y a quelque temps dans mon Fouta natal. Je suis un personnage complexe à la confluence de pas mal de civilisations, d’idées que j’essaye de porter ensemble, parfois dans leur contradiction, mais toujours dans le nécessaire bien fait de ce qu’on peut appeler le développement de notre pays.
Est-ce que c’est à votre entrée dans le gouvernement de Loum que vous avez considéré que vous êtes effectivement dans la politique ?
Je vais rappeler ce que le Président Senghor disait un jour, et j’étais très étonnée de lire ça. Quand le Président Senghor a créé le Bds, il venait de sortir de la Sfio, quelques divergences fondamentales l’avaient opposé à Lamine Guèye qui était son mentor, et les gens lui avaient posé la question de savoir qu’est-ce qu’il venait faire en politique, lui l’enseignant, le grammairien, peut-être le futur et probable académicien ; ce qu’il a fini par être d’ailleurs. Et Senghor a répondu en disant : «Je n’ai pas choisi de faire la politique ; je suis tombé en politique.» Et quand j’ai vu cette réponse, j’ai dit : «Finalement, qui aura choisi, de façon délibérée, de faire de la politique ?» Donc, quand on va en politique, c’est qu’il arrive un moment qu’on se questionne sur son propre destin, sur celui de ses concitoyens et sur celui de la société dans laquelle on vit.
C’était quand, ce moment-là pour vous?
Pour moi, ce moment-là, je vais vous surprendre, est arrivé en 2000 à la défaite du Parti socialiste. C’est vrai que jusqu’en 1998, au moment où le Président Diouf m’appelait dans le gouvernement du Premier ministre Mamadou Lamine Loum, je n’avais pas pris sur moi la vocation délibérée d’entrer en politique. Disons que la chose politique m’intéressait, peut-être parce que je suis avocate et que, tout compte fait, ma profession est très voisine des débats politiques, de l’agitation des idées, des positionnements. (…) D’ailleurs, je n’ai pris ma carte du Parti socialiste qu’en 2006 à l’occasion des renouvellements de la coordination de Podor. Parce que jusque-là, on avait quitté un congrès de 96 où on était un peu chahuté. Le Parti socialiste n’avait pas connu de renouvellements de 96 jusqu’en 2000. C’est à ce moment-là, de façon formelle, que j’ai pris la carte du parti et j’ai continué à me battre dans les instances régulières, dans le département de Podor et, plus particulièrement, dans la région de Saint-Louis où je suis devenue, en 2007, secrétaire générale de l’Union régionale.
Sommes-nous dans la même situation que celle du «congrès sans débat», avec des dirigeants qui semblent inamovibles ?
Il y a une double réponse à cette question. Le premier volet, c’est de penser que les dirigeants sont inamovibles. Si ces dirigeants politiques sont inamovibles, c’est parce que la base n’a pas fait le travail nécessaire. Pour ce qui est du Parti socialiste, que je connais le mieux, le dirigeant, s’il est là, c’est parce que les militants l’ont voulu, mais il suffit que les militants veuillent le contraire pour que le dirigeant parte. Maintenant, c’est vrai, c’est le deuxième pan de la question, quand on observe un peu la scène politique, on voit que les leaders ont quelques «difficultés» à partir. Est-ce que c’est dû au fait qu’on a tellement une idée des chefs jusqu’au bout qu’on pense, en Afrique, qu’on ne doit pas les bousculer ? Est-ce que c’est parce que, tenant d’une main de fer le parti, les hommes et les moyens du parti, il devient difficile de les déboulonner ? Tout cela peut relever de clichés. La meilleure façon d’y répondre, c’est d’aller à la compétition, de se battre et de faire de telle sorte que les choses changent. (…)
Serez-vous candidate au secrétariat général du Ps lors du prochain congrès ?
Très souvent, on m’a posé cette question ; j’y ai répondu de la façon la plus franche possible. J’ai toujours considéré qu’en politique, on ne s’engage pas pour ne pas jouer des rôles importants, mais parce qu’on est convaincu que, par ses idées, son action, son dynamisme et sa combativité, on peut apporter quelque chose en termes de transformations sociales dans la vie de ses concitoyens. Si on a cette idée de la politique, et c’est la mienne, on ne reste pas confiné à des rôles qui ne vous permettent pas de mettre en application ces idées-là. Mais le Parti socialiste est un parti très compliqué, dans le bon sens. Si moi Aïssata Tall, je dois, demain, «compétir» à l’occasion de ce congrès pour le poste de secrétariat général, il va falloir d’abord que je remplisse certaines conditions. Est-ce que, d’abord, mes camarades de Podor sont d’accord pour me reconduire ? Est-ce que ceux de Saint-louis sont d’accord ? Est-ce que, ensemble, ils sont d’accord pour me soutenir pour qu’on aille à l’assaut du secrétariat général ? Voilà les questions que je dois régler au préalable. Mais, moi Aïssata Tall, je n’exclus rien.
Même si vous franchissez ce «saut d’obstacles», ne craignez-vous pas l’argument de la «légitimité» de Ousmane Tanor Dieng ?
Non, je ne crois pas que la question doit se poser en ces termes pour ce qui est du renouvellement de nos instances et de l’élection du secrétaire général parce qu’à la Présidentielle on n’était quand même dans des conditions bien particulières. On ne cherchait pas un candidat socialiste, mais celui de l’unité et du rassemblement dans le cadre de Benno siggil senegaal. Et quand on recherche un tel candidat, on ne commence pas par affaiblir ses propres forces internes. Dans ce contexte bien particulier, on s’est dit qu’il n’y a pas besoin, pour nous, de faire des primaires, que nous devions nous ranger, tous, derrière Ousmane Tanor Dieng. Malheureusement, je vous épargne l’épilogue, de ce candidat qui a achoppé avec les discussions, de façon dramatique d’ailleurs, dans Benno siggil senegaal. Aujourd’hui, il est question, tout simplement, de voir quel est le meilleur ou quels sont les meilleurs pour conduire les destinées du Parti socialiste. Ma conviction est que le Parti socialiste, aujourd’hui, dans la conjoncture économique et la situation politique actuelle, doit être dirigé par une équipe d’hommes et de femmes absolument ouverts à la modernité. Mais également, fidèles à l’idée socialiste, qui est, bien sûr, au départ, entonnée de l’utopie mais qui, tout compte fait, s’ajuste aux difficultés et à la conjoncture du moment.
Tanor n’est-il pas rattrapé par le phénomène de l’usure du pouvoir à la tête du Ps, comme Diouf au pouvoir jusqu’en 2000 ?
C’est vrai qu’en politique les gens aiment le neuf et le renouvellement. Je pense que c’est un trait qui caractérise fondamentalement l’être humain. Mais de 2000 à maintenant, Ousmane Tanor Dieng a joué un rôle primordial dans la consolidation et l’unité du Parti socialiste et dans le courage qu’il a eu pendant toutes ces années-là, bien sûr avec toujours une équipe autour de lui. On ne peut pas mener cette barque un peu tanguante, tout seul, surtout quand on est dans une mer aussi agitée que celle que Abdoulaye Wade avait mise sous nos pieds (Rires). Mais, quand même, Tanor Dieng a tenu de très haute portée les destinées du Parti socialiste. Est-ce que ce temps-là est arrivé à son terme ? Est-ce qu’il a atteint ses limites ? Est-ce qu’il faut le changer ? Et bien, c’est aux militants d’en décider. Le Parti socialiste est leur chose, n’existe que par la force de ses militants, par leur volonté aussi. C’est, en définitive, le simple jeu de la démocratie qu’il va falloir faire jouer au sein du Parti socialiste. Et ce jeu-là est ouvert, croyez-moi.
Tanor, secrétaire général du Ps, est-il un peu usé dans l’esprit des Sénégalais comme vous avez eu à le dire dans un entretien ?
En fait, je ne l’avais pas dit comme ça. Je vois que les journalistes… (Elle ne poursuit pas. Rires). Ce que j’avais dit à l’époque, je me remémore très bien des propos que j’ai tenus à Paris. Je tiens à le dire, parce que cela a jeté trop d’émoi chez certains de nos camarades socialistes. Très souvent, on dit que les candidats sortants sont battus par l’usure du pouvoir, exactement comme vous le disiez pour ce qui concerne Abdou Diouf. Et, paradoxalement, je crois que nous avons été battus par l’usure de l’opposition. Je le disais, par rapport à Macky Sall qui, lui, n’avait fait que trois années d’opposition là où nous avons eu un parcours du combattant de douze ans. Pourtant, le Parti socialiste était l’opposant naturel du Pds parce que Wade est libéral ; nous sommes Socialistes. Comment se fait-il que, douze ans après, après que tous les autres ont fini par nous rejoindre sur cette ligne d’opposant, que le frêle opposant (Ndlr : Macky Sall) ait été choisi au détriment de celui qui a fait plus d’une décennie ? Voilà ce que j’expliquais à l’époque en disant, nous sommes vaincus par l’usure de l’opposition et que le Peuple a choisi, peut-être, celui qui lui paraissait le plus «neuf». Parce que Tanor a été candidat, Moustapha Niasse l’a été 2 fois, Idrissa Seck l’a été autant de fois. Macky, lui, se présentait pour la première fois. Est-ce que ce phénomène-là a joué, je pense que oui.
Les dernières élections sont-elles un échec pour le Ps ?
L’élection présidentielle ? Oui ! C’est un échec. Qu’est-ce qui nous a amenés à cet échec ? Voilà la question fondamentale. De ce point de vue, les éléments sont composites, il n’y a pas que notre candidat face à Macky Sall. Il y a, peut-être, d’autres phénomènes qui ont dû intervenir et peser dans la balance du choix des Sénégalais.
L’échec n’est-il pas dû au fait que le Ps n’a pas pu jouer son rôle de leadership de l’opposition au point de rejoindre les coalitions ?
Le Parti socialiste n’a jamais rejoint des coalitions. Il a toujours été membre fondateur de toutes les coalitions de l’opposition. Au Cpc (Cadre permanent de concertations) à la Cpa (Coalition pour l’alternative), au Benno siggil senegaal et maintenant aux Assises nationales, nous avons toujours été membre fondateur. Benno bokk yaakaar relève d’une autre dimension. Pour autant, comment se fait-il que, tout en étant l’opposition historique, naturelle et même politique, par les idées, à Abdoulaye Wade, que l’on n’ait pas pu fédérer cela autour de nous ? Cela est dû, non seulement à l’éclatement de la classe politique sénégalaise, mais à des positions personnelles. Au Sénégal, l’opposition s’est retrouvée sur une ligne de conduite fondamentale, c’est-à-dire combattre Wade. Mais sur le flanc de cette ligne fondamentale, il y a des positions personnelles très fortes qui ont empêché que le Parti socialiste, puisse jouer et incarner ce rôle de locomotive historique de l’opposition qui devait être le sien.
Dans votre réponse, quand vous dites que…
Je vais devoir arrêter de bavarder alors, si c’est dans mes réponses que vous tirez vos questions. (Rires)
Le Ps doit être dirigé par une équipe d’hommes et de femmes, dites-vous. Est-ce que vous rejoignez Barthélemy Dias qui propose une «direction collégiale» ?
Non, je n’en suis pas encore là. Nous avons des statuts qui réglementent le fonctionnement, l’organisation et même l’organigramme du Parti socialiste. Pour l’instant, ces statuts disent qu’il y a un secrétaire général, des secrétaires généraux adjoints et un bureau politique. Donc, on peut considérer que, de ce point de vue-là, de façon tout à fait formelle, que les décisions sont collégiales parce qu’elles sont prises en Bureau politique, mises en œuvre et exécutées par le secrétaire général. Si nous devons avoir un secrétaire général, il faut qu’il soit chargé spécifiquement de quelque chose et qu’il ait des adjoints qui, eux, sont chargés de quelque chose. Aujourd’hui, les adjoints au Parti socialiste sont des adjoints dans le général. Je verrais bien un secrétaire général adjoint chargé de la vie politique. Quelle est la mainmise sur la vie du parti, les structures, l’animation du parti, la mobilisation ? C’est un challenge fondamental, absolument jouable. On a beau la mettre, si cette équipe collégiale ne joue pas collectif, on n’en sera peut-être pas encore à l’unicité de la direction.
Quel bilan faites-vous de la participation de votre parti dans Benno bokk yaakaar ? Et le Ps doit-il aller aux Locales en coalition ou doit-il se peser encore ?
(Elle respire). Bon, ce sont de graves et denses questions (Rires). Comme disait le Général de Gaulle : «Allons-y avec nos idées simples dans cet orient compliqué.» Et la coalition Benno bokk baakaar est aussi compliquée que l’orient de Charles de Gaulle (Rires). D’abord, notre compagnonnage avec le Benno bokk yaakaar. Le Parti socialiste a été un des premiers à l’avoir affirmé de façon publique et forte- que nous soutiendrions le candidat qui arriverait au second tour face à Abdoulaye Wade. Et ce candidat était Macky Sall. Nous l’avons soutenu sans réserve. Il y a tout de même un «mais». Nous avons dit, à l’époque, que nous serions en partenariat avec Macky Sall parce que nous pensons que nous avons des idées à apporter, peut-être une expérience des affaires de l’Etat à mettre au bénéfice de la coalition. Nous savions aussi où en étaient l’éducation, l’enseignement supérieur, les finances, l’agriculture, etc. Alors, nous avons bien compris que ce n’est pas un homme avec une équipe et un programme, seuls, qui pourraient arriver à bout de ces difficultés. Nous sommes en partenariat pour gagner ensemble et gouverner ensemble face aux défis auxquels le Sénégal est confronté. Bien sûr, dans ce genre de situations, il faut toujours une dosette pour départager les uns et les autres. Il faut toujours un paramètre pour mesurer les forces en présence et dire voilà ce que vous représentez et ce que vous pouvez représenter dans le cadre de cette coalition. Donc, une fois Wade battu, on nous a dit, nous Socialistes, dans le gouvernement : «Vous aurez droit à trois ministres.» Ces trois ministres occupent des postes importants et stratégiques et sont en train de travailler et de mettre en œuvre la politique définie par le Président Macky Sall dans l’intérêt et le bénéfice des Sénégalais. Ils ont un comportement tout à fait honorable dans l’exécution des tâches qui leur sont confiées par le Premier ministre et le président de la République.
Justement, on vous attendait dans le gouvernement…
Oui, mais ça, c’est une vieille et longue histoire. (Rires)
C’est quoi justement cette histoire ?
Disons que cette parenthèse est fermée. Cette histoire-là est aussi simple que moi, je n’ai pas compris que, pour aller au gouvernement, on n’ait pas discuté en Bureau politique pour voir qui pourrait être le meilleur profil et, encore une fois, je répète que la question n’était pas pour moi, de dire que je dois y être ou qu’untel ne doit pas y être. Les camarades que nous y avons envoyés sont des camarades absolument compétents, expérimentés. Aminata Mbengue Ndiaye a été plusieurs fois ministre, Serigne Mbaye Thiam est un homme formidable. Donc, la question, pour moi, c’était de dire qu’en ces moments-là, pourquoi nous avons pensé que ces camarades devaient être là ? Et une fois qu’on était d’accord- je le répète- j’aurais été la première à aller expliquer les raisons de ce choix. Ce n’est pas mal de venir dire : «Nous avons droit à trois postes ministériels, qui pensez-vous que…» Donc, voilà comment j’avais, à l’époque, dénoncé le procédé et je l’ai fait là où il fallait le faire, c’est-à-dire en Bureau politique. Bien sûr, certains ont pensé que «oui, parce que Aïssata Tall veut être ministre». Franchement ! Vous savez combien de temps j’ai été ministre ? Dix-huit mois. Dix-huit, ce n’est pas deux ans. Douze ans, je suis resté dans l’opposition alors que Wade m’avait tout promis sur un plateau d’argent. Donc c’est parce que c’étaient des problèmes de principe et je pensais qu’il était important de les poser.
A propos des élections locales…
(Elle rit et hésite) Ça, c’est le chiffon rouge du moment ! Tous les politiques sont en train de se ruer ou de fuir les rédactions pour chercher à répondre ou à éviter la question (sourire). Déjà, on a agité pendant longtemps la question du report. Nous nous sommes clairement prononcés pour dire que nous sommes contre le report des élections locales. Il n’est pas démocratique, surtout quand il n’est pas justifié. Le report nous rappelle les vieux mauvais souvenirs du temps de Abdoulaye Wade et font partie des choses qui l’ont battu. On ne va pas le refaire quand même, après seulement dix mois de règne de Macky Sall et de Bennoo bokk yaakaar. Nous sommes pour le respect du calendrier républicain. Dieu merci, je viens d’apprendre que le décret est tombé et la date est fixée au 16 mars 2014. (Ndlr : l’entretien a eu lieu le jeudi 21 février). Est-ce que nous irons en coalition ou pas ? Nous avons pensé que l’expérience de la coalition devrait continuer. Les élections locales sont plus qu’un parcours du combattant. Pour une fois, la base est souveraine sur les chefs. Elle décide en fonction de sa composante politique locale, de ses intérêts du moment et de ses intérêts locaux. Donc il y a peu de chance que les patrons qui sont à Dakar aient une emprise réelle sur ce que la base veut faire. Nous l’avons vécu avec Benno siggil senegaal. Il est arrivé que des gens nous disent : «Nous pouvons faire notre Benno dans le salon de Amath Dansokho, mais nous avons décidé d’y aller seuls.» On n’y a rien pu parce que c’est leur affaire. C’est la raison pour laquelle, nous avons une position très simple qu’on va rappeler : Si nous pouvons aller en coalition là où nous le pouvons, il n’y a aucun problème. Mais la coalition n’est pas la panacée. Elle vit. Elle meurt. Elle est appelée à mourir plutôt qu’on l’aurait souhaité. Quand nous avons une coalition dans laquelle, l’un est socialiste, l’autre est communiste ou libéral, sans un cadre d’opération, ça ne fait pas trop auberge espagnole ? Sur cette question, j’ai une position très froide, plus ou moins calculée : Il faut laisser la base faire son travail. Si dans une localité, nos responsables décident d’y aller seuls, ils assumeront leurs responsabilités. La seule chose qu’on peut leur demander, c’est de tout faire pour gagner. Dans une coalition, on ne peut pas dire aux gens : «Taisez-vous ou partez !» En Wolof : muut mba mott ! C’est faire preuve d’immaturité politique (Elle insiste).
Vous faites allusion à qui ?
J’ai lu quelque part que certains membres de la coalition ont dit à certains responsables qu’il faut se taire ou partir. C’est vraiment faire preuve d’immaturité politique !
C’est Mor Ngom de l’Apr…
Je ne sais pas. Je l’ai lu quelque part. Il faut être immature pour penser comme ça. Dans toutes les coalitions du monde, chaque membre vient avec son histoire, son identité et ses idées, et il les défend. Dans le Parti socialiste, nous n’avons pas toujours la même idée sur une chose précise. Nous en débattons…
Et Malick Noël Seck, on lui a dit muut mba mott…
Malick Noël Seck a fait l’objet d’une instance disciplinaire. Les gens ont discuté. Je n’ai pas voté l’exclusion de Malick Noël Seck. Est-ce que c’est ça muut mba mott ? J’étais en Bureau politique et j’ai dit pourquoi je ne l’ai pas votée. Est-ce que, quand je fais cela dans mon parti, on peut m’empêcher de m’exprimer dans une coalition ? Il faut arrêter !
Avez-vous le sentiment que cet esprit prévaut à l’Apr ?
En tout cas, c’est celui-là qui doit prévaloir. Je fais partie des gens qui pensent que la coalition est arrivée à un moment historique, politique, où les leaders doivent avoir une instance de concertation et d’orientation. Macky Sall est le chef de la coalition ; sa responsabilité première est d’œuvrer à cela. Pour que les lieutenants d’en bas ne se mettent pas à aller dans tous les sens. Parce que, finalement, on va se disperser à cause de choses subsidiaires, alors que l’essentiel nous attend pour redresser le Sénégal. Je ne perds jamais de vue cet essentiel-là.
De manière précise, y a-t-il des pratiques qui ne favorisent la voie du redressement ?
Bon ! C’est une question assassine encore ! (Rires). Comme je ne suis pas morte des autres questions, peut-être que je survivrai à celle-là. Quand je le dis, c’est parce que je suis en train de chercher mes idées (Elle rit, prend une gorgée d’eau et hésite). Je pense qu’il y a un peu les deux. Je suis une femme de vérité. A propos du redressement, nous sommes sur un chemin difficile. Le Yoonu yokkuté (Ndlr : le programme du candidat Macky Sall lors de la Présidentielle de 2012) est la voie du développement mais ce n’est pas la voie simple. C’est peut-être la voie la plus difficile parce qu’elle veut nous faire atteindre le développement. De ce point de vue, les engagements pris par Macky Sall, à l’aune de ces dix mois, sont partis pour être respectés. (Elle se répète). Le tout ne peut pas l’être en un coup parce que la situation du pays est très difficile pour ne pas en dire plus. Ce matin, je lisais les statistiques sur la pauvreté au Sénégal. Elles indiquent que nous avons 40% de pauvreté dans nos villes. Ce taux atteint 60% en zone rurale. Autant dire que c’est tout le Sénégal qui est frappé par la pauvreté. Donc il faut un coup de volant pour redresser toutes les politiques menées jusque-là, surtout au sortir des douze ans de Abdoulaye Wade. Ce premier mandat de Macky ne sera qu’un mandat de redressement. Alors, il essaie de tenir ses engagements dans certains domaines, par exemple la baisse des prix des denrées de première nécessité, quoique difficile dans une économie mondialisée et libéralisée. Donc cet engagement ne vaut que sous-réserve de cette conjoncture-là. Ensuite, sur le plan de la bonne gouvernance, il essaie de ramener les bonnes pratiques. Ce n’est pas simple. Vous conviendrez avec moi que les questions des biens mal acquis ne sont pas faciles mais il essaie. La situation est difficile. Par contre, là où on aurait pu envoyer un signal sans retour, c’est la réforme institutionnelle. Il a mis en place une commission présidée par Tonton Amadou Makhtar Mbow qui est en train de nommer ses membres. La plus grande partie de ce travail a été rabâchée par les Assises nationales. Donc il n’y avait pas trop à tergiverser sur cette question, sauf si on disait, de façon formelle : «On ne veut plus des conclusions des Assises nationales et on va les transposer dans un autre cadre.» Comme on dit : «Un verre à moitié rempli.» C’est un peu d’eau et un peu de vide ! L’œuvre de redressement reste colossale. Si on veut la juger en dix mois, on sera beaucoup plus déçu que satisfait. Il faut que les Sénégalais s’arment de patience. Comme disait un politique : «La vérité du pouvoir n’est pas dans sa conquête ; elle n’est pas dans le bilan de ce qu’on a fait.» La vérité du pouvoir est toujours dans son exercice. Le Président Macky Sall est un peu confronté à cette situation. C’est la situation de l’Etat du Sénégal qui est ainsi. Les choses ne sont pas simples. Il faut qu’on ait le courage de le dire aux Sénégalais.
Il y a rupture ou pas ?
Parfois, il y en a, parfois pas. Quand on voit ces mauvaises pratiques de gré à gré, toute chose qu’on a obtenue de haute lutte parce que Wade était velléitaire pour ne pas y aller ; il a fallu le pousser, les bailleurs, la communauté internationale, la société qui a fait un travail extraordinaire pour qu’il accepte ces instruments de gouvernance et de transparence, dans les affaires publiques. Et donc, quand j’apprends qu’il y a des résurgences, il y a de quoi être inquiet ! Il ne faut pas, cependant, que quelques exemples de mauvaises pratiques nous découragent. La bonne gouvernance est une œuvre de tous les jours. Elle a pour matière première l’être humain, qui dit : «Voilà la règle, mais je la transgresse.» C’est difficile, mais il faut qu’on y aille.
A suivre
lequotidien.sn