Au XVIIIème siècle, précisément en 1776, Thierno Souleymane Baal a mené la plus grande Révolution du Fuuta connue sous le nom de Révolution torodo. Par cette révolution, Thierno Souleymane a libéré le Fuuta d’un triple joug : la tyrannie deniyankoobe, l’esclavage et la domination des Maures qui avaient durablement imposé le « muddo horma » (tribut annuel équivalant à 5 kg d’or). Cet homme d’éthique, d’un courage singulier qui frise la témérité, combattit dans le Fuuta la corruption, l’impunité, l’enrichissement illicite et la dévolution monarchique du pouvoir pour asseoir l’audit, la transparence, la déclaration de patrimoine, la reddition des comptes, la compétence, l’efficacité, bref tous les éléments utiles à la bonne gouvernance.
Le 02 mai 2017, soit 241 ans plus tard, Thierno Alassane Sall, un autre Torodo de même rang, issu d’une longue lignée maraboutique, démissionna d’un gouvernement moderne pour défendre et préserver les mêmes principes, les mêmes convictions et les mêmes valeurs jadis incarnées par son aïeul Souleymane Baal. S’imposant la responsabilité de dire la vérité et le devoir moral de dénoncer le mensonge, il fit, dans son ouvrage intitulé « Protocole de l’Elysée, Confidences d’un ancien ministre sénégalais du pétrole », la lumière sur des complots à relents de scandales financiers abjectement orchestrés par des hommes à qui le peuple a fait confiance.
Pour toute réplique, ses sycophantes vitupérateurs lui dénient la qualité et le statut d’homme d’Etat invoquant le secret d’Etat et la raison d’Etat, oubliant dans la foulée, que celle-ci (la raison d’Etat ou l’idée de la raison d’Etat ou la pratique de la raison d’Etat) serait une forme de mensonge, une illusion inventée de toutes pièces, au mieux un imaginaire politique. Les choses pourraient ainsi être présentées de manière plus simple : la raison d’Etat est un mensonge inventé par l’Etat lui-même pour justifier ses mensonges. L’Etat, entité politique détenant un pouvoir institutionnalisé exercé sur la population d’un territoire donné, ne ment pas. Ce sont certains de ses animateurs, souvent appelés à tort « hommes d’Etat », qui mentent.
Sous nos cieux, ceux qui dirigent l’Etat et détiennent la réalité du Pouvoir exécutif ou législatif, soit le chef de l’Etat, le chef du gouvernement et ses ministres, tout particulièrement les détenteurs de fonctions régaliennes sont désignés, parfois à tort, sous le nom d’homme ou de femme d’Etat. Mais, quels sont réellement les traits caractéristiques d’un homme d’Etat ? Quelles qualités doit-il concilier pour mériter le statut d’homme d’Etat ? Sachant que la perfection n’est pas de ce monde, quels sont les critères qui permettent de s’en approcher ?
Pour Jean Serisé (haut fonctionnaire français ayant travaillé aux côtés de Pierre Mendès France et de Valéry Giscard d’Estaing, il créa la direction de la prévision au ministère de l’économie et des finances), les hommes et les femmes d’Etat se caractérisent par plusieurs traits : ne pas s’enrichir grâce à leur position ; assimiler des faits rapidement ; s’adapter aux circonstances ; s’élever au-dessus des événements et creuser leur propre tombe. Sur ce dernier point, l’auteur note que « l’homme d’Etat prend, sans y être contraint, des décisions dont il sait qu’elles le conduiront à sa perte. Il leur est impossible de faire autre chose que ce qu’ils croient devoir faire ».
Maxime Tandonnet (essayiste et haut fonctionnaire français) voit en l’homme d’Etat celui qui a la capacité de concilier trois qualités : une vision de l’histoire ; le sens du bien commun et le courage personnel. Au Sénégal, les hommes de cette nature et de cette dimension sont très peu nombreux à avoir émergé durablement dans l’histoire politique du pays. En raison de leur supériorité et de leur avance sur leurs pairs et sur leurs concitoyens, ils sont, le plus souvent, pris en chasse par le marais et réduits au silence avant d’être lapidés. Le véritable homme d’Etat est un « paria » en puissance. Avant et juste après les indépendances, des hommes de haute probité morale, patriotes nés, soucieux du devenir du Sénégal (Ibrahima Seydou Ndaw et Mamadou Dia) ont été parqués au pourrissoir pour avoir osé dire la vérité ou combattre le népotisme et le mensonge.
Aujourd’hui, Thierno Alassane Sall est en passe de subir le même sort pour avoir osé éventrer les malversations qui éclaboussent surtout le régime de Macky Sall. Mais, comme seul le destin collectif le passionne, Thierno saura trouver la puissance morale nécessaire et cristalliser les énergies pour renouveler pacifiquement cette classe politique vieillotte et surannée.
Omar Thiongane Sarr, Responsable RV à Keur Massar.