Une dizaine de ministres dans le gouvernement du Premier ministre Abdoul Mbaye, plus de trente directeurs généraux, présidents de Conseils d’administration, ministres-conseillers, conseillers et un secrétaire général à la présidence de la République, issus de divers courants de la gauche qui se retrouvent aujourd’hui au pouvoir, à la droite du Président Macky Sall dont les premières amours politiques avaient épousé leur rêve d’utopie émancipatrice à l’Université avant d’atterrir au Parti démocratique sénégalais (Pds) et de se choisir un autre destin politique à l’Alliance pour la République (Apr). Nous avons tenté de survoler le passé de cette Gauche post-68, sans prétendre à l’exhaustivité.
De l’ancienne gauche, aujourd’hui, aux côtés du Président Macky Sall, la plus forte légion est composée d’ex-maoïstes, ceux qui avaient porté l’ambition «que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent !» Entre les ministres Thierno Alassane Sall (Infrastructures), Amadou Kane (Economie et Finances) et Awa Marie Coll Seck (Santé), l’identité politique remarquable de leur passé de militants révolutionnaires a été la fréquentation du mouvement maoïste clandestin, alors sous le contrôle de And-Jëf. El Hadji Hamidou Kassé, conseiller du président et Racine Talla, directeur général de la Rts faisaient partie des pionniers qui ont sorti le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) de son isolement des luttes des étudiants, après avoir fait le mouvement étudiant maoïste. En effet, les étudiants des instituts comme le Cesti, l’Ecole vétérinaire, l’Ensut (ancien Iut) avaient un statut relativement de «privilégiés» en tant que boursiers ; ce qui les éloignait des revendications sociales à la camomille politico-idéologique des étudiants trop politisés des facultés.
Hamady Dieng, le directeur de la Construction au ministère de l’Intérieur, El Hadj Malick Sarr alias «Luc Sarr», l’actuel Pca des Aéroports du Sénégal (Ads) étaient parmi l’aile radicale du syndicat dénommé Union nationale patriotique des étudiants sénégalais (Unapes). Leur devise : «Etre rouge et expert». Leur ambition : l’avènement d’une école nouvelle, dont le projet se concoctait dans les réseaux semi-clandestins de ce que l’on appelait le Mouvement national démocratique (Mnd). Beaucoup avaient sacrifié leurs études et, parfois, leur vie en fréquentant plus les réunions, les Assemblées générales, en faisant de l’agitation et de la propagande lors des grèves que d’emprunter le chemin des amphithéâtres. D’autres avaient préféré devenir des Rp (Révolutionnaires professionnels). Dans les années 88, cette génération s’était dressée contre les politiques d’ajustement et de réajustement structurel. Elle en a d’ailleurs payé un prix fort, comme la répression de la Marche du 22 janvier et la rançon d’une année blanche.
Les héritiers de mai 68
Hamidou Dia, le conseiller culturel du Président Macky Sall et Sidi Bocoum, ancien ambassadeur du Sénégal en Inde, actuel Dg du Lac de Guiers, ont fourbi leurs armes révolutionnaires au pays de Marianne, dans l’Association des étudiants sénégalais de France (Asef). Avec d’autres étudiants sénégalais, ils, pénétrés de la pensée maoïste, avaient porté l’ambition de créer une révolution culturelle à la Sénégalaise. Ils avaient sorti des tiroirs oubliés de l’histoire la saga résistante de Lamine Arfang Senghor qu’ils considéraient comme le premier «communiste» sénégalais. Animateurs de la revue Jonction, ils avaient produit une cassette qui eut un écho retentissant au sein du mouvement étudiant de Dakar d’obédience maoïste. Cette cassette était un répertoire de caadda, chansons sénégalaises mâtinées à la sauce révolutionnaire, exaltant les héros de la résistance nationale comme Lamine Senghor, Aliin Sitoé Diatta, les femmes de Nder, etc.
Thierno Niane et Bassirou Faty, respectivement directeur de la Caisse de consignation et Pca de la Caisse nationale de crédit agricole (Cnca), ont contribué de leur énergie intellectuelle et leur fougue révolutionnaire, pour continuer le combat de la génération de mai 68, sans demander l’impossible. Les obus de mai 68 leur sont parvenus et comme leurs aînés de révolutionnaires, à l’image de Moustapha Fall «Ché» (actuel Pca de la Sn-Hlm), ils avaient «exigé que tout soit remis à plat, toutes les règles revisitées et vérifiées», pour reprendre Guy Sitbon*. Chez eux comme chez les militants de gauche de leur génération ayant subi les influences de mai 68 et sous les néons de la Maomania, «l’esprit critique devenait l’article premier de la Constitution, l’imagination demandait le pouvoir»*. Ont été également sous les lumières de cette Maomania, Arfang Daffé, actuel Dg de la Cnca et Bassirou Diop, Dg de la Sodefitex.
A noter que le ministre de la Bonne gouvernance, Abdoul Latif Coulibaly, sans être du courant maoïste, avait même fréquenté à l’Université les cercles révolutionnaires clandestins, notamment la Ligue démocratique. De même que le porte-parole du Président Macky Sall, Abou Abel Thiam a flirté avec la Gauche post-68.
Les ex- trotskystes
à la gestion…
«permanente» ?
Aminata Touré, ministre de la Justice, a eu des atomes crochus avec la 4ème Internationale fondée par Léon Trotsky pour s’opposer à la bureaucratie stalinienne. C’était avant son adhésion au Mouvement pour le socialisme et l’unité (Msu) du Président Mamadou Dia, puis à And-Jëf où il a été directrice de campagne de Landing Savané. Elle partage le statut d’ex-trotskyste avec Mahmout Saleh, conseiller spécial du Président, le sociologue Malick Ndiaye, conseiller au Palais. Leurs nids révolutionnaires : l’Organisation socialiste des travailleurs (Ost) ou la Ligue communiste des travailleurs (Lct). Au-delà de leur appartenance organique, ces «disciples» de Trotsky avaient mis sur le corbillard de l’histoire le stalinisme en récusant la théorie du «socialisme dans un seul pays». Admirateurs de Lev Davidovitch Bronstein, ils ont sublimé l’apport au marxisme de celui qui deviendra Trotsky, par le hasard d’un faux passeport. En effet, ils furent des adeptes de la «révolution permanente», au motif qu’«en liant tous les pays entre eux par son mode de production et son commerce, le capitalisme a fait du monde entier un seul organisme économique». C’est Jean-Jacques Marie, historien français et auteur de Trotsky, qui soulève cette problématique qui a été certainement au centre des débats politiques enflammés entre les Mahmout Saleh, Malick Ndiaye, Mimi Touré et leurs camarades d’une part, et les contempteurs de Trotsky. En effet, l’historien français souligne : «Même si les pays se trouvent à des développements différents, les pays arriérés coloniaux et semi-coloniaux ne répéteront pas mécaniquement les étapes franchies par les pays capitalistes avancés : l’irruption des nouvelles techniques et de nouveaux moyens de production leur permettra de contracter brutalement ces étapes, ce qui rend improbable l’apparition de la démocratie parlementaire et ouvre la voie à la révolution»**. Autre abomination par le trotskysme : la fusion entre le parti unique et l’Etat qui débouche sur une nomenklatura parasitaire.
*Marianne. n°575 du 26 avril au 2 mai 2008
** Jean-Jacques Marie, in Hors-série n°3 Marx. Le Point
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